Chapitre 6 : Une sinistre litanie (2/3)

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L'obscurité et le silence avaient repris place dans la cave à vin. Rachel se réveilla une fois encore debout, sur la pointe des pieds avec une douleur persistante et accablante. Elle n'avait aucune idée du temps qui s'était déroulé depuis que le sorcier l'avait torturée.

Cet être abject et cruel l'avait empêchée de perdre conscience à l'aide de sortilèges pendant qu'il l'entaillait. La douleur avait été si grande, qu'elle avait cru en devenir folle.

C'était sa première rencontre avec un non-humain à la peau rouge et s'il ne l'avait pas tuée, cela signifiait qu'il reviendrait achever son travail. Anxieuse, Rachel éprouvait un vif sentiment de colère. Hélas, son amertume fut vite balayée par la douleur qui l'irradiait. Cette affliction que subissait son corps était insupportable. Elle puisa au plus profond d'elle la force de garder la foi et pensa à son pendentif offert par sa défunte mère.

Ce salopard l'avait détruit et s'en était servi contre elle ! Au lieu de la protéger, ça l'avait tourmentée.

Quelle ironie...

Le cœur lourd, elle soupira.

— Il te protégera, mon cul, bafouilla-t-elle.

Un bruit sourd la fit sursauter. Sa vue s'était habituée à l'obscurité. Elle balaya du regard la cave cherchant le moindre mouvement. Rien. Pourtant elle avait cette impression de se sentir observée, comme si on la sondait au plus profond de son être. C'était une sensation aussi douce que répugnante.

Elle avala sa salive et tenta de prendre une voix ferme.

— Qui est-là ? Montrez-vous, je sais que vous êtes là.

Aucune réponse.

Un autre bruit sourd, léger et confus la fit bondir en arrière. La corde la balança de gauche à droite, avec ses pieds liés elle eut du mal à se stabiliser. Son grognement étouffé parcourut la pièce.

Rachel inspecta à nouveau le chai. Elle tourna sur elle même en serrant les dents pour supporter l'étreinte de ses liens. Elle ne vit que les armoires à vin et des tonneaux. Il n'y avait personne. Commençait-elle à devenir paranoïaque ? Elle se posait sérieusement la question.

Alors qu'elle se remettait dans sa position d'origine, elle crut voir durant l'espace d'une seconde une silhouette en face d'elle. Seul un glapissement témoigna de sa surprise.

De la sueur froide dégoulinait le long de ses tempes.

Est-ce que j'ai rêvé ? Ça semblait si réel.

Elle resta immobile un bon moment, jusqu'à ce que la porte s'entrouvrit dans un grincement. Un rayon de lumière se glissa sur les tonneaux. Il revenait la torturer ! Peut-être que cette fois-ci elle serait tuée.

Paralysée, pétrifiée, Rachel regardait l'entrée les yeux écarquillés et vit deux silhouettes entrer d'un pas hésitant. Le premier possédait une carrure corpulente, il tenait en main une petite lanterne qui éclairait à peine, et celui qui le suivait était chétif.

— Oh ! Regarde-moi toute cette réserve, ricana le premier. Je savais bien que le vieux Bourbon gardait jalousement son vin.
— Nous ne devrions pas être ici frangin. Partons avant qu'ils nous tombent dessus.
— Du calme, nous ne risquons rien. Ils sont tous partis à la mine.

Il donna une tape dans le dos du jeune adulte qui bascula dangereusement en avant.

— Ne me regarde pas avec des yeux de merlan frit. Tu ne vas pas faire demi-tour alors que nous avons du vin venu tout droit de Castellum ? Ah ! Tu vois, ton petit sourire en coin veut tout dire.

Rachel reconnut les voix et leur tenue en cuir rembourrée. C'était la même que portait ses hommes. Lambert et Oldaric étaient là. Quel soulagement ! Ils allaient la sortir de ce pétrin. Elle commençait à croire qu'on ne viendrait pas la sauver.

Les deux hommes ne devaient pas se trouver ici, mais elle s'en moquait, leur présente la réjouissait. Rhamée ne l'avait pas abandonnée.

— Lambert ! Oldaric ! Je suis si contente de vous voir les gars... aidez-moi à sortir d'ici.

— Capitaine ? s'étonna la brute. Où êtes-vous ?

— Ici, au fond de la cave. Dépêchez-vous, je ne sens plus mes bras.

À l'aide de la lanterne, Lambert illumina l'endroit d'où provenait la voix de la jeune femme. Son frère et lui sursautèrent de surprise en la découvrant à moitié nue, le corps recouvert de stigmates et de sang séché.

— Merde, qu'est-ce qui vous est arrivée ?

— C'est une longue histoire.

Ils s'approchèrent abasourdis, toutes ces étranges marques leur donnait froid dans le dos.

— Il semblerait que vous avez aussi été prise dans leurs filets, capitaine. C'est le bordel dans le village.

Oh non... le sorcier s'en était pris aux habitants. Mais avant qu'elle puisse poser la question, l'homme continua.

— Un groupe d'hommes armés jusqu'aux dents nous ont attaqué hier dans la journée. Sans votre aide, nous étions désorganisés et nous n'avons rien pu faire pour défendre le village...

Voilà qui était surprenant. Elle n'en croyait pas ses oreilles.

— Y avait-il un sorcier avec eux ? demanda-t-elle confuse.

— Je n'en ai pas vu, par contre... Attendez. Vous voulez dire qu'il yen a un ici ? C'est lui qui vous a fait ça ?

Rachel hocha la tête.

— Il ne faut pas rester ici Lambert, déguerpissons vite avant qu'il revienne ! Je ne veux pas me retrouver en face de lui, il parait qu'ils peuvent transformer leurs ennemis en cafard, pleurnicha son frère.

— Ferme-là, il n'est pas ici et nous serons partis avant qu'il ne revienne et de toute manière si...

— Comment avez-vous pu être mis en déroute par une bande d'homme ? Nous avons fortifié le village, l'interrompit-elle.

Lambert prit une expression sérieuse.

— Ils étaient vachement bien organisés. Rien à avoir avec la plèbe du coin. Ces types étaient entraînés et mieux équipés. Heureusement pour mon frangin et moi que nous étions partis en patrouille. Nous avons pu leur échapper ainsi. Avec ou sans nous, ça n'aurait pas changé grand chose de toute manière...

Que se passait-il ? Un mage et maintenant des hommes entraînés au combat investissaient le village. Ses pensées continuèrent sur une pente dangereuse : la carrière abritait les cristaux magiques. Et s'ils étaient venus pour les extraire ?

— Que recherchaient-ils ?

— Je n'en ai pas la moindre idée.

— Et les villageois sont-ils...

— Les hommes et les enfants ont été emmenés à la mine, tandis que les femmes sont restées au village. J'aimerais bien savoir ce qu'ils comptent y trouver, ça fait des années qu'il n'y a plus de charbon. Peut-être pensent-ils pouvoir trouver des diamants, ironisa-t-il.

Ses craintes se confirmèrent. Ils les convoitaient. Mais une autre question la disputait à l'agacement, comment l'avaient-ils su ? Si l'archonte connaissait leur existence, l'armée s'en serait emparée depuis longtemps. La situation est critique, je dois m'assurer que tout le monde va bien, pensa-t-elle.

Oldaric s'était tu jusqu'à présent. Rachel sentit son regard insistant la fixer. Visiblement, elle ne laissait pas indifférent le jeune homme malgré ses stigmates. Elle ne savait pas si elle devait en être contente ou non, mais un sentiment de malaise et de gêne l'envahissait.

— Je suis heureuse que vous vous en soyez sortis les gars, tout n'est pas perdu. Maintenant, coupez-moi cette fichue corde que je puisse soulager mes bras. Nous devons retourner au village et...

Lambert l'interrompit. Son expression était sévère.

— Non, capitaine. Non.

SerenaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant