Chapitre 1

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C'était une journée magnifique. Un ciel d'azur, un soleil éclatant et pas un nuage à l'horizon. Un automne très clément, avait commenté la météo du jour, mais un peu trop frais aux yeux d'Elisabeth.

Elle resserra le col de la veste de son sweat-shirt et franchit en quelques enjambées les marches restantes pour sortir de la bouche de métro. L'après-midi était déjà bien avancée et elle allait être en retard pour rejoindre son groupe d'études à la bibliothèque, mais pour être honnête elle s'en fichait pas mal. Elle préférait nettement se faire enguirlander par Sacha que de ne pas profiter de ces quelques rayons de soleil, certes frais mais amplement mérités. Entre travail et études, elle ne voyait plus vraiment la lumière du jour depuis qu'elle avait emménagé à Bastille.

Le sifflement fut le premier signal qui l'intrigua et lui fit ralentir le pas. Un sifflement sourd, s'intensifiant de secondes en secondes qui interpella aussi les badauds dans la rue. Pendant un instant, presque tous s'arrêtèrent et scrutèrent le ciel à la recherche de l'origine de ce son surprenant. Rien en vue sinon ce ciel bleu immaculé et ce son grandissant qui commençait à lui tordre les entrailles. Ils avaient tendance à l'oublier dans cette paix précaire mais le pays était en situation de guerre. Et ce son inattendu lui évoquait la guerre.

Le temps semblait suspendu autour d'elle, personne n'avait baissé le nez pour reprendre sa route et certains commençaient même à se couvrir les oreilles, gêné par le bruit. La panique, la peur, elle sentait l'ambiance de la foule se mouvoir en quelque chose de pesant. Elle osa enfin baisser son visage pour scruter les gens autour d'elle dans l'espoir de trouver un indice sur ce qui était en train de se passer. Rien, à part d'autres passants aussi perdus et angoissés qu'elle.

Puis soudain, le ciel sembla se fendre et leur tomber dessus.

Une lumière blanche envahit son champ de vision tandis qu'une explosion assourdissante frappa quelques centièmes de secondes après, tout autour d'elle explosa en un seul instant. Elisabeth fut projeté contre le mur voisin avec tant de force qu'elle sentit ses mâchoires claquer entre elles avec douleur. Sonnée, elle tomba au sol sans même pouvoir tenter de se rattraper.

Un nuage de poussière si épais qu'elle ne pouvait pas voir à travers fut son premier contact avec la réalité après la violence du choc. Dans ses oreilles, le sifflement était devenu beaucoup plus présent : un acouphène si fort qu'elle ne semblait plus rien entendre en dehors de lui. Il lui fallut plusieurs longues secondes pour pouvoir se remettre debout, en s'aidant d'une main sur le mur mais elle sentait que ses jambes pouvaient la lâcher à tout instant. Une suite d'efforts qui lui paraissaient surhumains lui permis de faire un rapide état des lieux interne : du sang dans la bouche, mais toutes ses dents paraissaient encore là, quelques douleurs sur le côté de son corps qui avait heurté le mur et lui vaudraient au minimum des bleus de taille respectable, elle avait perdu son sac dans la foulée et sentait que sa veste avait pris une belle entaille dans le dos... Rien de grave, rien qui allait l'empêcher d'essayer de comprendre ce qui était en train de se passer.

Le nuage autour d'elle restait opaque mais s'éclaircissait de plus en plus, le sifflement, lui, continuait à la rendre sourde à ce qui se passait autour d'elle. Elle tenta de se détacher du mur pour faire un pas en avant, un succès, elle tenta un second et se mit à marcher. Plus pour reprendre contact avec ses sensations que pour vraiment aller quelque part.

Le ciel leur était tombé dessus, et maintenant ?

Elle avançait au milieu des voitures, morceaux de pierre et de béton explosés et quelques corps épars sur le sol. L'impulsion de se précipiter sur toutes ces victimes pour les aider la prenait si fort aux tripes qu'elle en avait mal, mais elle était parfaitement consciente qu'elle ne pourrait pas faire grande chose à son échelle. Elle cherchait plutôt du regard des personnes coincées, des gens qui auraient pu se retrouver ensevelis sous des décombres et auraient besoin d'une main salvatrice. Avancer lui donnait l'impression de faire quelque chose, son cerveau semblait ne pas vouloir fonctionner de nouveau et elle ne parvenait tout simplement pas à prendre une décision rationnelle sur la marche à suivre. L'ouïe de la jeune fille commençait à revenir petit à petit et c'était au moins de ce côté-là un soulagement.

De courte durée, néanmoins : les hurlements et pleurs autour d'elle étaient autant d'aiguilles qu'on enfonçait dans sa peau. Les secours allaient arriver, d'une seconde à l'autre ils seraient là et pourraient faire leur travail. Le pire peut-être, était cette enfant agenouillée sur le sol qui se couvrait les oreilles en hurlant à la mort. De peur, de rage ou de frustration elle n'aurait su dire, mais elle semblait mettre en son tout ce qui pouvait habiter Elisabeth en cet instant.

Au milieu du capharnaüm, elle entendit de nouveau le redoutable sifflement. Elle savait qu'il ne servait à rien de scruter le ciel - désormais obscurci - pour en trouver l'origine et elle savait qu'elle n'avait que quelques précieuses secondes pour se mettre à l'abri. Certains autres survivants autour d'elle semblaient pris de la même agitation, d'autres continuaient de pleurer. Qui l'écouterait si elle criait ?

N'écoutant que son instinct, elle couru en avant pour attraper la petite fille toujours agenouillée au sol. Celle-ci résista à peine et se laissa traîner par le bras sans se débattre, Elisabeth rebroussa chemin en la tirant derrière elle. Elle avait cru voir qu'au moins un des escaliers donnant sur le sous-sol était encore dégagé. Sans réfléchir, elle slaloma entre tous les obstacles, tirant plus fort sur le petit bras dans sa main quand elle sentait de la résistance. Du coin de l'œil, elle aperçut d'autres personnes se mettre à courir mais aussi - miraculeusement - son sac à bandoulière reconnaissable grâce à ses badges au sol. Elle le saisit de son autre main et s'engouffra dans l'ouverture plongée dans l'obscurité au milieu d'une petite foule qui jouait des coudes pour y descendre.

Le bras de la petite fille lui échappa - impossible de la retrouver au milieu de ce mélange de bras et de corps apeurés - et elle s'enfonça dans l'escalier en se laissant porter par le mouvement saccadé des gens autour d'elle.

Ils laissaient le soleil dehors pour l'instant, sans doute pour rejoindre un souterrain à moitié effondré et plein d'autres blessés ou même pire. Le souvenir du ciel parfaitement bleu qu'elle avait vu il y a à peine quelques minutes lui effleura l'esprit. Mais c'était évident, pensa-t-elle en suivant le mouvement de foule, c'était toujours lors d'une journée magnifique que votre monde s'effondrait.

Juste après la Fin du MondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant