Chapitre 37

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La cacophonie la plus totale suivit la balle à laquelle avait échappé de peu Elisabeth. Entre les ordres criés par les militaires autour d'elle et le sifflement qui inondait ses oreilles, elle eut le plus grand mal à se ressaisir pour prendre une décision.

Un nuage de poussière avait envahi l'oasis et les empêchait de voir quoi que ce soit, la seule consolation qu'elle pouvait en tirer était que leurs ennemis, eux non plus, ne voyaient rien. Elle se frotta les yeux pour tenter d'y voir un peu plus clair mais une main la saisit alors par le coude et la tira avec violence en avant.

Encore une fois, elle ne parvenait pas à comprendre les mots qui fusaient dans l'air, elle ne voyait pas plus loin que les quelques centimètres devant elle... Une forme de panique lui rappellant dangereusement le jour où les bombes étaient tombées commençait même à l'envahir. Elle se laissa porter par le mouvement, toujours tirée en avant sans savoir qui la tenait ainsi sans ménagement.

Un nouvelle balle siffla non loin d'elle, son corps se raidit en un instant et elle risqua un regard en arrière : l'ennemi les couvrait de tirs mais ne pouvait pas décemment viser. Ils se contentaient de les arroser pour les déstabiliser et sans doute les forcer à riposter le temps que l'espace s'éclaircisse, mais les militaires avançaient sans se laisser impressionner, en rangs de plus en plus serrés autour d'elle.

On la jeta sans ménagement contre un mur, contre lequel elle se laissa glisser au sol sans réfléchir.

— À couvert ! cria quelqu'un.

Elle eut le plus grand mal à réagir, tournant d'abord le regard vers la source de la voix avant que quelqu'un ne la pousse pour qu'elle se couvre la tête. Une explosion retentit quelques mètres plus loin, à l'endroit exact où ils venaient de passer.

Nouvelle nappe de poussière, nouveaux gravats piquant sa peau comme autant d'aiguilles, nouvelle sensation de se retrouver au milieu d'un champ de mine.

— Ça va, Eli ? lui cria Mathias par dessus le bruit ambiant.

C'était lui qui l'avait forcé à se protéger et se tenait désormais au dessus d'elle, un bras appuyé sur le mur il avait l'air de sortir du grenier le plus poussiéreux du monde. Elle hocha la tête sans un mot, tentant un semblant de sourire pour le rassurer.

Un pied vient lui taper dans le tibia. Une paire de rangers aussi crottée que dure venait de lui arracher cette fois-ci un cri de douleur.

— Tu vas faire partie de l'escouade à la recherche des survivants on dirait, cracha presque Hayden. Heureuse ?

Elle leva les yeux vers lui et subit de plein fouet la violence de son regard, si elle n'avait pas pertinemment su qu'il voulait juste qu'il ne lui arrive rien elle aurait juré qu'il voulait la tuer. Elle se contenta de soupirer tandis qu'il se désintéressait d'elle pour retourner à son travail. Derrière, elle aperçut les soldats faire le compte des quelques blessés, du matériel et faire le point sur la suite.

— Tout va bien ? lui demanda Mitsu en lui tendant la main.

Il l'aida à se relever d'un geste, époussetant ses épaules au passage. Il aurait besoin de la torturer pour qu'elle l'avoue à haute voix mais il lui avait beaucoup manqué.

— J'ai envie de te dire "bien joué" pour la squat dans l'équipe mais j'ai l'impression que tout ne s'est pas déroulé comme prévu...

Mathias avait parlé d'un ton faussement désinvolte, les bras croisés derrière la tête, mais la tension dans sa mâchoire le trahissait sans détour.

— Tu as une lampe de poche ? continue-t-il sans lui laisser le temps de parler.

Elizabeth fouilla ses poches avant de répondre, la sienne avait dû tomber lors de la fuite. Hayden revint vers eux, l'air encore plus tendu que le policier.

— Nous ne sommes pas aussi bien équipés que prévu...

Nul besoin de préciser qu'ils n'avaient pas pu emmener tout le matériel avec eux dans le bordel qui venait de précéder... Et qu'une partie de ce matériel était maintenant entre les mains des Eugénistes. Non, vraiment, l'angoisse était devenu un état de fait permanent.

— On fera avec, conclut le soldat d'un ton désabusé. En route !

L'escadron se mit en branle sans attendre, chacun connaissant son rôle et les actions qu'il avait à faire. Il n'y avait qu'Eli, Mathias et Mitsu pour se retrouver les bras ballants à attendre la suite des événements.

— Hayden, attends ! interrompit Elisabeth alors qu'il s'éloignait sans un mot. Et les autres survivants, alors ?

— Évacués pendant que tu paniquais comme un chien devant un feu d'artifice.

C'était injuste, pesta-t-elle intérieurement, totalement injuste mais terriblement bien visé. Elle ravala sa verve et son orgueil pour garder le silence, ses poings serrés le long du corps.

— D'ailleurs, venez avec moi vous trois, je veux savoir tout ce qu'il y a à savoir sur cette Martha.

— Il y a eu comme un déclic pendant l'absence d'Eli et Mathias, résuma Mitsu.

Ils avaient tous les trois dressé le portrait de Martha, la gentille vieille dame qui avait peu à peu affirmé sa position au sein du groupe jusqu'à un jour faire ce qui s'apparentait beaucoup à un coup d'état. Si elle avait réussi à emmener la moitié des survivants avec elle, à les convaincre du bien fondé de sa décision, il était évident que "sauver" ces personnes n'allait pas être aussi facile que ce que la mission prévoyait à l'origine. Hayden allait devoir faire appel à toute sa diplomatie.

— J'arrive pas à croire qu'elle ait emmenée Julie, marmonna Elisabeth. Enfin si, j'aurai fait pareil à sa place mais ça a pris des proportions absolument incroyables.

— Elle a joué sur la peur, et ça a pris tout de suite.

Ils avançaient en retrait du groupe principal, qui servait à la fois d'éclaireurs et de pisteurs. Même si un couloir principal semblait être le chemin de fuite des déserteurs, ils ne voulait négliger aucune piste et couvraient les couloirs adjacents, au cas où. Hayden, Elisabeth, Mitsu et Mathias suivaient donc à pas de loups, discutant à voix basse dans les couloirs.

— J'aurai dû le voir venir, soupira soudainement Mathias, son comportement aurait dû me mettre la puce à l'oreille.

Le militaire trancha aussitôt d'un ton sec :

— Ce qui est fait, est fait. Maintenant, il faut plutôt songer à l'accueil qu'on va nous faire. On nage en pleine paranoïa, j'ai bien peur qu'ils pensent que nous sommes le camp ennemi lorsque nous arriverons...

— Si elle a fait quoi que ce soit à Julie, je vais l'étriper.

Illustrant ses paroles, Elisabeth mima un étranglement avec ses mains, envoyant valser le faisceau de sa lampe sur les murs.

— Est-ce que je peux te demander de garder ton calme ? demanda Mathias pince-sans-rire.

Néanmoins, il posa une main qui se voulait amicale sur son épaule. Difficile de lui en vouloir d'être à ce point remontée contre Martha mais le calme allait être nécessaire dans les heures à venir. Arriver énervés n'allait qu'envenimer encore plus la situation...

Elle acquiesça lentement, une moue mécontente tirant tout de même les traits de son visage vers le bas.

— Commandant ! appela un soldat.

Il arrivait au petit trot, une expression alertée sur le visage :

— De la lumière au fond d'un tunnel adjacent. Il semble qu'il y ait un rassemblement de civils, quatre en gardent l'entrée avec des armes improvisées.

Juste après la Fin du MondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant