Ce n'était pas le tout de savoir que vous alliez être sauvé : le vivre, sentir de nouveau la chaleur du soleil, le vent souffler contre votre peau et ressentir l'agitation d'une foule libérée était enivrant. Les gens ne sortaient pas en courant à l'air libre -parce qu'ils ne pouvaient pas - ils se déplaçaient à petit pas comme si eux même ne croyaient pas à ce qui était en train de leur arriver.
Guidés par des militaires qui les attendaient à l'extérieur, ils s'extirpaient un à un de l'ouverture qui venait à peine d'être creusée. Même si les secours avaient voulu élargir ce trou pour permettre une avancée plus facile, ils n'auraient pas pu retenir la petite foule de personne prisonnière depuis des jours sous terre.
Certains plissaient les yeux à cause de la lumière de ce soleil - elle semblait bien trop vive après des jours sans la voir - ils avançaient en se couvrant les yeux, redécouvrant avec surprise à quel point le ciel pouvait être bleu et lumineux.
Mathias avait déjà pu profité de l'air extérieur quelques jours plus tôt et pourtant, il avait l'impression d'y prendre au moins autant de plaisir que les autres. Sans prévenir, Mitsu débarqua sur sa gauche pour le prendre dans une étreinte fraternelle qui valait tout l'or du monde. Il aurait juré que son collègue et ami avait les larmes aux yeux mais ne pouvait honnêtement pas se vanter lui-même d'avoir les yeux secs.
Ils étaient libres.
La liesse qui s'emparait de tous les rescapés s'était également propagée aux soldats qui étaient venus les accompagner, un rassemblement de pur bonheur qui se déversait dans la rue où l'armée avait établi ses quartiers pour le sauvetage. Ils allaient évidemment avoir le droit à un sas de « décontamination » avant de revenir dans le monde et se mêler aux autres.
Des tentes les attendaient quelques mètres plus loin, avec sans doute un suivi médical et psychologique dont ils avaient grandement besoin. Les deux policiers n'étaient pas blessés et sûrement pas prioritaires : ils laissèrent volontairement leur place à d'autres comme Martha qui avait bien plus souffert de l'enfermement qu'eux – Mathias se jura d'aller éclaircir cette histoire de coup d'état dès que possible.
Ils restèrent tous deux dehors, le long d'un des cordons de sécurité qui menait vers les tentes et discutèrent avec les autres rescapés qui leur passaient devant, avec sur le visage un sourire que rien ne pouvait ternir. Mathias avait froid, le vent d'hiver pinçait sa peau à chaque fois qu'il lui passait dessus mais il appréciait cette sensation plus que tout, elle lui signifiait de la manière la plus palpable possible qu'ils étaient bien dehors. Libres.
Il leva le nez en l'air pour humer ses odeurs de villes qu'il avait presque oublié :
— J'aurais jamais pensé être heureux de sentir le gasoil, tu sais ? dit-il à Mitsu.
Son collègue laissa échapper un rire avant de lui taper dans le dos. Les 4x4 des militaires stationnaient non loin de leur lieu de rassemblement et tournaient en permanence, polluant l'air ambiant de leur fumet délicat mais encore une fois : cela voulait dire qu'ils étaient dehors.
Bien plus loin, hors de la zone de sécurité, une autre foule s'agrégeait : les curieux. Ceux qui voulaient voir ces citoyens qui avaient passé pas loin de 3 semaines sous terre si près des forces ennemies, ceux qui avaient vécu avec un espion pendant tout ce temps sans jamais le savoir et qui étaient miraculeusement sauvés. Les journalistes, commençaient à essayer de se frayer un chemin pour avoir leur scoop les premiers.
— Tu vas voir, Sarah, on va en faire qu'une bouchée, lui dit Mitsu.
Ce n'était qu'une blague, personne ne pouvait détrôner ce symbole ultime de liberté mais nul doute que quelqu'un se risquerait à la comparaison d'ici peu. Contemplant la foule d'un regard distant, Mathias se fit la réflexion qu'il n'avait pas vu Elisabeth depuis un certain temps. Depuis très longtemps même.
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