- Tu comptes faire quoi quand on va sortir ?
Les trois explorateurs-miniers prenaient une courte pause dans leur labeur. Elisabeth était recroquevillée dans l'entrée de la chatière qu'ils étaient en train d'élargir, ses pieds à plat contre le mur opposé et sa main battant une mesure inaudible sur le sol sous elle. Mathias, qui avait posé la question, était agenouillé en face du trou sur le tas de débris qu'ils continuaient d'amasser de jour en jour. De là où ils étaient ils pouvait entendre Mitsu qui marchait non loin, fredonnant une mélodie pour s'aérer l'esprit.
- Je vais boire une bouteille entière de jus de pomme, sans prendre une seule putain de respiration.
- Du jus de pomme ? Ricana-t-il. C'est ce qui te manque le plus pour l'instant ?
- Ma vie pour du jus de pomme.
Il ricana plus fort encore, son rire mesquin résonnant dans le tunnel. Pour la forme, elle lui envoya un caillou qui traînait prêt d'elle à la figure mais visa tellement mal qu'il n'eut même pas à se déplacer pour l'éviter.
- Je voulais dire pour reprendre ta vie. Le temps passe tellement lentement que j'ai l'impression que ça fait déjà des semaines qu'on est coincés là...
Définitivement un sujet qu'elle ne préférait pas aborder, mais en l'occurrence ça paraissait compliqué d'y couper sans avoir l'air encore plus étrange qu'elle n'en avait déjà l'air. Elle savait que son comportement secret commençait à donner la mauvaise impression, même si elle trouvait qu'eux-mêmes étaient assez secrets sur bien des sujets.
- J'sais pas... J'ai du mal à voir au delà de « maintenant » si tu vois ce que je veux dire.
Elle dégagea ses pieds de l'ouverture pour s'asseoir face à Mathias. Son t-shirt était couvert de boue et de remblai, mais pour être honnête ils avaient tous les trois la même dégaine : celle de gamins qui avaient passé une journée à jouer dans des flaques de boue mais personne ne les attendait avec une tasse fumante à la maison ce soir pour les débarbouiller. Il hocha la tête, son expression était bien plus sérieuse qu'elle ne s'y serait attendue.
- Je pense qu'on est tous bons pour une bonne semaine de cellule psychologique. J'étais censé repartir dans les bataillons d'explorations dans les semaines à venir mais c'est cuit, pareil pour Mitsu.
- Attends qu'on commence à se manger les uns et les autres, tu verras où on finira en sortant.
- Toujours moins pire que finir chez les Eugénistes, hein ?
Elisabeth ne répondit pas et se laissa tomber sur ses pieds, parler de pomme lui avait donné faim. Elle rejoignit les sacs à dos, posés non loin du châtain pour aller y chercher une barre protéinée. C'était les seules choses comestibles qui leur restait à emmener avec eux, les produits frais qui n'avaient pas encore tournés se raréfiaient et la pénurie de vivres commençait à devenir une possibilité effrayante.
- Au pire, t'auras quelques semaines de retard de cours, c'est ça ? demanda-t-il.
Au pire ? Au pire, elle perdait ses boulots de nuit et donc ses uniques sources de revenus. Mais si elle lui avouait ça, elle devrait expliquer quel genre de « travail » elle faisait, avec qui elle était en contact et les implications légales et illégales de tout le bazar, de même que pourquoi elle avait coupé les ponts avec sa famille à la Bastille et pourquoi elle n'y retournerait sans doute jamais. Et il en était hors de question, sa tête était toujours penchée vers l'intérieur du sac à dos, son expression cachée par sa lourde tresse et sa main fourrageant à la recherche d'un en-cas, alors elle décida d'éluder :
- Mais on ne sait toujours pas ce qu'il se passe dehors, n'est-ce pas ? La ville pourrait bien être à feu et à sang, l'ennemi dans nos terres et l'espèce humaine telle qu'on la connaît vouée à disparaître. - elle releva la tête - N'est-ce pas ?
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