Martha ne pouvait pas aider.
Elle le voulait, bien sûr, mais tout ce qui nécessitait de l'aide jusqu'à maintenant impliquait d'être fort, rapide ou endurant. Trois caractéristiques par lesquelles elle ne brillait pas ces derniers temps.
Alors Martha regardait, elle observait cette petite foule qui s'agitait et courrait dans tous les sens ou qui au contraire se rassemblait et semblait chercher la compagnie de l'autre pour se rassurer.
Elle avait vu les premières « alliances » se former, par affinité souvent par intérêt quelquefois, elle avait aussi vu les premières tensions naître pour des broutilles - mais tout n'était que broutille au regard de ce qui leur arrivait. On ne faisait pas vraiment attention à elle, alors elle se baladait avec son sac bien attaché à son épaule et écoutait à droite à gauche pour voir où tournait le vent. Et elle l'avait senti vite tourner.
Si Mathias et Mitsu avaient pris les rênes de la colonie pour tenter de donner un peu de structure à tout ça, il s'était vite avéré que certains n'appréciaient pas beaucoup que quelqu'un d'autre qu'eux semble être au pouvoir. Les deux hommes tentaient certes de se faire passer pour des bons samaritains mais Martha comprenait très bien que l'on puisse se sentir menacés par leur attitude fière et « efficace ». Avec eux, il fallait que ça bouge et fissa.
C'est ainsi qu'elle avait repéré Jean.
Jean était un homme plutôt grand, aux larges épaules et aux cheveux roux coupés ras. Il était habillé d'un jogging et d'une veste en velours, un mélange que Martha trouvait aussi étrange que malvenu, et il parlait toujours d'une voix forte en regardant tout le monde dans les yeux - sauf quand il manigançait dans son coin. D'autant appelait ça du charisme, elle appelait ça de l'orgueil.
Il s'était précipité lorsque Mathias et Mitsu avait recruté des aides, il avait levé la main le premier pour prendre part à cette forme de pouvoir qui s'établissait devant ses yeux mais il avait vite remarqué qu'il ne pourrait pas intégrer ce groupe très restreint - les deux hommes étaient très exclusifs, il fallait l'avouer.
Dès que Jean n'était pas occupé avec les débris, Martha l'avait vu papillonner d'un groupe à l'autre : blaguer avec les étudiants, aller demander des nouvelles des enfants aux quelques familles rassemblées là, venir lui faire un peu la conversation. Il faisait la tournée des Grands Ducs et espérait bien en tirer partie un jour.
Cet objectif était devenu clair comme de l'eau de roche quand Mitsu avait évoqué la possibilité de partir en reconnaissance dans les couloirs, à l'aube de la première nuit en sous-sol :
— Ça fait déjà plusieurs heures que nous sommes ici et nous n'avons rien entendu du tout... On pourrait aller voir si il y a une autre sortie quelque part dans les couloirs.
— Il serait plus sage d'attendre les secours ici, en groupe, rétorqua Jean.
Il s'était dressé devant l'Asiatique, bras croisés sur le torse dans une posture totalement dominante. Mitsu avait le mérite de ne pas avoir l'air touché une seule seconde par cette attitude, son ami était assis non loin et observait la scène d'un œil scrutateur. Martha fut vite intriguée et décida de se rapprocher du groupe qui commençait déjà à grossir. Rien de bon qui vaille, si elle s'écoutait penser.
Par réflexe, elle chercha Julie du regard parmi les badauds mais ne la trouva pas, pas plus qu'Elisabeth. Elles devaient sans doute être ensemble, tout du moins elle l'espérait.
— On ne veut forcer personne à venir, mais on pense que c'est une idée... Rester ici à tourner en rond ne nous fera pas avancer dans tous les cas.
Le baraqué répondit d'un « non » de la tête jeté avec véhémence, il compléta :
— Vous ne pouvez pas prendre une décision comme ça, si on doit attendre ici longtemps il faut compter les ressources, s'organiser... On ne va pas vous laisser partir on ne sait pas où, avec ce qui doit être partagé ! On ne sait pas ce qui peut arriver et on a besoin de tout ce qu'on peut avoir jusque là...