— Et t'es étudiante, c'est ça ?
Émile ne lâchait pas Elisabeth d'une semelle depuis qu'ils étaient rentrés dans le boyau. Mathias n'arrivait pas à déterminer si elle lui avait tapé dans l'œil ou si il était juste extrêmement lourd de nature. Quand ils déblayaient les éboulis, la veille, il n'avait pas été loquace mais en même temps ils avaient tous la bouche masquée et l'activité ne prêtait pas à la causette. Il découvrait un autre côté du jeune homme.
En attendant, il riait sous cape de voir la jeune fille se faire ainsi acculer, elle qui ne voulait rien lâcher en termes d'informations personnelles était prise comme un chevreuil dans les phares d'une voiture. C'était admirable, quelque part, cette discussion uniquement constituée de questions personnelles et de réponses monosyllabiques.
— Mathias ? Tu m'écoutes ?
Il sortit de ses pensées pour tourner la tête vers son collègue, Mitsu. Ce dernier lui donnait du regard ténébreux tous sourcils froncés, une spécialité de sa part.
— Hum ? Oui. - un silence - Non, pas vraiment.
— Merci de ton attention... Ce qu'on cherche - Mitsu jeta un regard en biais au couple qui marchait devant eux, Elisabeth avait toujours l'air d'enrager et Émile de ne pas en voir une miette - je pense qu'on en approche.
L'oasis était un lieu de déjeuner connu dans le commissariat, elle était proche et contenait plusieurs options de restauration ce qui en soit convenait à beaucoup de ses employés. Ce qui voulait également dire qu'en théorie, ils pouvaient approcher de celui-ci par les sous-sols et potentiellement à l'armurerie qui s'y trouvait. Il y avait peu de chances que les éboulements aient creusé une voie royale pour y accéder mais ça valait toujours le coup d'essayer, avaient conclu les deux hommes, de la même manière qu'ils trouveraient peut-être une sortie ou un endroit où les radios pouvaient leur permettre de communiquer avec le monde extérieur.
— Sur la gauche, c'est ça ?
Mitsu hocha la tête. Ils avaient marché pendant une demi-heure depuis qu'ils étaient partis, explorant chaque recoin qui ressemblait à un couloir ou à une ouverture possible mais pour le moment ils n'avaient pu progresser que tout droit - et ils marchaient toujours dans ce satané centre commercial ! Comble de malchance, et merveille de la technologie, la plupart des couloirs communiquants avaient été fermés automatiquement par mesure d'urgence. Une alerte qui avait suffit à en évacuer la plupart des civils, mais pas eux.
Mathias n'avait jamais tenté d'explorer les couloirs de ce centre commercial auparavant mais il s'apercevait qu'il était tout simplement tentaculaire. De temps à autres, ils étaient tombés sur d'autres portions éclairées par des lampes de secours ou ils avaient aperçus au loin derrière des débris qu'ils ne pouvaient pas déplacer des points lumineux indiquant que d'autres portions des souterrains avaient un système électrique toujours en fonctionnement. Ils semblaient tous les quatre néanmoins être les seuls êtres vivants aux alentours, exceptés quelques rats et insectes croisés ça et là.
Ils continuèrent donc leur route, éternellement droite un long moment jusqu'à enfin tomber sur un couloir sur leur gauche qui semblait mener quelque part.
— On fait une pause ? demanda Elisabeth.
C'était beaucoup plus fatiguant qu'elle ne le pensait de marcher ainsi à la lueur des lampes torches. Même si le sol était toujours fait de carrelage et que les obstacles n'étaient pas si nombreux, ils devaient sans cesse être sur le qui vive et attentifs à tout ce qui se passait autour d'eux. Les garçons acquiescèrent et ils s'assirent sur le sol pour prendre quelques gorgées d'eau bien méritées.
— Ça va Elisabeth ?
La voix de Mitsu avait brisé un lourd silence installé entre eux quatre, elle était tendue et ça se ressentait jusque dans sa façon de s'asseoir en serrant ses genoux entre ses bras.
— C'est stressant, on ne sait pas sur qui on pourrait tomber ici. Peut-être que les Eugénistes ont investi les sous-sol après tout...
Elle tentait de s'exprimer d'une une voix détendue mais la tension y était palpable, c'était un sujet où elle n'était pas à l'aise.
— Je trouve que tu as vachement peur de finir chez les Eugénistes, commenta le châtain.
— Mathias et son manque de tact légendaire ! le taquina son collègue, un peu amer.
Elisabeth les coupa aussitôt d'une voix blanche :
— Je connais Sarah.
Un silence de mort s'ensuivit.
— « La » Sarah ? demanda Émile si bas qu'elle le devina plus qu'elle ne l'entendit clairement.
Elle hocha la tête, l'ombre de ses cheveux noirs dansant sur le mur de béton derrière elle.
— On allait à l'université ensemble ici. Le jour où elle s'est fait enlever, j'étais avec elle.
Sarah avait été retrouvée trois ans plus tard, après avoir passé une batterie de tests et subit des tortures presque quotidiennes. Elle avait été la première survivante ramenée en vie des camps des Eugénistes et faisait figure d'étendard de l'espoir, mais visiblement elle évoquait la peur chez sa propre amie. Quelque part, sa peur était tout à fait compréhensible et nul n'osa lui répondre quoi que ce soit pendant un long moment.
— Et tu penserais que des gens civilisés comme nous installeraient des lignes d'urgence au cas où quelqu'un serait coincé ici, finit par dire Mathias.
Mitsu se leva d'un geste souple avant de tendre sa main vers la jeune femme :
— On le penserait, hein ?