Chapitre 2

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— Comment tu peux passer ta pause en sous-sol ? Ça me dépasse.

Mitsu souffla de dépit dans son café pour ponctuer sa critique. Une myriade de cheveux noir vola devant ses yeux, récoltant quelques gouttes de café au passage. Il soupira de plus belle.

Son regard se fixa sur les bancs juste en face des deux hommes, au milieu d'un faux oasis de verdure et de sons sensés leur rappeler la nature qui les attendait dehors. Vraiment, cette envie de vert en plastique, ça le dépassait.

— Mais en attendant, tu déjeunes avec moi !

Si Mathias venait souvent prendre son repas de midi ici, il était vrai qu'il avait dû faire des pieds et des mains pour que son ami et collègue l'accompagne aujourd'hui. Mais il voulait lui parler, et de préférence loin des oreilles indiscrètes du commissariat. Depuis qu'ils étaient assis là, il cherchait le bon moment mais l'humeur morose de Mitsu ne présageait rien de bon à mettre ce genre de sujet sur la table.

— Et donc, demanda ce dernier, de quoi tu voulais me parler au juste ?

— Je suis si transparent que ça ? répondit-il du tac au tac.

Les yeux bridés de son compagnon se plissèrent, il leva un sourcil dont Mathias n'aurait su discerner si c'était du dépit ou de la circonspection et finit par répondre :

— Au bout du trentième message destiné à me convaincre que prendre un déjeuner à la palmeraie était une bonne idée, j'ai commencé à avoir des soupçons, oui.

Pris sur le fait, Mathias partit dans un rire gêné sans pour autant commenter la pique qu'il venait de recevoir.

— Alors ? lui intima de nouveau son ami.

Il recoiffa ses cheveux derrière les oreilles comme pour s'occuper les mains et se donner du courage puis finit par se rasseoir bien droit et croiser les bras devant son torse :

— J'ai comme qui dirait aperçu des rapports de mission top secrets sur les bases ennemies... Ramenés par l'unité de la Survivante.

Ce n'était pas comme si il n'y avait plus qu'une seule survivante, il y en avait une qu'on avait pas besoin de nommer néanmoins. La première d'une longue liste, Sarah, légende vivante des petites victoires des Naturalistes contre les Eugénistes. Même raison pour laquelle l'unité qui l'avait sauvé continuait à avancer en terrain ennemie pour y enquêter et grappiller du territoire.

— Ah, répondit l'Asiatique.

Une réponse aussi morne que le sandwich qu'il avait commandé, il ne pouvait pas faire un peu plus d'efforts ?

— Comment ça, ah ?

— Je digère.

— C'est pas terrible ici mais quand même, ça te coupe pas les connections là-dedans.

Il se frappa la tempe d'un doigt rageur pour illustrer ses propos. Il ne savait pas à quoi s'attendre en voulant partager cette nouvelle mais il ne s'attendait pas à si peu de réaction.

— Ce que tu m'as dit, répondit Mitsu acerbe.

Il croisa à son tour les bras et se rapprocha de la table, créant une atmosphère un peu plus secrète entre eux.

— Ça confirme ce qui se dit ?

Mathias roula des épaules, il semblait hésiter sur la façon de commenter. Derrière lui, Mitsu aperçut des personnes se hâter dans les escaliers vers la sortie, pas assez pour l'alarmer mais assez pour attirer son attention. Une rumeur enflait, les gens semblaient discuter de quelque chose qu'ils avaient remarqués dehors.

— Quoi ? demanda Mathias.

Il avait été un peu vexé de voir que son ami semblait accorder si peu d'attention à leur discussion, mais encore plus de le voir l'ignorer ostensiblement. Il se retourna pour suivre son regard mais ne put pas terminer son geste, une explosion juste au dessus d'eux fit trembler le sol avec violence.

Il décolla de sa chaise et tomba sur le sol, se rattrapant de justesse en plongeant les bras en avant. Mathias entendit avant de le voir un bout du plafond tomber à quelques mètres à peine de lui, écrasant le restaurant où ils venaient tout juste de prendre leur sandwichs insipides. Par réflexe, il chercha Mitsu du regard : il avait été lui aussi projeté au sol mais avec sa chaise, toujours assis dedans à l'horizontale. Si la situation n'avait pas été aussi critique, il en aurait sans doute ri.

— Ça répond à ta question ? hurla-t-il par dessus les hurlements naissants autour d'eux.

Des alarmes se mirent à retentir, les systèmes anti-incendie de la plupart des magasins autour d'eux commencèrent à arroser allègrement débris et personnes encore au sol et la panique se propageait comme une traînée de poudre autour d'eux. Mathias n'avait pas assez mal pour s'inquiéter alors il se releva d'un bond - sans réfléchir - et aida aussitôt son collègue à en faire autant.

— Je suppose qu'on a zéro protocole pour ça, commenta ce dernier à voix basse. Et je n'ai évidemment pas mon arme de service sur moi...

La châtain tâta ses poches à son tour, rien de plus que ses clés et son portefeuille...

— Pas d'affolement, répondit-il cependant, on ne sait pas ce que c'était. - il leva les yeux au plafond, avisant des bouts de plastiques et de béton qui semblaient sur le point de tomber - Écartons-nous de ça pour commencer.

Avançant en direction du centre de la palmeraie - qui avait miraculeusement gardé ses plantes en plastique dans un état impeccable -, ils aidèrent quelques personnes à se relever sur le chemin, encourageant vivement tout le monde à se rassembler vers le centre, où le plafond semblait intact et où il serait plus facile de secourir tout le monde. Les murmures persistaient autour d'eux, tout le monde semblait perdu et apeuré, mais sain et sauf.

Soudain, des hurlements en provenance d'un escalier résonnèrent sous la voûte de béton. Tout le monde se retourna d'un geste vers l'origine du bruit : un des escaliers en provenance de la rue, un accès direct qui permettait de rentrer dans le centre commercial souterrain. Une petite foule compacte, courant vers eux d'une façon complètement désorganisée s'éparpilla dans le sous-sol en quelques secondes à peine.

La seconde explosion retentit.

Beaucoup plus violente, plus puissante, elle fit trembler le sol dans un bruit de déchirement macabre. Le plafond qui menaçait de s'effondrer plus tôt abandonna définitivement son support pour s'écraser avec fracas sur les tables et chaises de métal noir. D'autres morceaux suivirent le même chemin créant un nuage de poussière grisâtre qui fit tousser les deux policiers, ils se couvrirent la bouche de leur manches avant que le calme ne revienne.

Le nuage se dissipa peu à peu, dévoilant un paysage digne d'un décor de film apocalyptique : débris de béton ou morceaux de plastiques enchevêtrés les uns sur les autres, corps à moitié ensevelis, enfants hurlants et personnes désorientées. Rassurer et calmer tout le monde semblait littérairement impossible en l'état, Mathias n'osa même pas tenter de joindre l'extérieur par téléphone pour le moment : il ne doutait pas que les lignes étaient coupées pour le moment et que ses collègues étaient déjà à l'œuvre de toute façon. Une partie du circuit de secours avait pris le relais, jetant des lumières blafardes sur la scène mais laissant une ombre oppressante en bordure de place centrale.

— Qu'est-ce qu'on fait ? Demanda Mitsu en s'essuyant le visage.

Même si la poussière retombait au sol, ils en étaient tous recouverts comme d'une bonne couche épaisse de peinture. Cette saloperie allait rentrer dans les plaies des blessés, pensa Mathias en soupirant. Il finit par répondre, assez fort pour couvrir les hurlements d'une personne coincé sous un pot de fleurs géant non loin d'eux :

— Aider les blessés. Aider les blessés et attendre.

Juste après la Fin du MondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant