Chapitre 10

115 13 2
                                    

— Vous voyez que j'ai bien fait de venir !

Seuls les pieds d'Émile dépassaient du tunnel dans lequel il s'était enfoncé. Une chatière qui s'était formée à cause d'un éboulement, dans laquelle il avait pu se glisser pour aller voir si elle donnait sur un autre couloir. Ses trois compagnons n'avaient pas eu besoin de dire à haute voix à quel point ce quatrième larron leur était devenu insupportable : il était bruyant - ils avaient beau lui répéter que le silence était de mise, qui savait sur qui ils pouvaient tomber ici ? Il continuait à parler encore et encore sans discontinuer - et il ne cessait de poser des questions indiscrètes comme si il voulait les connaître tous les trois de fond en comble.

En son for intérieur, Mathias souhaitait qu'il ne sorte pas de ce boyau. Jamais.

La possibilité qu'il reste coincé de l'autre côté, trouve une sortie et guide les équipes de secours jusqu'ici était une douce utopie qu'il caressait du bout des doigts. Si il était un poids plume qui pouvait effectivement se glisser dans cette étroite ouverture, il était certain qu'Elisabeth aurait pu faire de même et donc, il aurait très bien pu ne pas venir et les laisser en paix. CQFD. Le châtain se fit une note mentale : ne plus jamais partir en petit groupe avec ce satané blond.

Alors que ce dernier continuait à s'égosiller tout en progressant et remuant sans cesse ses pieds comme des tentacules dimorphes, il entendit Elisabeth claquer de la langue pour manifester son agacement.

— Un problème ? demanda-t-il mesquin.

— Si le poulet s'y met, je rentre seule, ironisa-t-elle.

— Mais quelle ambiance !

Mitsu marchait en rond derrière eux, repassant le plan qu'il était en train de dessiner au fur et à mesure de leur avancée devant ses yeux pour le mémoriser. Si sa remarque semblait rajouter de l'eau sur le feu, il l'avait dite en riant à moitié. De son côté, cette espèce de petite joute verbale l'amusait beaucoup et mettait justement un peu de piment dans cette ambiance qu'il trouvait morbide. Plus on avançait, plus les gens semblaient perdre espoir. Lui y compris.

— Si il ne trouve rien, je pense qu'on devra rebrousser chemin. Ce côté semble être un vrai cul-de-sac, commenta-t-il.

— ...ière !

C'était Émile qui venait de crier, sa voix étouffée ne leur était parvenue qu'à moitié. Elisabeth se pencha près de la chatière qu'elle éclaira de sa lampe torche. Elle fut ravit de constater qu'elle éblouissait complètement le jeune homme qui avait tourné le visage vers eux pour se faire entendre.

— Quoi ? demanda-t-elle.

— De la lumière, je vois de la lumière !

— Ce sont les générateurs, répondit-elle presque avec dédain...

— Non, cria-t-il de plus belle. De la lumière naturelle !

Mitsu bondit en avant bousculant la jeune fille au passage, il éblouit à son tour le blond qui râla bruyamment dans son étroit passage. L'Asiatique se trouvait sous le coup de l'excitation et assaillit tout de suite de questions Émile :

— Tu peux l'atteindre ? On est pas si proches du sol, t'es certain que c'est pas juste un reflet ? Mais avances au lieu de rester planté là ! Il faut qu'on sache si on peut l'atteindre ! On peut l'atteindre ? Est-ce qu'il nous faut du matériel pour déblayer ? Tu peux entendre ce qui se passe dehors ?

— Du calme... - Mathias posa une main ferme sur son épaule, sa bouche forma un pli amusé - Émile, tu peux encore avancer ?

— J'pense pas, dit-il.

Un bruit de frottement et d'éboulis parvint jusqu'à leurs oreilles, il était en train de se contorsionner dans le passage pour essayer de se hisser plus loin mais vu ses grognements, il ne semblait pas capable d'aller beaucoup plus loin.

— Sors de là, lui intima Elisabeth.

Elle se délesta de son sac à dos en un geste avant de retirer son pull :

— Tu fais quoi ? demanda Mathias en pouffant.

— Je vais répondre aux questions de Mitsu, crétin.

Elle attendit avec impatience qu'Émile se hisse hors du couloir en se contorsionnant comme un beau diable, le brun trépignait d'impatience et Mathias riait sous cape. À peine son prédécesseur sorti, Elisabeth s'engagea dedans tous bras en avant et rampa lestement, sa lampe coincée entre les dents. Le bruit de frottement de ses vêtements contre la pierre cessa au bout de quelques longues secondes et ils virent le faisceau lumineux balayer le tunnel de bout en bout.

— Je pense que c'est un reflet, cria-t-elle, mais c'est définitivement de la lumière naturelle. Le couloir est bouché par contre on ne peut avancer plus que ça.

Émile haussa les épaules l'air de dire qu'il aurait très bien pu leur dire lui-même mais il avait vite compris qu'Elisabeth était une têtue qui aimait vérifier les choses. Mitsu était toujours aussi nerveux, sa lampe balayant également le tunnel alors qu'il se tenait devant comme un enfant devant un sapin de Noël.

— J'y crois pas, dit-il, ça va être la folie au camp si on leur dit...

— Il vaut mieux ne rien dire pour le moment, on est sûr de rien, lui répondit son collègue.

La jeune femme se dégagea à son tour du tunnel, rebroussant chemin lentement. Autant elle n'était pas inquiétée par le peu d'espace dont elle disposait pour se mouvoir, autant elle trouvait que les murs autour d'elles n'avaient pas l'air stables.

— Je pense qu'on peut dégager assez ce tunnel pour y aller, dit-elle.

— Je suis d'accord, rajouta Émile. C'est étroit mais en plus ça a pas l'air de tenir très bien, ça doit se creuser facilement.

Un léger silence s'installa alors qu'ils réfléchissaient tous aux implications de cette découverte ; derrière, ils pouvaient toujours entendre des cailloux tomber un à un dans l'ouverture. Mathias leva son index et son majeur devant lui :

— Deux questions, on fait quoi et on dit quoi ?

— On peut toujours continuer ce chemin et voir si on peut trouver un autre accès plus stable ? proposa Mitsu.

Il n'avait pas vraiment l'air sûr de lui et Elisabeth soupira fortement puis lui répondit avec véhémence :

— Je pense qu'on peut dégager ce tunnel si on s'y prend pas comme des brutes... Je ne vois pas l'intérêt à aller perdre du temps à chercher quelque chose qui n'existe pas pour atteindre un endroit dont on n'est même pas sûr qu'il nous mène dehors !

Leur lampes étaient braquées sur le sol, pour éviter de s'éblouir les uns les autres, éclairant leur chaussures recouvertes de poussières et de boue. Les endroits où le béton avait cassé rencontraient quelquefois des nappes de terres et d'eau rendant le sol de moins en moins urbain au fur et à mesure de leur exploration. L'absence de bruit également, était une chose qui les avait surpris et rajoutait à leur stress. Le silence souterrain était une chose à la fois fascinante et effrayante.

— On ne peut pas donner de faux espoirs à tout le monde, impossible de prévoir la réaction de tant de personnes, dit soudain Elisabeth.

La chose dont elle avait peur, et la même chose dont les deux policiers voulaient se prémunir était une émeute ou au moins un mouvement de foule qui dans ce huis-clos pouvait dégénérer, ils acquiescèrent tous les deux. Écrasé par le nombre mais pas vraiment convaincu, Émile acquiesça à son tour.

— Je pense qu'Eli' a raison pour le tunnel aussi, compléta-t-il.

La jeune femme fronça les sourcils à l'évocation de ce surnom mais ne dit rien, se contentant de pincer les lèvres. Si Mathias releva, il n'en laissa rien paraître et acquiesça une nouvelle fois :

— Je crois qu'il va nous falloir revenir avec du matériel dans ce cas.

Juste après la Fin du MondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant