Chapitre 19

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Après sa discussion houleuse avec Mathias, Elisabeth s'était empressée de trouver de quoi s'occuper : les mains, mais surtout l'esprit. Elle était tombé sur une partie du groupe des étudiants en plein rangement des vêtements et draps trouvés, plier du linge elle savait faire : c'était parfait pour oublier tout ça.

Tout en pliant les bouts de tissus, n'importe quoi qui lui tombait sous la main à vrai dire, elle entendait Chloé déblatérer sur les derniers ragots du camp. Elisabeth était bluffée de constater à quel point les gens pouvaient se lier et se haïr aussi vite alors que la plupart ne se connaissaient ni d'Eve ni d'Adam avant de débarquer ici : depuis le début du siège des dizaines de couples s'étaient déjà plus ou moins fait et défait. Enfin, si on en croyait Chloé sur parole en tout cas.

— Et donc, interrogea celle-ci, Mathias et Mitsu ...?

Fines lunettes rondes à montures tendance et queue de cheval blonde, Chloé donnait souvent la première impression d'être une élève modèle mais bien au contraire, elle aurait vendu père et mère pour le potin le plus croustillant à raconter. Elisabeth en avait fait les frais lorsqu'elle s'était retrouvé en travaux dirigés avec elle en sortant d'une nuit de travail : entre sa propre inefficacité et la capacité incroyable de Chloé à oublier qu'elle était en cours quand elle entendait les mots « tu connais pas la dernière ? », elles avaient récolté des notes bien salées à elles deux. Elle aperçut Dom' et Sayid derrière qui l'air de rien laissaient une oreille traîner, ne pliant plus vraiment des vêtements mais attendant plutôt la suite de l'histoire.

— J'en sais pas plus que toi, désolée Chloé.

— Mais allez Eli' - un éclair d'agacement lui fit crisper les doigts, combien de fois lui avait-elle dit qu'elle détestait ce surnom - tu dois bien savoir, non ? On t'a encore vu avec Mathias pas plus tard que tout à l'heure avec, je cite « l'air de parler de quelque chose de très sérieux».

Le réseau d'informations de Chloé était, il fallait l'avouer, impressionnant. Si seulement elle pouvait le mettre à contribution de l'équipe qui bossait plutôt que pour se distraire. Elisabeth haussa les épaules pour s'excuser tout en posant le pull qu'elle venait de plier, elle en profita pour changer d'appui sur ses jambes : ses sutures continuaient à tirer lorsqu'elle se tenait debout trop longtemps. Pour être honnête, elle ne pensait pas être sérieusement en état de repartir gambader dans les jours qui suivaient mains n'importe quoi sauf continuer à ce rythme.

— Tu fais partie du club, non ? insista Chloé.

— Du club ?

Elle n'avait sincèrement aucune idée de ce que la jeune fille entendait par là. Celle-ci se tenait mains en appui sur les hanches, dardant Elisabeth d'un regard qui se voulait impressionnant. Intriguée, la brune se retourna pour lui faire face et attendit la suite de son explication.

— Bah oui, le club des leaders avec les flics et la grand-mère.

Elisabeth la regarda avec une expression de pure incompréhension peinte sur le visage :

— C'est pas comme si on formait une sorte de club, c'est juste que les gens les plus actifs se sont rassemblés, ça me parait naturel...

C'était de la sociologie de base et une discrète comme Chloé était bien la dernière à vouloir se mettre en avant dans ce genre de rassemblement, elle préférait écouter aux portes pour aller colporter plus tard c'était comme ça. Derrière elle, Sayid et Dominique étaient attentifs et semblaient prêt à rentrer dans le débat, ayant visiblement définitivement abandonné l'idée de faire semblant de travailler.

— Attends, c'est comme ça que vous nous voyez ? Des despotes ayant pris le pouvoir pour nous amuser ?

Dominique afficha un sourire contrit en enfonçant la tête dans les épaules, les deux autres étudiants décidèrent de garder le silence. L'atmosphère était devenu pesante et un réflexe de survie soufflait à Elisabeth de s'enfuir à toute vitesse, elle sentait au fond de son estomac que ce qu'elle allait dire ne pourrait pas être repris.

— Mais pourquoi vous me parlez encore si vous me prenez pour un tyran ? explosa-t-elle.

Vous risquiez votre vie pour sauver une bande de clampins feignants et peureux et c'était par du mépris qu'ils vous remerciaient ? La jeune femme enrageait intérieurement, avant de se souvenir pourquoi elle évitait de se mêler à ses nouveaux camarades d'université et préférait les collègues de sa vie nocturne. Ils n'étaient encore que des gamins.

— On te connaît, répondit Sayid à mi-voix. C'est plutôt eux, tu sais...

— Mathias ? Mitsu ? Mais ils ne feraient pas de mal à une mouche.

Elle n'en jurerait pas, mais elle les trouvait très urbain pour le moment et malgré leur complexe de superman ils faisaient des efforts pour que les choses avancent, contrairement à d'autres qui se tournaient les pouces avec des satanés draps qui ne serviraient sans doute à personne. Et également beaucoup plus urbain que Jean, dont elle sentait le regard lui brûler la nuque à chaque fois qu'elle traversait le camp depuis leur « rencontre » au rayon papeterie du magasin.

— Et Martha, affirma Sayid.

Non mais quelle blague, pensa Elisabeth, Martha aussi les faisait flipper ? Il ne restait plus qu'à demander à Julie de leur filer des ordres et ils s'inclineraient plus bas que terre en implorant la miséricorde. Elle attrapa sa veste, posée sur le mur, pour l'enfiler d'un geste sec.

— On essaye de protéger tout le monde, de nous sortir d'ici le plus vite possible ! - son ton était bien plus sec et cinglant qu'elle ne l'aurait bien voulu, impossible de juguler l'énervement qui sortait de sa bouche - Désolée de ne pas vouloir mourir ici et de penser à vous, en passant !

Chloé parut s'apercevoir enfin de l'effet de leurs mots sur Elisabeth, tentant d'attraper son bras pour la retenir mais la jeune femme fut plus rapide et recula d'un coup sec :

— Bas les pattes, je vais aller rejoindre mon putain de club. Et surtout, continuez à ne rien faire d'utile pour tout le monde !

Elle aperçut l'expression de Dom' se décomposer et Sayid jurer, elle décida qu'elle en avait assez vu : elle attrapa son sac d'un geste rageur et tourna les talons, avec pour objectif de marcher aussi vite que sa jambe ne lui permettait mais un grondement sourd l'arrêta en plein mouvement.

— Qu'est-ce que c'est ? demanda Chloé d'une voix blanche.

La terre se mit à trembler, le grondement en provenance du plafond s'accentuant. Déjà, des cris de panique se faisaient entendre et certains se mettaient même à courir pour se mettre à l'abri sous des voûtes. Des débris et de la poussières tombèrent du ciel, provenant de morceaux du plafond qui semblaient frotter les uns contre les autres.

— J'en sais rien, mais on ferait mieux de se mettre à couvert, répondit Elisabeth. Julie ! cria-t-elle.

Elle venait d'apercevoir la petite fille courir voir d'où provenait le bruit, et se planter juste sous le plafond évidemment. Elle tourna à peine la tête pour l'écouter, préférant fixer le plafond comme si elle allait trouver l'origine de ce bruit par un heureux hasard.

— Je m'en occupe, dit Sayid.

Et il se mit à courir à la place d'Elisabeth qui ne pouvait plus, pour attraper la petite fille sans ménagement et la mettre à couvert là d'où elle venait. Soupirant, Elisabeth marcha aussi vite qu'elle le pût pour les rejoindre et attendre, anxieusement, que cesse ce bruit étouffant.

Juste après la Fin du MondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant