— On dirait que je prends l'habitude de t'attraper au vol.
Une fois que les deux gaillards - qui étaient sans doute des représentants de l'ordre, Elisabeth en mettrait sa main au feu - avaient fini leur recrutement et s'était mis à leur besogne, la jeune femme avait enfin lâché la bouche et le bras de la fillette. D'un geste, elle l'avait fait pivoter vers elle pour lui mettre un peu de plomb dans la tête :
— Tu ne pensais tout de même pas te porter volontaire ? lui demanda-t-elle sèchement.
Il n'y avait pas tant d'enfants que ça coincés sous terre, elle avait vite retrouvé la petite fille qu'elle avait embarquée à la va-vite avant de se précipiter dans l'escalier juste avant la seconde explosion. Maintenant qu'ils étaient tous bloqués ici, elle ne pouvait s'empêcher de se demander si elle avait bien fait... Peut-être serait-elle de nouveau avec ses parents en surface, bien au chaud en train de se faire rassurer par des bras aimants.
Elle s'agenouilla pour mettre son visage au même niveau que le sien, plus de cris de terreur pure, bien loin de l'attitude enfantine quelques heures plus tôt son visage n'était plus que résolution. Il serait sans doute difficile de lui faire entendre raison...
— Et pourquoi pas ? répliqua-t-elle.
Elle décida de ne pas y mettre les formes :
— Parce que tu ne peux rien faire pour eux ! - la fillette ouvrit la bouche pour répondre mais Elisabeth prit les devants - Si tu veux vraiment aider il y a sûrement quelque chose à faire mais pas ça, tu es bien trop petite pour aider à porter des... Des choses lourdes comme ça. D'accord ?
La petite fille parut hésiter, sa bouche ne devint qu'un pli mais elle acquiesça lentement.
— Comment tu t'appelles ?
— Julie.
La jeune femme tendit la main en avant :
— Elisabeth. Et je vais aller demander ce que tu peux faire pour aider, d'accord ?
Julie acquiesça de nouveau, vivement, et glissa sa main dans celle offerte devant elle, les mèches brunes s'échappant de sa queue de cheval caressèrent leur poignée de main.
— Tu peux me promettre de rester là pendant que je le fais ? Il y a d'autres enfants là-bas, tu peux peut-être aller voir ce qu'ils font en attendant.
Elle hocha de nouveau la tête mais sans grande conviction cette fois, laissant Elisabeth se relever et se mettre en route vers le groupe de quatre hommes affairés à déblayer un corps.
— Tu vois, j'y vais, lança-t-elle tout de même par dessus son épaule.
Mais Julie était déjà parti se rasseoir, tout seule non loin d'une dame d'âge mur aux cheveux bien grisonnants sur un banc de fortune. Elle soupira et remua la tête, au moins une chose de faite. Les « leaders » maintenant.
Le groupe de croque-morts avait attaché des foulards autour de leur visage pour se couvrir la bouche et le nez, sans doute autant pour se préserver de la poussière de béton que de l'odeur que pouvait peut-être déjà dégager les cadavres. Ils en étaient encore à simplement déplacer les bouts de béton sur le côté, pour accéder au cadavre en dessous.
La jeune femme retrouva très vite qui elle cherchait : monsieur cheveux châtains et monsieur cheveux noirs de jais. Ils étaient tous les deux agenouillés sur le tas de débris, dégageant morceau par morceau le funeste tumulus.
Tandis qu'elle se rapprochait, ils levèrent la tête tous les quatre, interrompus en plein travail. Elle s'arrêta à quelques pas d'eux, assez loin pour pouvoir parler tranquillement.
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