Chapitre 24

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— Tu sais ce qui nous manque, Mitsu ?

— Non, Mathias, dis-moi ce qui nous manque, répondit l'Asiatique sans même essayer de cacher à quel point la conversation de son collègue pouvait l'ennuyer.

— Une radio, tu sais, pour communiquer avec le camp quand on s'en va comme ça...

Ils marchaient au pas, eux deux en tête, Dom' et Sayid derrière eux. Le groupe d'explorateurs avait très vite décrété que la discussion des uns et des autres ne les intéressaient pas vraiment et qu'ils avanceraient sans doute plus vite en silence, mais c'était évidemment sans compter sur le caractère si bruyant de Mathias. Il se plaignait d'Émile mais il ferait bien de faire un peu de ménage devant sa propre porte avant de dire quoi que ce soit la prochaine fois.

La journée avait pourtant été bonne, ils avaient trouvé un nouveau couloir potentiel vers l'air libre et ils avaient même commencé à le déblayer mais le châtain avait décidé de parler tout son saoul sur le chemin du retour ne laissant aucun répit aux oreilles de son ami. De tout de rien, mais surtout de rien à cause des oreilles indiscrètes qui voyageaient avec eux, ils ne pouvaient pas vraiment aborder les sujets brûlants et se contentaient donc de passer en surface sur des thèmes aussi passionnants que le meilleur fruit du monde ou le premier plat avec lequel ils se feraient péter le bide dès qu'ils sortiraient de ce sous-sol.

Si ils en sortaient. Non pas qu'ils perdaient espoir, mais les habitudes commençaient à entrer en eux et voir au delà de demain relevait maintenant de l'effort pur et simple.

— Et bien, tu n'as qu'à chercher une radio quand on rentrera au camp, je suis certain que ça fonctionnera très bien ici... Je peux savoir pourquoi tu es d'humeur si loquace aujourd'hui au juste ?

— Je relâche la pression ! répondit-il en souriant allégrement.

Mitsu en venait à regretter ses conseils, il resserra les lanières de son sac à dos et se prépara mentalement à recevoir vaillamment tout ce que Mathias allait lui envoyer pendant la vingtaine de minutes restantes avant d'atteindre le camp. Il résista, répondit laconiquement par des « oui » ou « vraiment ? » histoire de ne pas laisser son ami parler dans le vide et ils arrivèrent enfin au camp, signant la fin du calvaire.

— J'en pouvais plus ! lâcha Dom'.

De quoi, elle ne précisa pas : elle balança son sac au sol avant de s'étirer dans tous les sens. Ils s'étaient arrêtés en bordure du camp, dès que les lumières blanchâtres des générateurs les avaient éclairés afin de réhabituer leur yeux à cet environnement bien plus lumineux. Éteindre les lampe torches, se débarrasser des vêtements gorgés de sueur, étirer les membres raidis par l'effort : un rituel qui les déconnectait des sombres couloirs pour les reconnecter au non moins sombre camp, finalement.

— Ça sent pas bon, ça.

Mathias pointait du doigt quelque chose derrière Mitsu, ce dernier se retourna et découvrit Elisabeth qui avançait vers eux d'une démarche redevenue normale grâce à son repos forcé. Elle allait sans doute leur demander d'un moment à l'autre à repartir en exploration, ce qui n'enchantait ni Mathias ni Mitsu mais il serait difficile de lui refuser sans excuse valable. Lorsqu'elle fut assez près, il s'aperçut que son visage était dur, son expression sérieuse comme si quelque chose était arrivé durant leur absence. Effectivement, ça ne sentait pas bon.

— On a des disparus.

— Des disparus ?

C'était Sayid qui venait de parler, ils s'étaient rassemblés tous les quatre autour d'elle rapidement conscients de la gravité de la situation.

— Carol et ses deux enfants sont introuvables depuis ce matin, c'est Julie qui me l'a fait remarquer ce midi.

Il était pas loin de 17 heures, si ils étaient introuvables depuis ce matin on en pouvait que présager le pire. Mitsu entreprit de poser des questions pour en savoir plus, il ouvrit la bouche mais Elisabeth le coupa aussitôt :

— Économise ta salive : personne ne les a vu, j'ai fait le tour du camp. Ils ont annoncés qu'ils partaient en balade - ils écarquillèrent les yeux en entendant le mot « balade », Elisabeth leva les yeux au ciel pour dire ce qu'elle en pensait - dans les couloirs sud ce matin, j'ai été passer un savon à Jean en pensant qu'il leur avait fourni des lampes mais ce n'est même pas lui. Ils se sont visiblement servis tout seul.

Un long silence accueillit les explications : inutile de dire à haute voix que la petite famille avait fait quelque chose d'absurde et que au mieux ils étaient perdus, au pire sans doute coincés ou sous un éboulement.

— Pas de tremblement de terre ou de bruit d'effondrement aujourd'hui ? interrogea Mathias.

Lui et Mitsu se préparaient déjà mentalement : enfiler d'autres vêtements à la va-vite, prendre une boisson énergisante en passant et repartir de l'autre côté. Ils avaient fait un tour rapide dans ces couloirs mais ne les avaient jamais cartographiés ou même sécurisés. Elisabeth fit non de la tête, elle pointa du pouce le stock du camp :

— J'ai mis de côté des sacs à dos avec des vivres et du matériels, six, et j'ai des volontaires pour partir sur le champ mais je voulais attendre de vous voir rentrer avant de lancer quoi que ce soit.

— Super, t'en un ange, lui dit Mathias en lui tapotant l'épaule. Mitsu ?

Ce dernier hocha la tête, ils repartaient sur le champ évidemment. Dom' et Sayid semblaient un peu plus sceptiques et sans doute un peu moins rôdés que deux policiers, ils laisseraient sans doute leur place à des personnes plus fraîches qu'eux. Alors que les policiers la dépassaient et se dirigeaient droit vers le stock, Elisabeth se retourna pour les suivre à son tour :

— Laissez-moi y allez, insista-t-elle.

« Vous n'êtes pas mes parents » avait-elle envie d'ajouter mais elle s'en garda bien. L'ambiance était devenu incroyablement tendue d'un coup, tout le monde s'imaginant le pire. Les chances de les retrouver semblaient aussi fines que celles de se faire secourir dans l'heure avec un plateau de cafés fraîchement passés et encore bien chauds.

— Vous savez très bien que je peux y aller sans problèmes, ma jambe est guérie, et vous êtes épuisés.

Oui, mais eux deux avaient des armes et elle non, et Mitsu refuserait catégoriquement de lui en confier une pour les raisons qu'ils avaient évoqué la veille. Elle entendit l'Asiatique soupirer mais il ne dit rien, agaçant quelque peu la jeune femme. Elle sentait bien qu'il émettait une réserve de plus en plus grande à son égard et elle comprenait pourquoi mais dans le cas présent, on parlait d'une urgence : il était temps de mettre ça de côté.

— Ok, finit-il par dire après réflexion. Qui d'autre ?

— Émile, Jean et Chloé, énuméra-t-elle sans hésiter une seule seconde.

Des choix logiques et stratégiques, même pas mauvais se dit Mathias. Il se mit à genoux puis se saisit d'un des six sacs préparés au sol pour en vérifier rapidement le contenu, une boisson énergétique apparut dans son champ de vision. Il suivit le bras tendu pour y trouver Elisabeth qui lui proposait aussi un t-shirt et une veste propre de l'autre main.

— Une équipe de six, six sacs... Je vois que tu n'envisageais pas les choses autrement, dit-il taquin.

— Je suis prévoyante.

Il se saisit de ce qu'elle lui avait amené et la remercia rapidement, ils furent rejoints par le reste de l'équipe et tout le monde se prépara en deux temps trois mouvements, pressés par l'urgence de la situation. Lorsqu'ils marchèrent vers le couloir sud, en groupe, ils sentirent avec force le regard de tous les habitants les suivre tout au long du chemin. Le poids de la peur, et de l'espoir.

Juste après la Fin du MondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant