Chapitre 21

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— Mais on peut pas faire ça, un peu de respect tout de même !

— Qui va s'occuper de tout ça ?

— Vous auriez pu prévenir, qu'on ne fasse pas écouter ça aux enfants, ils sont bien trop jeunes.

Elisabeth se sentit soudainement au cœur d'une attention dont elle ne voulait pas, elle tira sur ses manches pour y cacher ses mains et attendit que la tempête passe glissant un mot à Mathias :

— Ça vire au pugilat...

— Encore un sujet où Martha avait raison, lui répondit-il.

Ils se tenaient au centre de l'oasis, devenu lieu de parole officiel des conseils ou consultations, et venaient d'exposer la problématique brûlante du camp à l'heure actuelle : le souci sanitaire qu'allait poser les déchets de toute sortes qu'ils commençaient à accumuler sans penser à quoi en faire plus tard. Elisabeth pensait trouver dans cette réunion compréhension et peut-être même quelques mains prêtes à les aider, mais c'était une nouvelle crise de folie qui s'était emparée de la foule. Martha leva les mains devant elle et appela au calme par un geste apaisant mais il n'eut strictement aucun effet.

Julie était là elle aussi, accompagnée de Mitsu dans le public : la petite fille avait bien évidemment voulu se porter volontaire pour déplacer les cadavres là où on allait potentiellement les brûler plus tard. En tant que tête brûlée elle-même, Elisabeth avait du mal à en vouloir à une enfant de 10 ans mais la manie qu'elle avait de vouloir traîner dans toutes les affaires les plus sombres de ce camp commençait à la rendre folle, à croire qu'elle ne tenait pas à son enfance. Elle entendit le châtain soupirer derrière elle et se retourna pour attraper son regard, il se mordait les lèvres et regardait le public d'un œil éteint.

— On va y arriver, articula-t-elle en silence.

— C'était bien plus simple quand on prenait ce genre de décisions sans consulter tout le monde, ça avançait au moins, murmura-t-il en guide de réponse.

Elle aurait parlé qu'on ne l'aurait de toute façon pas entendu par dessus ce brouhaha, les voix en provenance de tous se mélangeaient et formaient un drôle de mélange qui commençait à ne plus avoir ni queue ni tête. Même les remarques et cris lancés au hasard n'avaient plus vraiment de lien avec la problématique de base, les gens avaient trouvé un moyen d'évacuer la pression de manière très bruyante et pas forcément efficace selon Elisabeth.

— Ça suffit, cria Martha d'une voix forte.

En quelques secondes, le silence s'installa de nouveau sous la voûte fragilisée. Tous les regards convergèrent vers la grand-mère qui se tenait bien droite au centre de l'oasis, les mains croisées devant elle. Une incroyable impression de calme et de confiance émanait d'elle se dit alors Mathias, elle semblait complètement à l'extérieur de la panique ambiante, au dessus de tout ça quelque part. Jamais, dans les premiers jours, ici il n'aurait soupçonné que cette vieille dame prendrait autant d'importance et de pouvoir ici.

— Les questions sont simples : que fait-on du contenu de ce couloir ? Que ceux qui pensent qu'il faut le laisser là où ils sont lèvent la main.

Un ordre, c'était tout simplement un ordre auquel la réaction fut presque immédiate. Une dizaine de mains seulement se levèrent, un peu discrètes, et un silence déchirant les accompagna : pas de place au débat, les ouailles voulaient se faire mener mais certainement pas l'inverse. Elle approuva du chef, elle avait défendu ses arguments longuement avant que la rumeur ne s'empare du public et visiblement elle avait gagné.

— Qui pense qu'il faut aller les brûler dans un couloir éloigné ?

Et quand elle disait les, elle pensait bien évidemment aux cadavres, quoi d'autres ? Cette fois-ci, une grande partie des mains se levèrent : 75% au bas mot compta rapidement Mathias. Il haussa les sourcils de surprise devant ce succès, suivant du regard la main d'Elisabeth devant lui qui se levait elle aussi. Il n'avait pas voté : d'abord parce qu'il ne voulait pas marcher dans le jeu de Martha et aussi parce qu'il était hors de question qu'il touche à ces cadavres, il était prêt à faire beaucoup de choses mais certainement pas ça.

Juste après la Fin du MondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant