Répulsion

45. Déchue

AMANDA

G : Il faudrait que tu ailles voir maman. Elle me demandait de tes nouvelles la dernière fois et ça lui fera sûrement plaisir d'apprendre qu'elle va être grand-mère, elle ne regarde pas les journaux télévisés.

Je ne me souviens plus du nombre de fois où j'ai lu ce message.

Assise au bord de la piscine sur la terrasse du loft de Gavin, je balance mes jambes d'avant en arrière, dans le vide en m'appuyant sur la barrière. Je l'ai entendu discuter au téléphone au rez-de-chaussée quand j'ai ouvert les yeux. Je me sis endormie un moment et je pense qu'il voulait me laisser tranquille.

Si Gabe m'envoie un tel message, c'est que ma mère va mourir d'ici peu. Je lance alors un appel et active l'objectif avant de mon portable. Au moins, on ne pourra pas dire qu'elle ne m'a pas vue avant de mourir...

- Amanda ! Ma chérie, quelle bonne surprise, lance James.

Son visage cerné et très pâle me donne la chair de poule. Est-ce que c'est ma mère, ça ? Elle est méconnaissable.

- Salut.

- Tout va bien ?

- Gabe m'a dit que tu voulais un signe de vie.

Elle esquisse un sourire, un peu déçue. Je ne lui cache pas que je ne l'appelle pas parce que j'en ai envie, mais parce que Gabriel voulait que je le fasse. Je lui devais au moins ça.

Je lui dois encore beaucoup pour m'avoir protégée toutes ces années, mais je ne le lui montre jamais. Venir à son putain de mariage avec Sab était énorme et il le sait. Je n'y serais jamais allée si je ne lui devais rien. Voir la face de sa nouvelle femme que j'espère écrasée prochainement par un camion-poubelle ne me ravit absolument pas.

- Voilà. Je suis en vie, lâché-je blasée. Et je suis enceinte. T'es bientôt mamie.

James tousse fortement en écarquillant les yeux et j'efface ce sourire en coin qui l'agace. Autant lui donner un bon souvenir de moi avant de crever. Génial le diagnostic des toubibs, quand je disais que je lui ne donnais même pas six mois, j'avais raison. Je ne sais pas si je peux encore me convertir en infirmière...

Un ricanement cynique m'échappe pendant que ma mère tousse et que mon père lui tape gentiment dans le dos pour la soulager. Je me demande ce qu'il va devenir quand elle aura rendu l'âme. Va-t-il nous appeler, Gabe et moi, pour lui donner de l'argent ?

Tout ce que je veux, c'est qu'elle ne soit pas enterrée à côté de la tombe de Ross, en Géorgie. Je la blâmerais si elle ose faire ça. Cependant, il n'y a aucune raison pour qu'elle soit là-bas à moins que mon frère ait lâché le morceau, elle ignore l'endroit où son premier fils est enterré.

- C'est un accident ? reprend-elle.

Bien qu'elle sache que je ne voulais pas d'enfant aussi tôt, elle m'insulte presque de putain. Mes sourcils se froncent et je serre le poing sur le tissu léger de ma robe.

- Ouais. Je ne me souviens plus du père, inventé-je.

Second round de toussotements. Le cancer la bouffe, mais c'est entièrement de sa faute. Personne ne l'a obligé à fumer et à boire jusqu'à s'en rendre malade. Et personne ne lui a dit d'insinuer une telle chose concernant ma grossesse.

- Ça t'apprendra à dire à la benjamine qu'elle baise partout sans précaution. Salut.

Je raccroche d'un seul coup et pose mes bras sur la rambarde noire. La porte coulissante donnant sur la terrasse s'ouvre et j'entends Gavin s'approcher de moi. J'aurais parié qu'il m'inciterait à me lever pour limiter le risque de tomber du toit, mais il s'assied et passe son bras autour de moi.