27 - Forger sa propre voie

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28e jour de la saison de la lune 2449

La respiration régulière de Shalith lui apportait un confort inattendu. À chaque fois, il se surprenait à s'accrocher à cette simple action qui n'était, en vérité, qu'un instinct de survie. C'était automatique, involontaire. La dragonne noire ne réagissait à rien sauf aux besoins basiques de la vie. Cela faisait maintenant une saison que le prince observait son comportement robotique avec mélancolie. Physiquement, elle était là, mais son âme avait trouvé son chemin jusqu'aux étoiles. Il avait espéré garder l'un des plus grands cadeaux qu'elle lui avait offerts : l'umbrancie. La présence de ce pouvoir élémental s'était plus ou moins maintenue au cours de la saison de la mort, mais s'était éteinte depuis l'arrivée de la saison de la lune.

— Je suppose que c'est l'âme d'un dragon qui apporte ce pouvoir au dragonnier, marmonna-t-il, son souffle visible dû à la température glaciale de l'hiver.

L'hiver à Norkux était bien plus froid qu'à l'extérieur car la lumière des soleils ne pénétrait pas la barrière magique des prêtres de la cité. Et malgré tout, Shalith ne bronchait pas. Son corps était adapté pour ce genre de climat, bien que même elle avait sa limite. Quant à Serfantor, il tremblait et se blottissait contre le ventre chaud de sa campagne. Il était emmitouflé dans une cape en fourrure ainsi qu'un accoutrement épais, mais il se sentait nu comme si rien ne pouvait le réchauffer.

Il était en compagnie de fantômes. Certains décédés, d'autres vivants, mais tous inaccessibles. Sa vie à l'académie d'Archlan n'était plus qu'un souvenir distant et même le magnifique visage d'Arièlla devenait de plus en plus flou. Autrefois, y penser lui aurait affligé tant de souffrance qu'il se serait retrouvé au bord de la démence, mais son cœur s'était fortifié avec le temps, perdant lentement son humanité.

Quelques jours passés, il avait atteint ses dix-huit ans, une cause pour célébration s'il aurait été à Atgoren. Il s'en foutait. Lorsqu'il se regardait dans un miroir, il paraissait dix ans plus vieux que ce qu'il était vraiment. Sa barbe, encore légère et irrégulière, s'était étendue sur tout son visage. Il s'en foutait. Il avait la possibilité de coucher avec son serviteur Quèvharx qui en bavait pour lui. Il s'en foutait aussi. Il ne cherchait pas à ensevelir ses blessures avec du sexe comme tant d'autres le faisaient.

Il se perdait tout simplement dans la noirceur éternelle de la cité, observant le ciel à la recherche d'un signe de luminosité ou encore, il baissait les yeux sur les atrocités commises dans les ruelles depuis la demeure de sa mère qui était, pour lui comme pour pleins d'autres, une prison.

Shalith se prélassait en permanence dans un enclos surveillé par de multiples Heaume Noirs. Personne ne s'y approchait sans une permission spéciale. Ceux qui avaient tenté de voler la dragonne noire avaient perdu leur tête littéralement. Ce qui fut autrefois une créature majestueuse et indépendante avait été réduite à une carapace éteinte qui réagissait par pur instinct, dépourvu de toute logique, de toute pensée, de tout sentiment. Parfois, un soldat courageux la montait, mais elle se montrait difficile, claquant les mâchoires à la recherche d'un repas frais. Seul Serfantor réussissait à interagir avec elle sans danger et c'était là l'unique miette de son âme qui demeurait. C'était aussi la seule raison pour laquelle il était toujours vivant.

L'air se fit soudainement lourd et il fut contraint à prendre des respirations profondes pour satisfaire son corps. Il ajusta sa pelisse noire qui le gardait au chaud. Pourquoi grelottait-il alors ? Il remémora les multiples crises d'anxiété dont il fut victimes au cours de sa vie. Il avait tendance à trembler dans ces moments. Tout allait bien et personne ne le dérangeait. Qu'est-ce qui aurait pu déclencher une telle réaction ?

Un flocon tourbillonna doucement, d'une lenteur presque hypnotisant, descendant du firmament assombrit pour se poser sur sa main gantée. À première vue, il semblait parfait, mais le prince savait mieux. Rien dans ce monde n'était parfait.

3 - Sang, os et dagueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant