AFTER 3

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Yaka venait de me bloquer devant la porte alors que je voulais sortir au moment où elle entrait.

-Malick, aujourd’hui, tu ne m’échapperas pas. J’exige que tu me dises ce qui se passe et ce qui te tracasse autant.

-ce qui me tracasse ? Je ne comprends pas de quoi tu parles. Je suis juste fatigué par les va-et-vient entre ici, le bureau et chez ma mère. Ce n’est pas évident, tu sais cela. En plus de ça, son état de santé empire de jour en jour. Ce qui me fait peur, répondis-je en fuyant son regard.

Je sentis le sien insistant sur moi. Je levais les yeux et la vis me fixer pendant un très long moment.

-hun…Malick, tu peux mentir à tout le monde sauf à moi. Je te connais comme si je t’avais fait. Tu me fuis ces jours ci et je ne le supporte plus. Je veux savoir ce qu’il y a, fit-elle ferme.

Je fus obligé de retourner dans la chambre. Elle ferma la porte après elle.

-je te jure que ce n’est rien de grave mais le moment est mal choisi pour en parler. Attendons.

Sans prêter attention à ce que je venais de dire, elle resta planter devant moi, les mains sur les hanches en tapant sur le plancher comme pour me dire qu’elle attendait que je parle.

Je pris une profonde inspiration et cherchais mes mots.

Comment dire à Yaka tout ce que ma mère m’a demandé, supplié de faire, et tout ce qu’elle a dit d’elle ?

Ça me fait mal ce qu’elle m’a dit parce que je me rends compte aujourd’hui qu’elle n’a jamais considéré mes enfants comme ses petits enfants.

Elle me dit que ma femme dégalouko, que je lui donne la chance de voir le petit fils qu’il veut vraiment avec la femme qu’il me faut, celle qu’elle a choisie pour moi.

Et dés qu'elle a vu que mon visage avait changé, elle a commencé à pleurer.

Je n’en croyais pas mes oreilles. Je lui ai demandé si mes enfants n’étaient pas les siens. Elle a alors recommencé à s’agiter et à pleurer de plus belle.

Le problème vient d’elle. Je ne le sais que trop car ce n’est un secret pour personne que c’est elle qui ne supporte ma femme qui je le reconnais ne se laisse pas faire. Et à juste raison.

Et en d'autres circonstances, je serai parti sans me retourner car c’est clair pour moi tout ce qu’elle a dit sur elle, sur les enfants.

Mais est ce que ma conscience me permet de lui refuser cette dernière volonté ? Aurai-je la paix si je la lui refusais et qu’elle mourait après.

Car elle est malade, gravement malade

-Malick, on va pas y passer la journée, me ramena Yaka.

Je lui demandais de s’assoir.

-maman veut que j’épouse son homonyme avant qu’elle ne s’en aille, finis-je par sortir.

-quel homonyme ? Demanda t-elle en se levant.

-la petite Nabou qui l’assiste en ce moment, celle qui est venue te saluer la semaine passée.

Elle resta silencieuse pendant très longtemps, regardant dans le vide.

-Yaka, je ne voulais pas t’en parler car le moment est mal choisi, vu ton état mais je t’en supplie parle moi ! Dis quelque chose, crie moi dessus, insulte moi mais dis quelque chose. La suppliais-je parce que je n’en pouvais plus de ce silence.

-excuse moi chéri stp, j’ai juste perdu le fil pendant un petit moment.

J’ouvris grand les yeux quand j’entendis « chéri ».

Elle se tut de nouveau et me regarda droit dans les yeux puis sourit, d’un sourire franc et triste à la fois.

Je baissais les yeux.

-Malick, je ne vais rien faire de tout ce que tu dis car je vois que ta décision est déjà prise. Sinon, tu ne serais pas préoccupé par comment me l’annoncer depuis quelques jours et surtout, tu ne m’en aurais pas parler si tu n’allais pas te marier.

-non, je viens en parler avec toi pour savoir ce que tu en penses. Si tu n’es pas d’accord, je ne le ferai pas.

En réalité, j’attendais, je priais pour qu’elle me dise qu’elle n’était pas d’accord, qu’elle me donne le courage de pouvoir refuser ce mariage.

-le mariage aura lieu quand ? Demanda t-elle de nouveau.

-Yaka, je ne prendrai aucune décision sans ton aval.

-Malick, tu as du mal à être dans une même pièce avec moi depuis quelque temps et tu fuis toute discussion avec moi. Et si tu n’avais pas déjà dit oui à ta mère, tu n’aurais pas autant de gêne à mon égard. Wayei doma massa geuneu goré ci adouna. Je te donne ma bénédiction et souhaite que ce mariage t’apporte autant sinon plus de bonheur que celui que tu dis vivre avec moi. Car je sais ce que ça va représenter dans ta vie à partir de maintenant.

Je baissais obstinément la tête, incapable de la regarder en face. Je ne sais même pas quoi ajouter à ce qu’elle venait de dire. Et avec le sourire en plus.

-Malick, siggil khol ma. Fi lofiy seug amoufi(regarde moi, il n’y a pas à avoir honte). Je sais la place que j’occupe dans ton cœur et dans ta vie, donc je n’ai absolument pas à avoir peur de ce mariage. En plus woudié Malick bok weurseul kessé la. Teih man lima dougal ci seuy bi guéné wouma ci. Si Dieu a décidé que nous serons dans un mariage polygame, on y échappera pas.

-Pardonne moi Yaka stp. J’aurai aimé attendre que tu accouches pour te le dire, régler ce problème mais tu comprendras le pourquoi de ce mariage hâtif. Stp, pardonne moi pour le mal que je t’inflige en ce moment.

-Malick, ci sama adouna dama guiss ba dara dotouma diakhalati, dara dotouma béteu. Et je sais que tu ne seras jamais intentionnellement l’auteur de ce qui me fera mal. Je te connais assez et comprend ta position. Si ce mariage peut faire en sorte que vous vous retrouviez ta Méré et toi, n’hésite même pas. Et qui sait même, si un enfant venait à naitre dans cette union et qu’elle voie enfin son petit fils tant espéré, elle s’en porterai mieux et ça lui donnerai le courage de se battre pour vivre. Mais tout ce que je te demande, c’est de ne pas habiter dans la même maison que ta femme. Vu que c’est le choix de ta mère et vu la situation entre elle et moi, je n’ai pas envie que ma maison soit transformée en champ de bataille surtout pour les enfants. Je n’ai pas envie qu’ils vivent ça et je n’ai pas le temps pour ça. Je ne dis pas que je ne vais pas composer avec elle mais je veux juste parer à toute éventualité. J’espère que tu me comprendras.

Ces derniers mots me font tiquer.

Ai-je le droit de faire endurer cette situation à mes enfants d’abord ?

Les filles ont l’habitude de dormir dans mes bras avant que je ne les mette au lit et c’est moi qui les amène tous chaque matin à l’école.

Chaque samedi soir ou dimanche matin, on sort ensemble, on joue au foot tous ensemble, on va au verger, on fait pleins d’activités ensemble. C’est nos moments à nous où on se retrouve, la plupart du temps sans leur maman.

Et me marier à une autre reviendrait à les priver de ces choses là pour certains jours. Et pire encore, ils vont devoir du jour au lendemain apprendre à ne pas me voir deux jours sur quatre.

Et je ne sais pas comment ils vivront ce sevrage.

Ça peut paraitre banal, mais mes enfants et moi sommes fusionnels, dans tout…

Et au-delà de tout ça, Yaka est enceinte et est à terme et elle a besoin de moi aujourd’hui plus que jamais.

Et moi ?

Je me sens obligée d’épouser ma cousine, la fille de mon oncle parce que ma mère, gravement malade et même mourante je dirai, me supplie de lui donner la chance de sourire en épousant ma cousine et de voir peut être son petit fils avant de partir, tout en sachant que je n’ai absolument pas l’intention de consommer ce mariage. Le fait d’y penser même me répugne.

J’aurai aimé me défendre, défendre mes enfants, défendre Yaka mais vu son état, je n’étais capable d’aucune réaction que de lui dire oui sans mesurer la portée de ce mot.

Que faire ?

Les parents doivent-ils avoir une main mise sur le destin, la vie de leurs enfants en ayant conscience que leurs choix, leurs décisions auront des conséquences désastreuses et à vie sur l’avenir de toute une lignée ?

Car c’est ce qui va se passer dans la mienne avec ce chantage de ma mère. Et je n’ai pas les moyens de dire non.

Je suis mortifié.

Je ne sais par quel moyen ni comment je me suis retrouvé dans ma voiture.

Je ne pouvais plus soutenir le regard vide de Yaka et sa main sur son ventre.

Elle ne mérite pas ça. Je ne peux pas lui faire autant de mal.

Elle a beau me dire que ça ne lui fait rien, qu’elle sait foumou ma tolou mais je sais que là, son cœur doit éclater en mille morceaux.



ROKHAYA AICHA NDIAYE

Finalement, ma belle mère a eu raison de mon mariage. Je ne mesure que trop les conséquences qu’auront cette union sur mon ménage, mes enfants, ma relation avec Malick…

Depuis le début, elle a considéré mes enfants comme des batards, des étrangers dans sa vie et celle de son fils et j’avais réussi à ce que Malick ne les amène plus la voir depuis quelques temps après un long bras de fer car je ne supportais plus ce qu’elle leur faisait sur le dos de Malick qui ne devinais rien de tout cela.

Les enfants ne me disaient rien. Mais elle a traité Zeynab un jour de domoukharam (batarde) et ce n’est qu’en entendant Mariéme répéter ça à sa sœur que je l’ai su. Je les ai alors menacé et c’est avec les larmes aux yeux que je les ai écouté me rraconter  tout ce qu’elle leur faisait quand Malick les amenait là bas.

Elles m’ont dit que c’était leur mamie qui l’avait dit à Zeynab en lui interdisant de l’appeler Mame.

J’en ai pas parle à Malick mais le dimanche suivant quand il a voulu les amener, j’ai été ferme. Déjà que les jumeaux n’y allaient plus. De tous, c’était eux qu’elle supportait le moins.

Quand Malick m’a annoncé cette nouvelle, je me suis efforcée de rester digne et forte mais au fond de moi, j’étais brisée car je sais tout ce qui va se passer à partir de là.

Je n'ai pas peur de partager mon mari si c’est dans le mariage et surtout dans l’équité.

Mais ce qui me fait peur, c’est ma vie et celle de mes enfants qui vont basculer à partir d’aujourd’hui.

Car oui, le mariage sera scellé, dans moins de deux heures de temps aujourd’hui.

Depuis son annonce, il y a une semaine, Malick m’évitait. Il rentrait très tard et partait tôt. Les enfants le réclamaient même. J’essayais de le mettre à l’aise mais rien n’y fit.

Et il n’a pas dormi à la maison depuis hier. Il m’a juste envoyé un message me disant de lui pardonner une fois de plus.

Je demandais à Maty d’amener les enfants se promener car j’avais besoin de réfléchir, d’être seule. A cette heure, le mariage devait être scellé.

Je fis mes ablutions et après avoir difficilement prié Icha, assise sur une chaise à cause de mon ventre, je demandais à Dieu de m’aider à supporter cette énième épreuve.

Mes larmes coulèrent et je me laissais aller jusqu’à ce que mon cœur s’allége et c’est à cet instant que les enfants sont revenus, me trouvant dans la chambre.

-Maman, où est papa ? Fit Mariéme.

Mes larmes menaçaient à nouveau à la question de ma fille mais je réussis à les contenir.

-papa est allé voir mamie. Il revient bientôt ma fille.

Elle me regarda les yeux pleins de tendresse et de tristesse comme si elle sentait mon mal. Elle posa sa tète sur mon ventre.

-maman, ton bébé m’a poussé, fit-elle lorsqu’elle sentit le bébé bouger.

Je venais de ressentir les premières contractions.

Je demandais aux employés de ne prévenir en aucune façon Malick et Maty m’accompagna à la clinique.

J’accouchais d’un petit garçon vers 21heures.

J’allais bien et voulait rentrer mais on ne me laissa sortir que le lendemain matin.

Je n’avais aucune nouvelle de Malick et ne voulait pas l’appeler. Il devait surement avoir consommé son mariage dans la maison familiale, vu que disait-il sa femme vivra avec sa mère comme cette dernière le voulait.

Je ne voulais pas qu’on pense que j’ai déclenché mon accouchement pour qu’il ne touche pas sa femme.





YAKA| le poids de la superstitionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant