Chapitre I: Irradiation

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Il neigeait. Très loin à l'ouest, l'hiver et le froid se manifestaient silencieusement par la chute de flocons tous différemment élaborés, chacun tombant à leur propre manière à cause de la gravité indifférente, sous le regard naturellement détendu, comme un marin prenant enfin le large, de Ferdinand qui venait de se réveiller. Et tardivement, il se remémora en réprimandant un soupir qu'il devait aller chercher l'eau du puits. Alors il partit s'exécuter.

Il n'y avait personne dehors, accordant au village une certaine beauté solitaire et précautionneuse du bruit, accordant à l'air froid une pureté d'eau cristalline. Éloigné des nuisances qu'émettaient les gens malgré eux, Ferdinand appréciait ce moment, et il l'aurait apprécié encore plus si ce n'était pas pendant une tâche ingrate, et que sa simple volonté était l'unique impulsion le poussant à affronter le froid.

Le puits était en approche. Il ouvrit la trappe qui le protégeait du gel et remonta l'eau. Déjà la cloche de l'église sonna et fut répondue par un corbeau quelque part, transperçant ce silence moucheté de flocons. Ayant à présent terminé, Ferdinand retourna chez lui. Autour, le village commençait lentement à prendre vie sur la neige; des bruits divers commençaient à se faire plus nombreux et les gens commençaient à sortir, brisant ce silence onirique pour laisser place au roulis du quotidien. Il passa devant la maison, pour rentrer dans la grange contenant les animaux que sa famille possédait. Ferdinand traversa l'intérieur sombre, transpercée par des rayons d'une blancheur neigeuse pour verser de l'eau dans l'abreuvoir des poules et des cochons. Une fois terminé, il put se décharger des seau et retourner chez lui, satisfaire cette faim que le dehors lui avait fait oublier.

Sa famille était réunie autour d'une table en train de déjeuner dans la plus grande des trois pièces de leur maison modeste (les deux autres étant des chambres). La salle était traversée par une lumière vacillante provenant d'un feu de cheminée, qui maintenait tant bien que mal la maison isolée du monde glacial grâce à sa chaleur un peu plus élevée. Mais cette chaleur tiède transformait déjà les minuscules cristaux de glace sur le manteau que portait Ferdinand en gouttes, qu'on aurait pu penser de pluie. Il le rangea et alla les rejoindre: sa mère semblant dés le matin épuisée, son petit frère mâchant machinalement sa tartine et son père mal rasé et déjà ridé pour son age. Ce dernier demanda:

-Il fait froid dehors?

-Oui, mais c'est surtout la neige qui va être gênante.

-Il faut aller chercher du bois. Le feu commence à faiblir, constata sa mère.

- Je vais y aller. C'était Ferdinand qui se tournait déjà vers la porte

-Tu veux vraiment y retourner alors que tu vient à peine de rentrer?

-Oui, dit un Ferdinand qui se dirigeait déjà vers la porte avec le chariot, la hache et de nouveau le manteau.

Et sans attendre, il l'ouvrit, quitta sa maison, et se renveloppa d'air à la pureté froide. En s'éloignant un peu, sa demeure vue de l'extérieur avait l'air misérablement petite, et ses murs de torchis mal entretenus, à l'apparence de bouillie blanchâtre solidifiée, laissait difficilement imaginer que des gens vivait à l'intérieur, en l'occurrence, sa famille, et que c'était le lieu où il dormait, mangeait, vivait, et cela sans avoir vraiment voir où il faisait tout cela. Il réalisa que toute sa vie sera comme cela, et qu'il aurait beau se marier, vivre dans son «propre» foyer, avoir une descendance, cela ne ferait que changer le premier plan du tableau, qui servirait de tapis pour cacher ce misérable fond où sa vie se sera laissée couler, intimidé sans tenter quoi que ce soit par les piliers fortifiés émanant de lui même, qui tenaient éloignés les rêves, et dont l'escalade était un casse-tête herculéen...

Ferdinand poussa une expiration résignée, ayant fait le choix prudent de ne pas grimper pour ne pas chuter et constatant que sa volonté ne tiendrait pas, et fit tourner son regard de sa maison caca-d'oie vers les colonnes de bois gris pierre de la forêt, au dessus desquelles le Soleil, à moitié dissimulé par le ciel d'hiver a l'allure de marbre, envoyait son énergie droit sur Ferdinand, au plus profond de sa chair. Il s'y dirigea en écrasant la neige scintillante.

Une fois à l'intérieur, il se mit au travail. Les seuls bruits étaient ceux des coups de hache et de la respiration de Ferdinand, et les arbres entendirent de toutes leur brindilles ces empreintes du seul mouvement que faisait la ici vie, en ce lieu préservé. La sueur perlait sur son corps, mais la chaleur moite qu'il ressentait se diluait dans la fraîcheur ambiante.

Tout à coup un autre bruit venait d'apparaître dans cette cathédrale d'arbres à la voûte de nuages, perturbant le rythme de Ferdinand, lui indiquant que son travail n'était pas la seule action qui s'y produisait. Le bruit se répéta, mais en plus proche. Ce deuxième bruit lui confirma qu'il n'était pas seul. Ce qui lui fit arrêter son bûcheronnage et son regard quitta l'arbre pour se diriger vers le bruit. C'était une meute de loups qui s'était rapprochée, quasi silencieusement, jusqu'à quelque pas de lui en le fixant. Toutes les pensées et les émotions de Ferdinand s'étaient évaporées. Il ne restait qu'une peur folle et le constat de l'inutilité de la fuite ou l'utilisation de la hache. L'écrasement entre ce raisonnement qui disait que la fuite les énerveraient, et cet instinct qui le poussait à la fuite, l'empêchait de réaliser une action autre que regarder les loups qui lui renvoyaient son regard. Mais ces derniers ne l'attendirent pas, et commencèrent à montrer les crocs sur fond de grognements sinistres, et pendant que Ferdinand continuait à les fixer d'un air idiot, le plus proche se jeta sur lui. Et la, sa peur instinctive repoussa cette dernière pensée et fit reculer Ferdinand, marquant son contrôle total sur lui par un cri. Guidé par elle, il fit instinctivement un mouvement avec la hache vers le loup. La bête fut envoyée vers le côté en dégageant une faible traînée de sang, et Ferdinand vit que le reste de la meute fonçait également vers lui, prête à arracher sa chair et à mettre fin à sa vie ici, dans une forêt perdue, tué par des loups. Avec pour seul cercueil de la neige qui disparaîtra au printemps, exposant son cadavre par terre comme un détritus. Et cela après seulement 17 ans, avant même d'avoir pu accomplir quoi que ce soit. Bien que ce fut inutile, Ferdinand continua de se débattre par terre avec les loups qui avait déjà commencé à le dévorer. Ses cris se perdaient dans l'étendue du silence glacial. Sa chair se dispersa peu à peu. Dans la neige, dans les loups, sur l'arbre que Ferdinand avait commencé à couper, sur sa propre peau...

Dans cette image le Soleil apparut. Remplissant le silence glacial de crépitements chaleureux, changeant le cri de douleur de la proie en cris de peur des prédateurs, parant de dorures la forêt et donnant vie à d'innombrables lucioles au couleurs de l'aube, et sous les yeux de Ferdinand, l'hiver morose se transforma en été flamboyant. Mais il ressentit rapidement que son bras était en feu.

Sa raison reprit le dessus sur lui et il couvrit en vitesse ce bras enflammé de neige, ce qui fit disparaître les flammes et le fit hurler de douleur. Il réalisa ensuite que ce soleil n'était en réalité que la carcasse d'un des loups qui avait subitement pris feu, et que le reste de la meute s'était enfuie.

Il se releva, mais sa douleur voulait qu'il reste sur son lit de neige, à attendre le sommeil éternel pendant que son sang s'enfouissait dans le sol, comme un enfant fatigué sous la chaleureuse couverture. Il dut se tenir à un arbre pour éviter à la battisse dévastée par le pillage des chairs qu'était son corps de s'effondrer. Déjà des gouttes de sang se détachaient de lui. Il pouvait marcher, bien que la douleur allongeât le sentier enneigé et rocailleux au point que les quatre murs qui renfermait sa famille et la chaleur se trouvait à l'autre bout du monde, l'isolant au milieu de cet océan blanc dans lequel il devra retourner à la côte à la seule force de ses membres... Il parcourut ainsi l'Univers entier embourbé dans une marre de douleur et de sang, mettant une jambe en lambeau devant l'autre des centaines de fois, et se prenant la giclée de douleur ainsi crée des centaines de fois, pour à chaque fois faire s'approcher un peu les brindilles devant lui. Le monde prenait de plus en plus l'apparence d'une bouillie informe où le fait d'essayer de nommer les choses était tout simplement ridicule.

Ferdinand ne savait même pas vers quoi il se dirigeait. La seule chose qu'il savait et qui emplissait tout son esprit était qu'il devait à tout prix retourner chez lui, en espérant se diriger dans la bonne direction, sous peine de se vider de son sang. Ferdinand s'effondra. Les dernières choses qu'il vit furent des nébuleuses grises sur un fond blanc.

Quintessence Jardin CélesteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant