Chapitre 24

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Je regardai cette petite, toujours subjuguée par cet élan de maturité. À son âge, je n'étais pas du tout comme ça, encore aujourd'hui d'ailleurs.

— Vous savez la guerre nous tous fait grandir. Plus ou moins rapidement, mais elle nous prend tôt ou tard notre enfance et notre innocence. Du moins nous, nous n'avons pas été épargnés.

J'acquiesçai et me rendis vers Madeleine.

— Je sais que vous voulez être seule mais, si je peux me permettre, ce n'est pas comme ça que vous allez remonter la pente. Vos enfants ne sont pas aveugles et savent très bien que leur mère souffre. Par conséquent, ils souffrent aussi. Votre fille m'a prouvé à maintes reprises qu'elle n'était plus une petite fille et je pense qu'il en est de même pour vos autres enfants.

— Laissez-moi, me repoussa-t-elle

— Je ne vous fais pas la morale, bien au contraire, je veux juste vous faire comprendre que vous n'êtes pas la seule à souffrir. Alors oui, vous souffrez peut être plus mais vous enfants sont aussi touchés. Il faut vous entraider. Les femmes violées comme vous n'ont que deux solutions, soit se laisser glisser et rester dans cet enfer ou alors se battre et remonter à la surface. Faites le pour vous, pour vos enfants, pour Benoît, pour tout ceux que vous aimez.

— Vous dites cela sans savoir ce que c'est, vous avez toujours été protégée.

— Peut être est-ce juste une carapace ? La protection que j'ai selon vous, n'est arrivée qu'à partir de mon mariage avec Gaston. Je me suis mariée à 21 ans. Il a pu se passer beaucoup de choses avant ou bien même pendant mon mariage. La protection n'est parfois qu'illusoire surtout pour les personnes extérieurs.

— Que voulez-vous dire?

— Que je ne parle que des sujets que je connais. Maintenant, trêve de bavardages, choisissez, vivre ou survivre.

Je partis en direction de la maison, beaucoup plus touchée que je ne laissais paraître. La guerre révélait bien plus sur nous que quiconque.

Arrivée à la maison Maryse me regarda, le visage éclatant.

— Vous avez réussi, ma mère vous a écouté. Regardez.

Je regardai vers la fenêtre et vis en effet Madeleine défaire son foulard retenant ses cheveux. Ils avaient considérablement poussé, ils arrivaient au niveau du milieu de son dos.

Elle en fit une tresse. C'était un premier pas. Elle avait décidé de vivre.

— J'ai compris ce qu'il vous est arrivé. Vous êtes courageuse, prononçait Maryse

Je lui souris et caressai ses cheveux soyeux. Elle me rendit mon sourire avec bonheur. Elle allait retrouver une mère qui allait à nouveau se battre pour ses enfants.

Elle me prit par la main et m'emmena dans sa chambre. Celle-ci était très subtilement décorée, seule une poupée et quelques fleurs séchées trônaient au milieu de la pièce. Tout le reste était neutre, sans fantaisie. Elle me fit asseoir sur son lit et alla chercher une boite cachée derrière son armoire.

Anna se rapprocha de moi, monta sur son matelas.

— C'est ma boîte secrète, je ne la montre à personne. Vous êtes la première à la voir. Il ne faut surtout pas que vous le disiez sinon mes frères et soeurs iront me la voler. Vous me le promettez ? Me demanda-t-elle les yeux pleins d'espoir.

J'hochai la tête, la faisant continuer dans sa description.

— Bien. Alors, ça c'est une fleur sauvage que j'ai pris dans le champs du voisin avant que les vaches ne viennent tout manger. Je la trouvais belle et unique avec sa couleur rouge et violette. Maman m'a toujours interdit d'aller là-bas alors c'est un peu comme un trophée car je ne sais pas quand je pourrai y retourner. Ensuite, ça c'est un bout du voile de maman le jour de son mariage. Elle m'a raconté qu'elle portait une tenue que ma grand-mère avait faite. Ils ont acheté du ruban, du tulle, des perles et plein de choses. J'ai vue une photo et c'était magnifique mais un incendie a ravagé la maison de ma grand-mère et la robe est partie en fumée, seul ce petit morceau restait. Il est très important pour moi. Après, on a un fer à cheval. Celui-ci appartenait au cheval préféré de mon papa, il s'appelait Zébulon. Il avait une magnifique robe d'une brillance féérique. Quand mon papa a dû l'abattre, ça été très dur et depuis, papa ne s'attache plus autant à un cheval. Par exemple, quand il parlait de Zébulon, c'était toujours ce cheval, ce destrier, alors que tous les autres c'était canasson, bourrique. Il m'a dit que ça portait chance d'avoir un fer, alors je le garde comme si c'était une bonne étoile. Puis, j'ai ces petits chaussons de bébé. Ils auraient dû appartenir à Bernadette mais elle est morte trois jours après sa naissance. Maman ne sait pas que je les ai. Elle me les prendrait alors que moi je veux les garder pour m'en souvenir et ne jamais oublier, c'était ma soeur. Pour finir, j'ai ces mèches qui appartiennent aux membres de ma famille, il y a ma mère, mon père, mes frères, mes soeurs et moi. C'est pour ne jamais les oublier, les sentir toujours près de moi même quand je ne les vois pas. C'est ma manière de les garder près de mon coeur. Comme je ne vois plus papa, je sers très fort ces mèches pour me réconforter et me souvenir de sa présence.

Je restais une fois de plus abasourdie par cette enfant si pleine de surprises.

SUITE ALLEMANDEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant