Chapitre 47

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Retour au point de vue Lucile

Plusieurs jours s'étaient écoulés depuis l'arrivée de Maryse. Elle s'était plutôt bien acclimatée. Son père avait réussi à re-consolider la relation qu'ils avaient autrefois. Quand elle était revenue de sa journée, elle avait le sourire aux lèvres. De mon côté, j'avais commencé à lui faire l'école à la maison, celle du village n'était pas très réputée par sa qualité d'enseignement. L'instituteur était une sorte de brute sans diplomatie.

Cela n'avait commencé que depuis quelques jours mais elle se montrait très appliquée et désireuse d'apprendre. On allait tellement vite que cela me laissait du temps pour vaquer à mes autres occupations et elle pour s'amuser, découvrir le village et se faire des amis. Je crois d'ailleurs que le jeune Robert n'était pas insensible à son charme, si son père savait, il deviendrait fou.

Les leçons que je donnais à Maryse semblaient porter ses fruits car elle fit beaucoup de progrès. Elle assimilait tout ce que je lui apprenais en un rien de temps. Son esprit vif me surprenait de jours en jours. Le matin était consacré à l'apprentissage de différentes leçons, parfois du français, des mathématiques, de l'histoire, cela variait en fonction de nos envies. Ensuite, l'après-midi se composait de couture ou de broderie et une fois l'école terminée, elle pouvait aller jouer avec les autres enfants du village. Pendant ce temps, j'allais à l'hôpital, répondais aux différentes lettres et ainsi de suite.

— Lucile, tu sais que je t'aime de tout mon cœur, mais je vais devenir folle avec tous ces tissus suspendus dans la maison. Il faudrait apprendre à ta protégée de ranger après chaque utilisation. Elle m'a encore demandé un découd vite. C'est le cinquième de ce mois. Si elle ne fait pas attention, on ne mangera que des patates jusqu'à la fin de notre vie, grommela Juliette.

Il est vrai que Maryse n'était pas une grande amoureuse de la couture, loin de là. Elle la détestait même. Elle avait la capacité d'apprendre une multitude de choses en un rien de temps mais pour la couture, c'était différent. Elle n'arrivait pas à se concentrer plus de dix minutes. Elle râlait, poussait des soupirs d'ennui et cousait comme une manchote. On ne pouvait pas dire qu'elle s'appliquait et faisait de son mieux. Je me rappelais encore de son attitude désinvolte.

Flash-back :

— Lucile, pourrions-nous arrêter pour aujourd'hui ? Si je continue encore, je risque de ne plus voir la différence entre mes doigts et ce satané bout de tissu, râla Maryse.

— On ne vient que de commencer, il nous reste encore cinq motifs à reproduire.

— Mais j'en ai marre. Je ne vois pas l'intérêt de rester dans une pièce à apprendre à coudre des formes si bizarres. Je préfère encore que tu me parles d'Henri IV plutôt que de reproduire bêtement ces choses moches.

— C'est important pour la construction d'une jeune fille de savoir coudre, raccommoder des vêtements troués, d'ajouter de la fantaisie sur un tissu...

— Oui mais je vais devenir folle si je continue cette tâche si rébarbative. Tu ne veux pas aller dans le jardin et m'apprendre les fleurs ?

— Tu m'as déjà eu hier, j'ai accepté de remettre à plus tard cette séance en espérant que tu serais plus encline mais non, alors là, je ne compte pas céder à tes caprices.

— Si j'étais un garçon, tout serait plus simple, je n'aurais pas à coudre ces horreurs, se plaignait-elle.

Certes, mais si tu étais un homme, tu serais parti à la guerre tôt ou tard et ne serais peut-être jamais revenu.

Après une vingtaine de minutes à essayer de concentrer Maryse, je finis par jeter l'éponge. Cette enfant n'y mettait vraiment aucune application. Quand, elle m'avait montré le résultat, j'avais failli lâcher le mien, tellement, cela ne ressemblait rien. Face à ce manque d'application, j'étais dans l'obligation de rendre les armes et je dus abandonner ce travail.

— Maryse, comme je vois que cela ne sert strictement à rien, que ta volonté s'est envolée dès l'instant où je t'ai posé les aiguilles dans les mains, tu peux aller jouer avec tes amis. Mais n'oublies pas, à six heures je veux que tu sois revenue. Je n'accepterai aucun retard. Tu arrives peut-être à me mener à la baguette pour la couture, mais il n'en est rien pour la ponctualité. Est-ce clair ? Expliquai-je.

— Oui mère, rit-elle.

Puis, elle fila sans demander son reste, sûrement pour éviter que je ne change d'avis.

— Je ne donnerai jamais mes robes à raccommoder à cette fillette. Elle est encore moins appliquée et moins soigneuse qu'un homme, se moqua Juliette en inspectant son travail.

Fin du flash-back

Arrivée à l'hôpital, je fis mon tour habituel, slalomant de lit en lit pour parler aux blessés, prendre de leurs nouvelles, mais aussi rencontrer les nouveaux. Une fois cette étape terminée, je montai au dernier étage retrouver Antoine et sa mine joyeuse habituelle.

— Lucile, cela fait longtemps, j'ai cru que vous vous étiez mariée en secret avec un unijambiste et parti sur une île déserte pour ne pas être retrouvée, se moqua-t-il.

— Je suis simplement l'institutrice d'une jeune fille qui puise toute mon énergie. Je ne pensais pas qu'un tel être pouvait avoir une telle envie d'apprendre des choses qu'elle n'utilisera peut-être jamais mais se désintéresse des choses plus communes, soufflai-je.

— Qu'est-ce que vous essayez de lui faire comprendre qui vous fatigue à ce point ?

— Lorsque je lui parle de vieux rois, de la situation délicate au Moyen-Âge, elle a les yeux qui pétillent alors que quand j'essaye de lui montrer différents points de couture ou de broderie, elle rechigne constamment...

— Cette jeune fille n'est tout simplement pas faite pour être une personne ordinaire. Laissez là être qui elle veut, si elle veut connaître toutes les langues du monde, savoir l'histoire de la France et des pays frontaliers, ne la forcez pas à lui enseigner des choses qu'elle oubliera volontairement. C'est une perte de temps, et d'énergie surtout pour vous. Les enfants se remettent plus facilement alors qu'à votre âge beaucoup moins, s'amusa-t-il.

Je levai un sourcil, voulant rester de marbre à sa provocation, mais intérieurement, je souriais. Je finis par capituler en voyant sa moue joyeuse si communicative.

— Non vraiment, je suis très sérieux. Avant de partir à la guerre, pendant mes jeunes années, mon père m'a forcé à aller dans la meilleure école possible pour que je reçoive l'élite de l'éducation. Je suis allé dans un pensionnat d'une sévérité peu commune. J'ai dû aller à des cours qui ne m'intéressaient guère pour éviter une punition. J'ai appris des choses qui ne m'ont jamais servis et que j'ai oublié à la fin de ma scolarité. Avec le recul, je me suis aperçu, que j'avais perdu des années en apprenant des choses que je jugeais futiles alors que j'étais passionné depuis tout petit d'automobile et de mécanique. Vous vous doutez bien que je ne parle latin avec aucune voiture.

Il avait bien raison, je ne pouvais pas forcer Maryse à enregistrer des choses qui ne l'intéressaient pas le moins du monde.

SUITE ALLEMANDEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant