Chapitre 55

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Elle émit une pause, ne pouvant retenir ses larmes plus longtemps. Je lui tendis un mouchoir et lui frottai gentiment le dos. J'attendis qu'elle se calme, ce qu'elle arriva à faire au bout d'une dizaine de minutes.

— Il a fini par se réveiller. Je me souviendrais toute ma vie de son regard. Il était si mou que j'ai cru qu'il allait à nouveau tomber dans les pommes. Mais il s'est accroché et il a repris des forces petit-à-petit. Je m'occupais de lui constamment, je lui faisais sa toilette, je lui donnais à manger, je lui parlais de ma vie pour le distraire. Ça a duré des jours. On a fini par tisser des liens forts et on est devenu amis. Mais un jour, en allant à l'école, quelqu'un a balancé des rumeurs immondes sur moi et sur la relation que j'entretenais avec Jean. Certes, ça faisait longtemps qu'il vivait à la maison, mais il était encore trop faible pour rentrer chez lui et puis, il fallait quelqu'un pour le veiller. Ses parents étaient trop occupés pour ça. Les rumeurs se sont propagées dans tout le village. Je ne pouvais pas faire ne serait-ce qu'un pas en dehors de chez moi sans que les gens me lancent des regards noirs. Ils me jugeaient pour des crimes que je n'avais pas commis. Pourtant, c'était la vie. Quand un homme entretient une relation sans être marié on ne dit rien, on le félicite même. À l'inverse pour les femmes, on est traitées comme des putains sans vergogne prête à donner leur corps à n'importe qui.

Elle s'arrêta, semblant encore écœurée par la vie qu'on lui avait mené. Ses yeux étaient dans le vide et je comprenais bien à quel point cela l'avait marqué.

On traînait tous des sombres histoires derrière nous. Parfois, on arrivait à s'en détacher et parfois, c'était ce qui nous cataloguait.

— Bref. Bien sûr, je n'en avais parlé à personne. Dans la ferme, mes parents n'en savaient rien. Ils ne sortaient que très peu de leurs terres. Jean, quant à lui, l'a su lorsqu'il est rentré chez lui et que les gens ont commencé à le féliciter. J'étais connue dans le village pour être une sainte-nitouche, comme ils m'appelaient. Aucun garçon n'osait s'approcher de moi, à cause de ma famille. Qui voudrait se marier avec une fermière sans le sou ? Personne.

— Ne dites pas ça.

— C'est pourtant la vérité. Les garçons étaient ambitieux. Ils voulaient tous aller à la ville, se marier avec une jolie fille. Je ne pouvais pas leur offrir ce qu'il voulait. Je vivais dans une ferme, avec le peu de confort que ça nécessite, et mes robes n'étaient pas jolies. C'était ma mère qui les raccommodait d'années en années. Généralement, elles étaient à elle. Je n'avais rien de chic. Mais quand Jean a appris la vérité, il s'est mis en rogne. Il a cogné tous ceux qui m'insultaient. Sauf qu'on peut taper sur qui on veut pour empêcher les mots, mais les pensées sont incontrôlables et ça, Jean l'avait compris. Ma réputation était en partie souillée. La seule chose qui pouvait me sauver c'était un futur mariage. Mais, qui aurait bien voulu de moi ?

— Jean.

— Oui. Il se sentait responsable de ma situation alors il en a parlé à nos parents. Bien sûr, ils étaient d'accord. Il m'a épousé quelques mois après et ma réputation est revenue au beau fixe. Sauf que Jean avait brisé sa promesse envers Juliette. Il pensait sans doute qu'elle ne reviendrait jamais. Ici, les départs étaient fréquents. Ce village n'a rien de charmant. On trouve toujours mieux ailleurs. Mais mon bonheur est passé avant celui de Juliette et je le regrette constamment.

— Ce n'est pas votre faute. Certes, c'est malheureux, mais Juliette aurait pu ne jamais revenir.

— Je me rappelle comme si c'était hier du retour de Juliette. Jean était tellement mal. On a mis du temps pour d'habituer les uns aux autres.

Jean-Jacques, le fils de Clémentine, nous interrompit et nous fit part des inquiétudes de Maryse qui, selon lui, était un vrai torrent de larmes. Je pris donc la décision de me retirer pour aller la voir. Elle devait se sentir si angoissée. Je fis le chemin jusqu'à la maison et au moment d'entrer dans le jardin, Maryse ouvrit la porte et me sauta au cou.

— Comment va-t-il ? Est-il encore en vie ? Pourrais-je bientôt le voir ? Ne me dites pas qu'il est mort ? Mais répondez-moi ! lança-t-elle à une vitesse folle.

— Il a été soigné par le docteur. Il est en train de dormir ,il récupère. Pour l'instant, il est très fatigué. Jean le veille. Tu le verras quand il se sera réveillé.

Je me sentais coupable de lui dire ces mots. J'essayais de la calmer comme je pouvais pour ne pas qu'elle s'inquiète mais comment pouvais-je la rassurer alors que moi-même, je ne savais pas ce qu'il allait advenir. Juliette apparut dans l'encadrement de la porte et quand elle vit mon regard, elle alla chercher Maryse et la ramena à la maison. Je fis quelques pas mais je me stoppai, ne pouvant rentrer dans la maison. J'allais me sentir à l'étroit. Je me dirigeai vers le jardin et me posai sur le banc. Je repensais à nos moments à Bussy avec Benoît, notre rencontre, notre fuite, tout ce qu'on avait vécu ensemble.

— Oh Bruno, j'ai tellement besoin de toi, si tu savais, murmurais-je en pleurs.

SUITE ALLEMANDEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant