Chapitre 26

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— Elle ne peut s'en prendre qu'à son mari, si elle est seule c'est parce qu'il s'est enfui comme un lâche.

— Oh, vous le considérez comme un lâche, mais à une époque vous l'avez aidé à échapper à une mort certaine. Pourquoi l'avoir fait si c'est pour vous venger sur sa femme ? m'énervai-je.

— Il le mérite simplement, dit-elle les yeux dans le vague.

— Il vous fait pensez à votre fils n'est-ce pas ? lui demandai-je sûre de la réponse.

Elle leva la tête, les yeux brillants, j'avais touché un point sensible, mais surtout je connaissais maintenant la vérité.

— Vous voulez que je vous dise pourquoi, vous le détestez maintenant ? Parce que lui est libre et pas Gaston.

— Taisez-vous, vous ne pouvez pas comprendre.

— Oh si, je peux le comprendre. Ces hommes ont le même âge, ont été dans la même école, ont été amis mais se sont éloignés par votre faute. Vous ne vouliez pas que votre protégé soit assimilé à un homme des champs. Et puis, la guerre est arrivée. Gaston s'est envolé dans la guerre sans que vous ne puissiez rien y faire, juste prier et accepter. Cependant, pour Benoît ça a été différent, il n'a pas pu partir à cause de sa blessure à la jambe, il est resté auprès de sa famille, avec les siens. Vous lui en avez terriblement voulu et c'est pourquoi vous ne pouviez pas aller récupérer le loyer et acheter les pommes de terre seule, c'est toujours moi qui y allait. Au début, je ne comprenais pas, mais c'est très clair maintenant.

— Arrêtez, je vous en supplie, m'implora-t-elle en larmes.

— Non, j'irai au bout. Ce jour là quand vous l'avez aidé, c'était juste une pulsion que vous aviez eue, un élan de gentillesse. Vous avez réussi à le cacher et à le sauver. Mais le voir fuir vous a fait comprendre qu'il était libre d'une certaine manière et que la chasse à l'homme qu'entreprenaient les Allemands n'allaient servir à rien s'il sortait de la ville. Un rapprochement a été fait dans votre tête, votre fils était prisonnier, sûrement dans d'horribles conditions qu'on ne pourrait imaginer dans un camps de travail et Benoît, libre. Vous ne le supportiez pas, encore aujourd'hui, je me trompe ?

— Mon fils, n'a jamais mérité ça. C'était un homme bon.

— Personne ne mérite ça, ni votre fils, ni tous les autres hommes. Benoît est peut être libre physiquement mais son esprit est toujours attaché à Bussy, là où il devrait être. Certes, il ne se bat pas à la guerre, il ne porte peut être pas l'uniforme mais il se bat à son échelle pour libérer la France. Je crois qu'il souffre tout autant que les autres, de ne pas être là, de ne pas protéger sa femme, de savoir que quelqu'un a osé poser ses mains sur sa peau.

— Que voulez-vous que ça me fasse, ce ne sont pas mes affaires, rechigna-t-elle.

— Je vous connaissais froide et hautaine, mais quelque chose a changer en vous, une sorte de blessure supplémentaire qui vous a littéralement brisée, dis-je en fronçant les sourcils.

Elle baissa la tête et tritura son chapelet qu'elle tenait fort depuis tout à l'heure. Ses soubresauts me surprirent et me firent me pencher pour apercevoir son visage. Elle releva son buste, ainsi que son visage et je le vis baigné de larmes. Elles étaient si pures, si vraies, que je savais qu'elle avait vécu un terrible choc. Elle gardait le contrôle de ses émotions, cette fois, elles avaient réussi à prendre le dessus. Je m'approchai d'elle et lui pris les mains, signe de mon soutien. Ma belle-mère les retira d'un coup sec et s'essuya voulant sûrement rester digne.

— Peu de temps après votre départ, la chasse à l'homme contre Benoît a pris une ampleur considérable. Les allemands sont devenus fous, ils ne supportaient pas d'avoir perdu le coupable. Ils essayaient d'avoir des informations de tous les côtés sans réussite. Votre Allemand a failli se faire avoir pour vous avoir aider. Ses dires quant à votre fuite ne tenaient pas debout mais il a néanmoins réussi à leur y faire croire. Mais ce n'est pas ça le pire. Ils étaient tellement en colère, qu'ils allaient dans les maisons pour faire sortir tout le monde et les demander des informations sur n'importe quel secret. Un jour, quelqu'un a avoué que Leah et sa fille étaient juives. J'ai essayé de faire quelque chose, de les aider, mais elles étaient déjà perdues. Cela ne servait à rien de les cacher encore plus longtemps. J'allais tomber avec elles si je le faisais. J'ai essayé, de me procurer des faux papiers plus vrais que les leurs mais...ils sont arrivés trop tard. Les allemands sont venus, les ont trouvées, et sont partis avec. J'ai su trois semaines plus tard, qu'elles avaient été envoyé à Auschwitz. Elles doivent être déjà morte à l'heure qu'il est.

Je la regardais sans rien dire. A vrai dire, je ne trouve pas les mots. De toute façon, aucun ne pourrait être suffisant.

—Je n'ai pas pu les protéger, les faire vivre plus longtemps. J'ai été spectatrice de cette lente mise à mort. L'homme qui les a dénoncé, a été bien condamné par les autres habitants. Il vit désormais en retrait, loin de tous et ne sort jamais. Il a sans doute peur de subir la haine des gens.

— C'est pour ça que vous en voulez encore plus à Benoît. Vous lui reprochez de toujours s'en sortir, de ne jamais se faire prendre, entre le départ à la guerre et sa fuite. Vous pensez qu'il est sans cesse protégé et pas ceux que vous aimez ou ceux à qui vous tenez.

— Maintenant que vous savez tout, vous devez partir. Je n'ai plus rien à vous dire, ni rien à vous faire découvrir. Je ne ferai plus payer de loyer à Madeleine, vous avez gagné. Mais maintenant partez, je vous prie, m'ordonna-t-elle d'un ton froid.

— Je peux rester. Je ne veux pas vous laisser seule, pas après...

— Vous ne comprenez pas, je suis seule. Je suis forcée de rester seule. Les personnes que j'ai aimé sont parties et peut être pour toujours. Mon mari, mon fils, tout le monde. Je vis avec la solitude depuis bien trop longtemps pour m'abaisser à accepter votre offre. Allez plutôt là où vous serez utile.

SUITE ALLEMANDEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant