Chapitre 70

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Elle avait vu, tout vu.

— Qu'est-ce que c'est que ça ? demanda-t-elle l'air crispé

— Quoi donc ? répondis-je innocemment.

J'essayai de trouver n'importe quel moyen pour changer la conversation et lui faire oublier ce qu'elle avait vu. Mais ce genre de chose ne s'oubliait pas, j'en avais bien conscience.

— Lucile, dis-moi tout de suite, pourquoi tu as des marques violettes sur ton dos. Et n'essaye pas de me mentir, ordonna-t-elle sur un ton que je ne lui avais jamais entendu prendre.

J'allais devoir tout lui raconter.

Mes yeux s'embuèrent de larmes sans que je puisse me retenir. Je m'assis sur mon lit pour soutenir mon corps. J'avais tout fait pour oublier ces évènements mais les marques sur ma peau me les rappelaient constamment.

Juliette s'approcha à pas feutrés. Une fois arrivée à ma hauteur, elle s'accroupit afin de me relever la tête.

— Tes marques ne sont pas liées à un accident. Je les ai bien vu. Il y en a des plus anciennes que d'autres. Dis-moi qui te les a faites, je t'en supplie, m'implora-t-elle.

— Tu te souviens de la lettre de ma belle-mère, celle qui parlait de la folie de Gaston due au camp ?

— Oui ?

— Eh bien sa folie ne date pas de cet instant, mais de plus longtemps.

— Pardon ?

— C'est lui qui me les a faites. Il a toujours eu des problèmes pour contenir sa colère. Il était déjà fou avant de partir, avouai-je entre deux sanglots.

Juliette, sûrement abasourdie par mes dires, se laissa tomber par terre. Elle me lança un long regard, n'en revenant toujours pas. En même temps, comment pouvons assimiler de telles paroles aussi rapidement ?

— Qu'est-ce qu'il t'a fait ? me demanda-t-elle d'une voix dure.

— Il a commencé une vingtaine de jours après notre mariage. Il s'est mis en colère à cause d'une bêtise. Il n'avait pas aimé le ton que j'avais pris pour lui répondre.

— Ta belle-mère n'a rien vu ?

— Vu non, mais entendu. Au premier coup, je suis allée la voir pour en parler. J'avais besoin qu'elle me soutienne. Mais au lieu de ça, elle m'a envoyé balader. Selon elle, son fils était incapable de lever la main sur qui que ce soit. Elle m'a fait comprendre qu'il ne fallait plus que je prononce de tels mots.

— Je ne comprends pas, il vivait avec toi et sa mère, il y a forcément dû y avoir des éléments qui l'ont fait douter.

— Elle le savait très bien, puisqu'elle avait peur de lui. À de nombreuses reprises, elle avait des mouvements de recul et des réflexes de protection. Personne n'a ce genre de réflexes si tout va bien.

— Cette femme est vraiment une teigne. Comment a-t-elle pu te laisser dans ces conditions ?

— La logique des uns ne l'est pas pour les autres, répondis-je d'un ton lasse.

— Et les autres fois, c'était pour quoi?

— Parfois, c'était parce que je n'arrivais pas à tomber enceinte, d'autres parce que je ne faisais pas assez attention à moi ou parce que je jouais trop fort du piano. Toutes les raisons du monde étaient valables pour passer ses nerfs sur moi.

— Cet homme me répugne. Tu aurais dû partir Lucile, ne pas te laisser faire ! me sermonna-t-elle

— Comment voulais-tu que je parte ? Une fois mariée, je n'avais plus rien. Mon père est mort quelques mois après d'une maladie. Je n'avais pas d'argent, tout appartenait à la famille de Gaston. On m'aurait retrouvé et j'aurais jeté la honte sur tout le monde. Bussy est une toute petite ville. C'était impossible.

Une fois de plus, elle me serra la main si fortement que j'en avais presque mal.

— Aujourd'hui, tu es libre. Personne ne pourra conduire ta vie. À la fin de cette guerre, si ton mari revient, je ne le laisserai pas venir te chercher, il a perdu ce droit lorsqu'il a osé lever la main sur toi.

— Tu ne fais pas le poids contre lui ma pauvre Juliette.

— Je ne serai pas seule, tout le village sera à mes côtés. Les gens ici t'aiment. Tu es un petit soleil pour nous tous. Tu es l'une des nôtres, me consola-t-elle chaleureusement.

Je la remerciai du regard et essayai de retrouver une respiration normale. Une fois chose faite, je me levai d'un coup, afin de changer de discussion et d'éviter de repenser à ces souvenirs.

— Bon alors, tu la continues cette robe, parce que tu es loin d'avoir fini.

— On n'est pas obligée de continuer tout de suite, si tu veux te reposer encore, je te laisse tout le temps que tu veux.

— Merci, mais c'est mieux que je pense à d'autres choses. Je n'ai plus envie de repenser à tout ça pour l'instant, je préfère me concentrer sur ce qui est vraiment important aujourd'hui, clamais-je d'une voix forte et déterminée.

— Bien, vos désirs sont des ordres votre majesté, plaisanta Juliette en reprenant ses ustensiles.

Elle me fit donc tourner sur moi-même, pour prendre toutes les mesures possibles et inimaginables. D'ailleurs, je ne savais pas qu'il fallait prendre les mesures de mes mollet pour ce genre de création. Juliette était vraiment une couturière originale.

SUITE ALLEMANDEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant