Chapitre 66

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Suzanne m'avait toujours appris qu'un bon mensonge se crée avec le plus de vérité possible car comme ça, si la supercherie est démasquée, on a plus qu'à broder un peu et hop le tour est joué.

Donc le fait de dire que Gaston était mort n'était pas un gros mensonge. Et puis, je doutais que Marie soit contente d'apprendre que l'amie de son fils était mariée.

— Oh ma chère, je compatis, j'ai moi-même perdu mon mari, il y a quelques années, d'une maladie foudroyante. Et sinon, que faites-vous dans la vie ?

— Je suis bénévole à l'hôpital pour m'occuper des blessés, je suis un peu l'épaule sur laquelle on peut se reposer. Je fais tout ce que les médecins et les infirmières ne peuvent pas faire. Comme, ils sont très pris pour les soins et autres, je m'occupe du relationnel, de leur redonner goût à la vie le plus possible. En même temps, je suis marraine de guerre, j'envoie des lettres à tous nos soldats qui sont seuls pour leur apporter le plus de soutien possible, souris-je poliment.

— C'est très noble de votre part, je suis impressionnée. Toutes les femmes devraient mener leur vie comme la vôtre. J'aime ce comportement. Ma première belle-fille est une mollassonne qui n'en fout pas une. Elle m'insupporte d'ailleurs.

— Maman, je t'ai déjà dit d'être plus gentille avec elle, grogna Antoine.

— Plus gentille, ne crois-tu pas que j'ai assez donné. J'ai fait des efforts pour ton frère, pour toute la famille pour apporter de la légèreté dans cette maison, rien n'y fait, Yvette est une peau de vache comme je n'en ai jamais vu. Depuis que ton frère est parti sur le front, elle se pavane dans les rues comme si elle était de nouveau libre. Aux premières nouvelles, Jacques est toujours vivant, elle lui doit le respect. S'il savait ça, le peu de cheveux qu'il lui reste se redresseraient.

— Quoi, Jacques est parti ? Pourtant, ils l'avaient jugé inapte, se questionna-t-il.

— Oui, mais ils ont revu à la baisse le nombre d'inaptes. Pour eux, avoir une mauvaise vue n'est pas handicapant. C'est aberrant. Comment tu veux qu'il voit sa cible ? Il est myope comme une taupe. On aura déjà de la chance s'il ne tue pas ses camarades.

Je comprenais maintenant d'où Antoine avait tiré ce côté si direct. Sa mère était un réel phénomène.

— Et donc pour l'instant, quelle direction prend cette relation ? J'imagine que vous avez parlé un peu du futur non ?

— Maman, tu t'enflammes là. On ira là où le vent nous emportera. Pour l'instant, on n'a pas de projet ou d'envie. Quand tu es coincé dans un lit d'hôpital, je peux te dire que tu envisages le futur sous un angle bien différent.

— Vous les jeunes alors ! râla-t-elle.

— Sinon, comment ça se passe à la maison  ? demanda Antoine.

— Je voulais t'en parler mais je ne savais pas comment l'aborder. Michel a eu un accident avec son avion. On a perdu sa trace peu après son décollage. Ça fait maintenant plusieurs jours qu'on ne sait pas où il se trouve et tu sais que plus on attend moins il y a d'espoir, dit-elle la gorge serrée.

Antoine, sous le choc, s'enfonça encore plus dans son lit, le regard vide. C'était presque sûr, il avait perdu un frère et ce n'était sans doute pas terminé.

Un silence désagréable s'installa entre nous.

— Je ne voulais pas te faire de la peine, mon titi. J'aimerai ne t'annoncer que des bonnes nouvelles pour que tu puisses te remettre le plus vide possible, mais ce n'est pas la réalité. Je suis tellement désolée mon chou, dit Marie en agrippant le bras de son fils

— Non, ne t'en fais pas, il fallait que tu me le dises un jour où l'autre.

— Bon, on ne va pas rester à faire la tête pendant toute l'après-midi, non ! Lucile, dites-m'en un peu plus sur votre vie, ce que vous faisiez avant la guerre, sur votre mari, j'ai hâte d'en apprendre plus sur vous. Je crois que je vais nettement plus vous aimer que mon autre abominable belle-fille.

— Maman, je ne crois pas que ce soit approprié. Tu sais, c'est encore nouveau, tenta-t-il pour me sauver.

— Ne badine pas n'importe quoi. C'est important que je la connaisse pour savoir si elle te mérite ou même si toi, tu la mérites. Allez Lucile, je vous écoute.

— Oh vous savez, il n'y a pas grand-chose à dire, essayai-je.

— Sottises, je le sens, vous avez une soif de parler, de raconter vos aventures.

— Et bien, j'ai mené et je mène toujours une vie très simple. J'habitais avant dans un petit village nommé Bussy, c'est là que j'ai rencontré mon mari. Nous nous sommes mariés, mais nous n'avons pas eu l'occasion d'avoir d'enfants. À l'annonce de la guerre, Gaston est parti. Très peu de temps après il est tombé sous les balles allemandes. Je suis donc partie pour refaire ma vie autre part. Je ne pouvais plus être vue comme la veuve de guerre. Maintenant, je vis chez une amie et en parallèle, je m'occupe de l'éducation de la fille d'un couple d'amis de Bussy, expliquai-je.

— Et bien, on ne peut pas dire que vous ne faites rien de votre vie. Sachez que je vous aime de plus en plus.

— Bon maman, c'est bon ta curiosité est satisfaite ? Tu vas pouvoir changer de disque ? lança Antoine.

— T'es vraiment le fils de ton père. Tu ne cesseras donc jamais de me faire la morale. Tu n'as qu'à me raconter ta vie. J'ai l'impression que je suis la seule à être intéressée par quelque chose, rouspéta-t-elle.

SUITE ALLEMANDEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant