Chapitre 39

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Avec Antoine, nous avons discuté pendant des heures. Son récit était tellement poignant que j'en ai encore la chair de poule. J'ai essayé de m'imaginer vivre sa vie, mais je pense que j'étais bien loin de la réalité. Même mon imagination ne peut aller aussi loin dans la dureté de la vie.

Je crois d'ailleurs que je n'oserai plus jamais me plaindre. Cet homme avait tout mon respect.

Une fois rentrée, j'aidai Juliette à préparer l'arrivée d'Anna, me permettant ainsi d'arrêter de penser aux aveux d'Antoine. Ils m'avaient pris littéralement aux tripes.

— Tu sais, je ne comprendrai jamais pourquoi tu t'entêtes à préparer cette chambre aussi rapidement. Elle ne doit pas arriver avant plusieurs jours. On a tout notre temps, annonçai-je.

— C'est bien une remarque de jeune. Pour vous, oui, on a tout notre temps. Mais avec ce genre de pensée, on repousse les échéances et on se retrouve envahi d'une montagne de corvée, m'expliqua-t-elle.

— C'est peut être une pensée pour les jeunes comme tu dis, mais ce que tu viens d'expliquer, c'est plus une généralité pour les vieilles personnes, me moquai-je.

— Viendrais-tu par hasard de me traiter de vieille ? Me demanda t-elle en levant son sourcil gauche.

— Je croyais que les vieilles personnes avaient la possibilité de comprendre le sens implicite des mots, ris-je.

— Elles en sont sûrement capables mais avec toi, pas besoin d'être si vieille, le supposé mot implicite se retrouve très explicite.

— Oh, je crois que je viens de heurter une âme sensible.

— Tu vas voir si je suis si sensible, dit-elle en me lançant un oreiller en pleine tête.

Nos chamailleries durèrent une bonne vingtaine de minutes avant qu'on finisse par capituler, mortes de fatigue. On s'allongea sur le lit, la tête côte à côte, le regard plongé vers le plafond. Un long silence s'installa entre nous, seul le bruit de nos grandes inspirations flottait dans l'air.

— T'aurais aimé avoir des enfants, finis-je par dire, brisant le silence.

Elle tourna vivement la tête de mon côté, surprise par ma soudaine question. Apparemment, jamais on ne lui avait vraiment posé la question. Elle prit une grande inspiration et se livra.

— J'aurais aimé oui, mais je voulais d'abord trouver l'homme avec qui en faire. Malheureusement, je ne l'ai pas trouvé. Une partie de moi regrette de ne pas avoir pu en élever, de ne pas avoir pu tricoter des petites chaussettes ou des écharpes. Seulement, la vie ne nous laisse pas forcément l'opportunité de tout faire. Il faut croire que c'était soit mon commerce, soit une vie de famille épanouie. J'ai fini par choisir mon magasin. Pour être honnête, si j'avais pu avoir le choix entre ne pas avoir d'enfant ou avoir un fils, j'aurais choisi de ne pas en avoir. Quand je vois ces pauvres femmes attendre, ça me rend folle pour elle. Je n'aurais pas pu. Faire comme elle, prier pour que mon fils revienne sain et sauf. La vie m'a peut être protégée en fin de compte, et toi ? révéla-t-elle en tournant la tête dans ma direction.

— Oui, j'aurais aimé. Mais avec Gaston, c'était compliqué. On vivait ensemble mais on ne se comportait pas comme un véritable couple. On faisait chambre à part, on ne se parlait presque pas. C'est difficile de concevoir un enfant dans ces cas là. Mais j'aurais aimé en avoir un assez tôt pour qu'il rencontre mon père. C'était un homme bien avec beaucoup de principes mais il est parti quelques mois après mon mariage. De toute manière, médicalement parlant, ils n'auraient pas pu se rencontrer.

Je fis une pause dans mon discours repensant à ce que j'avais appris sur mon époux quand Bruno était encore à Bussy.

— Je me souviens que ma belle-mère nous demandait constamment quand est-ce qu'elle serait grand-mère. Je pense qu'elle n'était pas au courant qu'avec notre comportement l'un envers l'autre, ce n'était pas près d'arriver. Mais il faut croire que Gaston était en manque de relations charnelles. Il m'a trompé dès la première semaine avec une femme du village. J'ai réussi à être aveugle jusqu'à ce que je tombe sur une lettre d'un voisin le dénonçant. J'avais appris qui était réellement mon mari et j'en avais bien honte. C'est une chose d'avoir une femme et une maîtresse, mais c'en est une autre d'en avoir plus. En tout cas, il avait plus d'une dizaine de femmes qui succombaient à son charme et à ses demandes. Il a réussi à avoir une fille, Simone. Je ne sais même pas s'il l'a reconnu, s'il a décidé d'être un père pour elle ou si c'était simplement pour s'occuper un moment avec une autre femme.

— Ton mari semble une crème des crèmes, ironisa-t-elle la mine dégoûtée.

Mes pensées se dirigèrent vers des lieux obscures où je ne devais pas me perdre, mais l'inconscient se montrait parfois plus fort que la raison.

SUITE ALLEMANDEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant