Chapitre 49

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Ma mère plaçait en moi des attentes incommensurables. Ma sœur avait, en raison de son caractère indiscipliné, fait perdre toute foi en l'humanité auprès de ma mère. J'étais donc là pour rattraper la situation. J'étais une sorte de bouée de sauvetage, la sixième roue qui assurait la stabilité du carrosse. Un soir de juin, alors que j'attendais bien sagement dans la maison le retour de ma sœur avant celui de nos parents, je fis les cents pas. Suzanne avait souvent des rendez-vous tardifs et me chargeait de trouver des excuses si nos parents revenaient avant elle. Comme toujours, je la suivais dans ses mauvais choix, je n'avais pas vraiment mon mot à dire. Mais à cet instant, je sentis un mauvais présage, quelque chose clochait. Peut-être était-ce dû au fait qu'elle aurait dû rentrer depuis au moins trente minutes et que notre mère n'allait pas tarder à arriver. J'imaginais déjà sa tête, effarée qu'une de ses filles soit dehors par cette heure tardive. Sauf que ce que je redoutais le plus arriva. La bicyclette arriva dans le plus grand des calmes dans la cour de la maison familiale. J'attendais avec la boule au ventre le moment où je devrais lui annoncer la nouvelle. À chaque fois, Suzanne faisait en sorte d'arriver avant et faisait mine de rien. Mais là, j'allais devoir lancer une bombe qui allait secouer toute la maison. Je vis ma mère passer la porte d'entrée, enlevant son béret soigneusement agrippé à sa tête par de fines pinces.

— Oh ma chérie tu es là. J'allais venir dans ta chambre pour t'annoncer une grande nouvelle. La fille de la voisine va se marier avec le frère du curé. Tu sais celle avec qui tu jouais quand tu étais petite. Elle veut d'ailleurs que tu sois sa demoiselle d'honneur. Quand elle me l'a dit, j'ai failli accepter tout de suite mais je sais que ton père m'aurait disputée sur le fait que ce n'est pas à moi de prendre ce genre de décision, je te connais. Enfin, tu n'oublieras pas de donner ta réponse assez vite. Je ne veux pas la faire attendre, dit-elle occupée à ranger son manteau, son béret et quelques autres accessoires.

Elle s'installa dans son fauteuil en regardant avec intérêt les dernières lettres arrivées pendant son absence. Elle ne fit presque pas attention jusqu'au moment où, sans doute, mon mutisme vint la questionner.

— Eh bien, ma puce, tu es bien silencieuse. Tout va bien ? me demanda-t-elle finalement après avoir essayé d'ouvrir un paquet trop bien emballé.

— Je...Oui, je suis un peu fatiguée, tentais-je d'expliquer peu sûre que ce soit suffisant.

— Tu es sûre ? Tu es toute blanche. Je peux appeler le médecin, si tu ne te sens pas bien. Il fera le déplacement sans problème.

— Non vraiment, ce n'est rien à part la fatigue.

— Chérie, je te connais depuis ta naissance. Je sais très bien quelle tête tu fais lorsque tu es malade ou lorsque quelque chose te contrarie. Comptes-tu m'expliquer ou comptes-tu rester à ruminer toute la soirée ?

— C'est juste un enfant qui m'a rendu chèvre. Il refuse de faire ses devoirs de mathématiques.

— Oh d'accord, n'en fais pas une affaire personnelle. Tu sais qu'à cet âge, rien ne compte plus que les billes. Je me battais constamment avec ta sœur pour ses leçons. En parlant de ta sœur, sais-tu où elle est. D'habitude, elle vient directement me voir après que je sois rentrée. Suzanne ! cria-t-elle.

Je me mis à me balancer sur mes pieds mal-à-l'aise. Ça devenait de plus en plus difficile de cacher le secret. Je priais tellement fort que Suzanne arrive par derrière pour sauver sa peau. Hélas ma prière ne sembla pas être exaucée puisque le terrible moment arriva.

— Suzanne, SUZANNE ! Mais que fait ta sœur‌ ? Il est plus de 19 heures, elle devrait être avec toi. Lucile, dis-moi où est-elle ? grommela ma mère.

— Je... Elle est... Enfin...

— Cesse de baragouiner. Elle n'est pas ici, c'est ça ? Elle est dehors. Je savais que tu me cachais quelque chose de plus important qu'un simple garçon qui ne veut pas faire ses devoirs. Tu as intérêt de me dire tout de suite où est ta sœur‌ ! s'impatienta-t-elle.

— Elle est dehors, lâchai-je finalement, ne pouvant plus tenir tête.

— Où exactement ?

— Je ne sais pas. Elle m'a juste dit qu'elle serait de retour avant 19 heures.

— Oh je vois. Donc, elle avait prévu de passer la fin d'après-midi dehors et de rentrer avant moi, l'air de rien. Depuis quand est-elle partie ?

— Depuis cet après-midi, dis-je très mal-à-l'aise.

— Plus précisément ?

— Depuis 14 heures, prononçai-je d'une petite voix fluette.

Je vis les yeux de ma mère sortir de leurs orbites sous l'effet de la surprise. Elle ouvrit la bouche sûrement pour exprimer sa colère, mais se ravisa, préférant faire les cent pas dans tout le salon. Elle se pinça l'arrête du nez, habitude qu'elle avait prise lorsqu'elle était énervée et lorsqu'elle essayait de se calmer. Généralement, c'était inefficace.

— Suzanne est dehors depuis au moins cinq heures. Il commence à faire nuit et elle est seule dehors, je ne sais où, à faire je ne sais quoi. Elle fait ça souvent ? De partir des après-midi ? demanda-t-elle furieuse.

— Depuis deux ans, à chaque après-midi ou les matins quand tu n'es pas là, flanchai-je, sûre d'être l'objet de son défoulement.

— Depuis deux ans ? Mais que fait-elle pendant toutes ces heures ? Elle doit certainement voir quelqu'un, sinon pourquoi disparaître en secret.

Je laissai ma mère ruminer dans son coin, essayant de chercher la meilleure réponse à toutes ses questions. Mais aucune n'était assez bonne. Je tentais de fuir le salon, pour aller me réfugier dans ma chambre. Toutefois, ma mère fut assez rapide pour me remarquer sortir à petits pas.

— Lucile reste là, j'ai besoin de tout savoir sur ses sorties. Il faut la retrouver vite. Qui sait sur qui elle peut tomber. Il fait presque nuit. Je ne vais pas pouvoir attendre ton père pour agir, m'affirma-t-elle prête à sortir de ses gonds pour de bon.

SUITE ALLEMANDEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant