CHAPITRE LXIII

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Je me retrouve dans mon grenier, à la gare, à Londres. Dans mon refuge dont j'avais oublié les murs jaunis suintant. Il est vide.
Je sors dehors et remarque que les passants peuventme voir. J'arrive à les toucher.

Au loin, je vois Thomas faire du repérage à côté des étalages, tandis qu'un policier le tient à l'oeil.
C'est le jour où Thomas s'est fait attrapé. Où ma vie à basculee. Où tout à changer pour moi.
Ce jour-là, même si ce n'est pas moi qui me suis faite attrapée, une partie de mon esprit s'est fait emparé avec sa disparition.

Je le suis en filature. Je me veux discrète. Mais contre toutes attentes, il se faufile dans les ruelles. Alors que je le perds du regard et me retrouve dans un cul de sac, quelqu'un se place au millieu du chemin derrière moi.

- Comme ça, ça me suit, la naïve !? Me demande-t-il de sa voix aiguë.

En effet, il ne faut pas se demander d'où me vient ma manie de donner des surnoms à tout le monde. C'était un jeu avec mon frère, parce que l'on ne retenait jamais les prénoms des nouveaux arrivants de l'orphelinat.

Je me retourne vers le petit qui n'est pas plus haut que trois pommes, les mains sur les hanches.

- Tu n'es pas très futé, brunasse.

Je lui souris.

- Toi non plus, avec les poulets, petit.

Il me sourit.

- Tu me rappelles quelqu'un. Rigole-t-il.

- Ah oui ?

Il me dévoile ses petites dents de lait blanches.

- Ma soeur.

Sa remarque me fait chaud au coeur.

- Mais elle est plus intelligente que toi.

Sur ces mots, il part en courant. Je ris. C'est bien mon Thomas qui m'a laissé il y a quelques années. C'est étrange de le voir, maintenant, sans la sagesse qu'il avait aux Enfers. Les Enfers... quelle horreur.

Je sors des ruelles mouillées par la pluie et l'atmosphère humide de l'Angleterre.

Les marchands crient toujours aussi fort, à en cracher leurs poumons, pour vendre leurs marchandises. Les passants sont toujours aussi pressés, bousculant les gosses sans les relever aucun intérêt. Tout s'anime. Le postier manque de me renverser, avec sa casquette de laine, et sa moustache de coursier. Les seuls hommes riches au volant de leurs voitures à moteur klaxonnent pour passer. Les chevaux henissent alors que des conducteurs les faient avancer à coup de fouet. Nous, les enfants, ne sommes jamais considérés. Comme des fantômes, on passe à travers la foule de gros riches fumant le cigare américain. La fumée se mélange à la condensation. La neige tombe encor. Le froid passe un peu sous mes vêtements. À ce moment de l'année, plus jeune, je regardais ces aristocrates sous leurs capes lourdes. Je me disais que je n'étais pas née sous la bonne étoile, le mauvais jour, un peu cimme tous les orphelins. Les hautes ontdes chapeaux volumineux, tandis que moi j'ai quelques bouts de tissus pendants ici et là. Mais ça ne fait rien. Je me dis que je suis certainement plus heureuse que ceux-là qui se sont engrossis, étriqués dans leur bienséance.

Je traverse ces gens en me faufilant tel que je l'ai toujours fait. Je suis Thomas dans l'immense place froide. Mon garçon chipote quelques biens des etales. Un policiers gras, au double menton, s'approche un peu de lui en le surveillant. Les bras dans le dos, il garde à l'oeil le gamin qui court sous les jupes fivoles des dames imposantes.

Alors que Thomas se rapproche de l'étalage de ce Monsieur Davis, le traître, Thomas tourne la tête vers moi pour je ne sais quelle raison. Je ne comprends certainement pas. Non, en fait, il ne me voit pas, il regarde la gare, notre très cher foyer.
Monsieur Davis fait un signe de tête à l'autre double-menton, qui tapote des mains en attente de la faute. Quels enfoirés. Thomas fixe cette grosse pomme rouge, celle juste à côté de lui, à sa portée. Dans un geste brusque mais tout à fait habituel, il la prend pour partir à toute vitesse. Comme le poulet s'en doutait, il ne prend par grand temps à admirer le tableau. Il le suit, remuant à chaque pas son gros ventre qui ne peut s'empêcher de tenir. Dégoutant.
Thomas a de la facilité de le semer, le flic essoufflé a de grandes difficultés à le doubler, il est tout rouge et en sueur. Parallèlement, je les suis. Alors que je regarde dans quelle direction part mon petit frère, je manque de me prendre un vieux avec sa canne et son costard en soie. Je glisse entre ses jambes et me relève, m'en fiche d'être pas en bon état, des vies en dependent. Et franchement je ne sais comment je vais m'y prendre dans tout ce merdier.
Alors que Thomas descend vers l'avenue, tout comme ma course poursuite un an après, une voiture de police arrive.

Je suis trop éloignée pour pouvoir atteindre Thomas et l'aider. Même en courant de toutes mes forces, il me serait impossible de faire quoi que ce soit. Je regarde l'automobile de police rouler à toute vitesse. Je place un pied sur la route dégagée. Une voiture tirée par des chevaux avance vers moi, leurs sabot tapant les pavés.
Je n'ai pas le temps de réfléchir. Il n'y a aucune autre solution. Elle m'avait dit que je ne mourrais pas, elle a mentit. Mais après tout, tout le monde ment.

Je me jette sous les sabots. Je ne ressent rien. Je ne fais que pleurer. J'entends un grand vacarne alors que je me retrouve à terre sur le sol glacé. Levant difficilement la tête, je remarque que Thomas est totalement choqué, pourtant il comprend et s'échappe. Les poulets, eux, ne réagissent pas puisqu'ils sont littéralement figés.
Ma tête tape contre le sol biscornu des pierres polies. Ma cage thoracique peine à se soulever pour respirer. Une perle d'eau salée rafraîchit ma joue.

Tout ce que je ne vois, c'est elle, penchée au-dessus de moi. À ma grande surprise, elle pleure autant que moi.

- Je suis désolée, sincèrement désolée. Chuchote-t-elle.

Dans un murmure à peine audible, je lui réponds.

- Vous avez mentis.

Elle me sourit tristement.

- Je n'ai pas menti, Eli. Toi, tu meurs ici, mais Croyance vivra une autre vie que la tienne.

Je renifle. Que je suis bête. Je ne suis qu'une version de moi-même dans un monde parallèle. Une autre version de ma vie va exister. C'est beau. Pas triste. Au contraire.

- Mais souviens-toi de quatre mots. Dis le lui. C'est important.

Elle se penche à mon oreille.

- Peter Pan n'échoue jamais.

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