-Sauveuse-

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Quand je suis arrivé au lycée, j'avais passé mes grandes vacances sans aucunes nouvelles de Luc, et ça allait continuer pour toute l'année scolaire.

J'étais seul, je n'avais pas d'amis, et des bandes se sont vites formées... Sans moi.

J'aime être seul, il est vrai, mais être le dernier choisi systématiquement lors de formations de groupe pour les cours est pénible.

Je m'imaginais déjà finir mon année seul et déprimé, toujours dans mon coin.

Et puis j'ai rencontré Alice.


Alice n'était pas dans ma classe, en Seconde, contrairement à cette année (en Première L), mais nous étions tous deux dans le club Journal du lycée.

Je ne l'ai pas remarquée tout de suite, parce qu'elle s'occupait dans son coin des illustrations, et moi des articles.

Un jour où j'avais fini mon boulot en avance (la place importante mais mal vue du rap dans la musique), j'ai eu un élan de sociabilité et ai décidé de distribuer du café aux autres.

Que je précise : nous sommes bien trop peu pour gérer le journal. Concrètement, si pour les interviews et gestion du site internet, nous étions bien lotis, pour ce qui était de la rédaction et autres taches plus pénibles, peu de gens se précipitaient. Par conséquent, à part les grandes réunions ou quelques petits groupes, nous n'échangions pas tant que ça entre nous, du moins pas en face-à-face, privilégiant internet et sms. Nous avons tous notre place dans la salle, et n'allons pas trop déranger les autres.

Je n'aime pas le café. J'ai toujours préféré le sucré, comme avec les chocolats chauds.

Mais puisque c'est grâce à lui que j'ai rencontré Alice pour la première fois, je ne peux pas le détester.

Il ne me restait plus que trois gobelets lorsque je suis arrivé dans le coin des dessinateurs.

Deux quand je suis arrivé à sa table.

Un quand j'ai renversé l'autre par terre.

Le dernier était pour elle.

J'ai commencé à lui demander si elle en voulait, et pour la première fois depuis un petit moment, je me suis mis à bégayer lorsqu'elle a tourné son visage vers moi.

Je ne sais pas si c'est la fumée du café brulant, mais je sentais mon visage chauffer. Je lui ai tendu le gobelet et ai demandé avec le moins de mots possible si elle en voulait.

Elle a eu un petit rire et m'a souri en me remerciant, avant de dire qu'elle était une grande fan de café, pour ensuite retourner à son travail.

Je voulais rester, je voulais la regarder jusqu'à ce que sa vision se grave à jamais dans ma rétine.

Je suis resté debout quelques secondes à chercher quoi dire avant de lâcher prise. Alice, elle ne méritait pas mes bégaiements foireux et mes discussions plates. Elle méritait des discussions avec du vocabulaire et une éloquence aussi magnifique qu'elle.

Depuis, j'ai distribué le café chaque semaine, après avoir fini mon travail.

Je me renseignais sur elle et je m'asseyais de sorte à être tourné dans sa direction pour l'observer, penchée sur sa feuille de dessin, concentrée.

Alice, c'était ma sauveuse, mon rayon de soleil, ma raison d'aller en cours.

Elle n'était pas juste jolie.

Elle était gentille avec tout le monde. Elle ne se moquait jamais de mes bégaiements.

Elle était très intelligente. Elle corrigeait parfois deux-trois articles qu'elle apercevait.

Elle était douée. Elle avait parfaitement sa place dans le club Journal.

Et puis un jour, Alice a pleuré.

Et quelque chose en moi s'est brisé.


Je ne la connaissais pas, cette fille. Je ne lui parlais pas. Je savais juste que c'était une Première. Qu'elle s'appelait Marie. Qu'elle faisait du dessin aussi.

Et que je la détestais pour avoir fait pleurer ma Alice.

Je ne sais pas ce qu'il s'est passé. J'étais sur mon ordinateur, à faire mes recherches sur la place de l'homosexualité dans la religion. J'étais très concentré dessus, parce que j'étais en retard.

Quand j'ai levé la tête, Marie était debout devant la table de mon rayon de soleil. Elle avait les sourcils froncés.

Et Alice avait la tête baissée, elle était recroquevillée sur sa chaise, ses cheveux cachaient son visage.

J'ai eu un instant de réflexion. Puis j'ai compris.

Alice s'est levée d'un coup, elle a dit qu'elle avait besoin d'aller aux toilettes, et mon cœur s'est fendu en milles pièces lorsque j'ai vu ses joues briller avec la lumière du plafonnier.

Une fille qui lui parlait parfois est sortie après elle.

Et moi, je suis resté vissé sur ma chaise.

Je voulais aller la voir, je voulais lui parler, la prendre dans mes bras, lui caresser les cheveux, lui chuchoter à l'oreille que ce n'était rien, l'embrasser doucement pour la calmer, la serrer contre moi.

Mais je n'étais rien.

Je n'étais absolument rien.

Je ne savais rien d'elle, elle ne me connaissait pas, comment quelqu'un comme moi aurait pu la réconforter, elle ?

Je suis juste resté devant mon ordinateur, et les lettres dansaient devant mes yeux. Je voulais vomir, je voulais crier, je voulais me frapper pour ne pas l'aider.

Mais quelqu'un de mieux que moi s'occupait déjà d'elle.

Quand elle est revenue, je me suis foutu de mon article à la con, et je me suis approché d'elle, le gobelet tout contre moi.

Elle avait les yeux rougis, mais elle était toujours aussi magnifique.

Je lui ai tendu le café, et elle m'a souri.

J'avais envie de la coucher dans un lit et d'éteindre la lumière pour qu'elle se repose, j'avais envie de lui offrir des bonbons sucrés pour l'éloigner de ses perles salées, j'avais envie de gommer ce faux sourire de son visage pour le lui donner un vrai.

Mais j'ai juste baissé les yeux en partant.


Alice, elle n'a pas d'amis.

Alice, elle vaque de connaissances en connaissances, pour ne pas être seule.

Alice, elle a pardonné à Marie.

Alice, elle veut juste aider les autres, peu importe comment ils l'ont traitée.

Alice, elle ne mérite pas ça.


Je me fiche qu'elle ne m'aime pas. Je veux juste qu'elle soit heureuse. Qu'elle ait des amis, qu'elle soit aimée. Pourquoi les gens ne se rendent-ils pas compte de sa perfection ?


Alice, je ne sais pas si je suis amoureux d'elle.

Alice, je me plierais en quatre pour la voir rire.


Ma Alice, si je n'étais pas aussi misérable avec mon anxiété sociale, il y a longtemps que je t'aurais dit vouloir gouter ton sourire.

Notre Bordel d'AmourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant