-Compliment-

47 10 0
                                    

Le dernier jour de mon année de Seconde, j'étais terrifié.

J'avais peur qu'Alice ne change de lycée. Qu'elle ne se réengage pas dans le club Journal. Qu'elle ne change durant les grandes vacances. Que je ne la revoie plus jamais. Que mon rayon de soleil ne s'éclipse sans avoir jamais su mes sentiments pour lui.

Les derniers moments où je l'ai vu, je me suis dit qu'il fallait faire quelque chose.

Le dernier jour, je l'ai croisé par hasard dans la cour. Assise sur un banc, à souffler sur son gobelet de café. J'ai hésité pendant un long moment en la regardant de loin, doutant de l'impression que j'allais donner.

Puis, j'ai inspiré un grand coup et j'ai avancé vers elle, en entendant les battements de mon cœur dans mes oreilles.

Quand je suis arrivé devant elle, elle ne m'a pas tout de suite remarqué. J'ai eu encore quelques secondes de grâce avant qu'elle ne lève ses yeux surpris vers moi. Je me suis dit qu'il était trop tard, que maintenant que j'avais fait tout ça, je ne pouvais plus reculer. Alors j'ai dit son nom.

« Alice. »

Et ça, rien que ce mot, rien que ce prénom, rien que de l'avoir fait rouler et couler sur mes lèvres, j'ai senti toute mon angoisse s'envoler. Alice, ma Alice, si elle était là, alors rien de mauvais ne pouvait m'arriver.

Le reste s'est faufilé de lui-même. Il était resté tellement longtemps caché dans mon cœur, qu'à peine avait-il vu l'ouverture, il s'était précipité hors de ma bouche, tellement prêt qu'aucun bégaiement ne l'a entaché.

« Alice, je sais que c'est bizarre parce qu'on ne se connaît pas, mais je voulais vraiment que tu saches que tu es la plus jolie fille du lycée, et que même si j'ai l'air flippant ou ridicule à te dire ça, je m'en fiche, tu mérites de connaître ta beauté. »

Est-ce que j'ai baissé les yeux de honte en premier, ou bien est-ce elle qui a détourné la tête pour cacher ses dents blanches qui se montraient lors de son rire, je ne sais pas.

Alice avait des jolies tâches rouges sur ses joues rondes, et je ne voulais que les embrasser pour pouvoir connaître leur gout, mais je me suis retenu.

-Wow, je- Merci Lucas, c'est adorable, ça me fait super plaisir, elle a dit en retournant sa tête vers moi, remettant une mèche de cheveux derrière son oreille, toujours rose.

-Tu sais, je veux te le dire depuis le début de l'année, mais à chaque fois je me disais que j'allai te mettre mal à l'aise ou avoir l'air d'un abruti, donc je repoussais. Mais comme on ne va peut-être plus se voir, je me suis dit qu'il fallait que tu le saches.

Toute mon angoisse était partie, je souriais, totalement serein, bien que toujours conscient de la situation atypique.

-N-Non, ne t'inquiète pas, tu n'es pas ridicule ! C'est vraiment gentil, merci.

Peut-être riait-elle de mon ridicule.

Peut-être riait-elle de gêne et pitié.

Peut-être riait-elle pour cacher ses rougissements.

Peut-être riait-elle de joie.

Je m'en fichais.

Parce qu'elle riait grâce à moi.

Et je crois que pour la première fois depuis un long moment, mon anxiété sociale m'a félicité de ne pas l'avoir écouté.

Et j'étais heureux.

Alors mon sourire s'est élargi, et lorsque la cloche a sonné, je suis allé joyeusement en cours.

Quand la journée s'est terminée, je n'étais cependant toujours pas rassuré. Je ne voulais toujours pas qu'elle parte.

Peut-être étais-je désespéré, je ne sais pas. Toujours était-il que je ne pouvais décidemment pas me contenter de rentrer gentiment chez moi.

Lorsque j'ai franchi le seuil du lycée et que j'ai vu de loin sa forme qui s'éloignait dans la rue, je n'ai pas réfléchi, je lui ai emboité le pas.

Ce n'était pas le chemin pour rentrer chez moi.

Ce n'était pas pour la rattraper et l'embrasser.

C'était juste pour la voir encore un peu plus.

Avec un écart de plusieurs mètres de sécurité entre elle et moi, je l'ai suivi en fixant sa silhouette de rêve de dos.

Alice est trop pure pour des pensées dépravées. Jamais je ne l'ai regardé d'une façon déplacée. Tout n'est qu'élégance chez elle, pas de vulgarité.

Lorsque je l'imaginais nue, ce n'était pas à des fins sexuelles, c'était juste pour tracer imaginairement du doigt ses courbes parfaitement faites, l'imaginer allongée sur un divan, drapée dans un tissu, ne laissant qu'à peine dépasser un sein, comme les muses des tableaux.

Alice peut être sulfureuse, mais jamais vulgaire. Son corps n'est pas fait pour la brutalité et l'horreur du sexe. Il est fait pour être observé avec amour, caressé avec tendresse, embrassé avec douceur.

Alors, non. Je n'ai pas fait -et ne ferais au grand jamais- cela dans l'unique but de satisfaire je ne sais quelle envie perverse.

Je l'ai fait parce que j'avais besoin de la voir encore, d'être sûr qu'elle n'allait pas disparaitre dans la nature, de sentir encore les doux rayons de mon soleil caresser ma peau.

Cet après-midi, je l'ai suivi jusque chez elle. Après tout, on m'a toujours dit de suivre mes rêves.

Cet après-midi, j'ai attendu qu'elle ouvre la porte de son immeuble pour soupirer.

Cet après-midi, j'ai compris que j'étais définitivement dépendant d'Alice.

Quand je suis rentré chez moi en retard, je me foutais que ce soit la fin des cours, je me foutais de mon ventre qui gargouillait. J'ai balancé mes affaires dans un coin, et j'ai pris la photo du groupe du club Journal que j'avais gardé dans un tiroir.

J'ai frénétiquement vidé mon sac pour prendre ma trousse, l'ouvrir, et prendre mes ciseaux.

Et je l'ai découpée avec la plus grande des minuties.

Shtack, j'ai coupé la personne à sa droite, dont je me fichais éperdument.

Shtack, j'ai longé le haut de son crâne, faisant attention à ses cheveux.

Shtack, j'ai gardé l'arbre en fleur à sa gauche, aussi majestueux et poétique qu'elle.

Shtack, j'ai contourné les magnifiques courbes de ses hanches, coupant la personne en dessous.

Le reste de la photo est tombé à terre pendant que j'observais Alice.

Même si ce n'était qu'une photo, je pouvais sentir mes joues chauffer Avais-je vraiment le droit de faire ça ? J'étais persuadé qu'elle ne m'en voudrait pas.

Alors, avec toutes mes précautions, je l'ai rangée dans la boîte sous mon lit, où elle est allée rejoindre celles de Luc.

Décidemment, j'étais dans un sacré bordel amoureux.

Notre Bordel d'AmourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant