De nos quatre ans d'amitié, il n'y a eu qu'une fois où Luc et moi avons dérapés.
Je veux dire, oui, il nous était déjà arrivé à plusieurs reprises de regarder ensemble des trucs pas très catholiques juste pour voir, mais tous les ados font ça par curiosité. C'est les hormones qui foutent le bordel dans votre corps.
Nous étions en Troisième. La dernière année de réelle amitié. Avant la tentative de suicide, avant le trou d'un an, avant tout ça. Nous étions plus liés et pervers que jamais.
On avait un cours qui avait sauté, donc on pouvait rentrer une heure plus tôt chez nous. J'ai décidé de ne pas prévenir mes parents et de plutôt aller passer du temps chez Luc, vue que personne n'était chez lui.
On s'est installés dans sa chambre, avachis sur son lit, et ça faisait bien vingt minutes qu'on ne se disait rien.
Mais au bout d'un moment, il a brisé le silence.
« On a rompu Corentin et moi. La s'maine dernière. »
J'ai eu un instant de silence et de réflexion, puis j'ai réalisé et je me suis redressé sur mes coudes. Et c'est parti en steaks.
« -T'étais en couple avec lui ?!
-Ouais.
-Depuis combien de temps ?
-J'sais pas, un mois ?
-Et tu m'as rien dit.
-Ouais.
-Salaud.
-J'assume.
-Tu m'dis jamais quand t'es en couple. Alors que j'ai l'impression que tu l'es toujours.
-Jaloux ?
-Je sais pas. J'ai jamais été en couple, et qu'une fois amoureux. Quand j'avais six ans. Une fille de ma classe qui était super. Mais elle a déménagé.
-T'aimerais essayer ? D'être en couple.
-J'en sais rien. Je vais être nul. Et je vais sûrement foirer mon premier baiser.
-C'est pas compliqué pourtant.
-Tu dis ça parce que t'embrasses des gens depuis tes douze ans sale con. Moi j'ai jamais embrassé personne.
-Je t'ai dit que c'était pourtant pas si galère. Regarde. »
Et avant que je ne comprenne, il était penché sur moi et avait ses lèvres plaquées contre les miennes.
Ça peut paraître dingue pour vous, mais Luc et moi, on était plus proches que vous ne pouvez vous l'imaginer. On restait en boxer, voir à poil en été quand il faisait trop chaud, sans que ça ne nous gêne le moins du monde. On avait ce genre de relation où les gens doutaient tout le temps de la véritable nature de nos sentiments. Enfin, après coup ils avaient raison, mais sur le moment, non.
Alors, oui, ce baiser il n'avait pas vraiment de valeur pour moi à cette époque. C'était un truc qui ne me choquait pas tellement plus qu'une bise.
Pour lui bien sûr, j'imagine que ç'avait été tout autre. Mais sur le coup, je n'avais absolument rien remarqué.
Ce n'était pas non plus purement innocent, pas un plaquage de lèvres l'une contre l'autre. Il y avait quelque chose derrière. Quelque chose de trop discret pour être remarqué sur le moment, mais qui était bel et bien présent. Quelque chose de lubrique, d'une certaine façon. Et évidemment, une incommensurable tendresse dûe à son amour, que je n'avais pas pu saisir, et qui me manque à présent beaucoup trop.
Moi, je restais comme un con bien sûr, parce que je n'y connaissais rien, et que je ne voulais pas faire de mauvais pas. Mais lui, il y allait franc-jeu.
Il avait d'abord attendu que je me détende et ferme les yeux. Puis il avait légèrement entrouvert la bouche pour prendre ma lèvre inférieure entre les siennes et la suçoter lentement d'une certaine manière. Comme je semblais plutôt consentant, il a glissé sa langue dessus, doucement, avant de la rentrer.
Ça n'a pas duré très (assez) longtemps, une, trois, cinq, dix secondes ?
Il l'a (trop) vite retirée pour retourner à ma lèvre qu'il a mordillé gentiment avant de simplement represser sa bouche contre la mienne dans un léger bruit, signifiant la fin du baiser.
Finalement, il s'est retiré de moi, imperturbable.
On ne s'était même pas touché, durant le baiser. Il avait juste posé son coude à coté de ma tête pour se soutenir sans m'écraser, mais c'était tout. Aussi vite que c'était venu, notre moment était fini.
Ça peut aussi paraître bizarre, mais je n'y ai pas plus pensé que ça durant les jours qui ont suivi. Ni même les mois.
A vrai dire, le premier moment où j'y ai repensé en ayant des sensations bizarres dans mon bas-ventre, c'était durant notre trou d'amitié.
Je n'y ai pas vraiment repensé en fait. Je l'ai rêvé.
Un rêve qui m'a réveillé en sueur et avec une sensation de froid extrême sur les lèvres.
Un rêve qui m'a travaillé toute la journée, et même détourné l'attention d'Alice.
Un rêve qui m'a fait comprendre beaucoup de choses.
Un rêve qui en a entraîné beaucoup d'autres.
Pour le meilleur et pour le pire.
Comment ai-je réussi à commencer à un peu trop aimer un garçon à cause d'un baiser datant de plusieurs mois, je ne sais pas.
Toujours est-il que je tuerais pour ravoir ce baiser de lui, et cette fois savoir qu'il y a bel et bien de l'amour derrière.
Et peut-être pourront nous alors essayer toutes les autres sortes de baisers, à tous les endroits de notre corps, que chaque parcelle de nos peaux soient couvertes des lèvres de l'autre.
Ce baiser, il avait été à la fois doux et sensuel, et c'est encore aujourd'hui le seul que je n'ai jamais reçu.
Il avait eu un gout de chocolat noir, le préféré de Luc, un peu amer, mais toujours bon. Sûrement parce qu'il en avait mangé avant. Du coup, j'imagine que lui a senti comme un gout de framboise.
Oui, c'est parfaitement ça.
Luc est aussi amer qu'un carré de chocolat noir.
Et moi aussi sucré qu'un bol de framboise des bois.

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Notre Bordel d'Amour
RomanceJe ne dis pas que notre histoire d'amour était de base vouée à l'échec. Je dis juste que, si j'avais mis en marche trois neurones, j'aurais un minimum repéré le plan foireux à notre sujet. Je veux dire, vous en connaissez beaucoup, vous, des ados e...