-Silence-

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Au moment même où l'eau dans le bain de Luc a viré au rouge, j'étais en train de manger de la paella avec ma famille.


Luc n'a rien laissé à mon attention, à priori. Il ne m'a pas envoyé de message juste avant. Il ne m'avait pas parlé de son état empirant les jours précédant.

C'est comme si je n'avais pas été dans sa vie.

Le lendemain, alors qu'il avait passé toute la nuit aux urgences, et qu'il n'était donc pas en cours, je pensais simplement qu'il était malade.

Ce n'est que le jour d'après que, ne voyant aucune réponse à mes sms, j'ai décidé d'en envoyer un à sa mère.

Et que je l'ai appris.


Je ne m'étais jamais demandé comment je réagirais dans cette situation. Crier, criser, pleurer ?

Non.

C'était juste le vide.

Le vide, partout en moi. Je ne ressentais rien. Pas de colère, pas de tristesse, pas de peur.

C'était comme si un fantôme avait juste pris le contrôle de mon corps. Je bougeais, je mangeais, je parlais, mais rien ne venait. Je pensais, je réfléchissais, je rêvais, mais je ne ressentais rien.

Peut-être était-ce du déni, peut-être était-ce un blocage. Je ne sais pas.

Dans ma tête, il y avait juste une mer en hiver. Froide, déserte, calme, presque morte.


Plusieurs jours plus tard, j'ai pu le voir. Dans son lit d'hôpital. On m'avait dit que, bientôt, il irait dans un lieu spécialement pour les dépressifs, dont j'ai oublié le nom. Un endroit où tout contact avec l'extérieur -parents exceptés- est interdit, et où j'imagine que les oiseaux chantent avec les fleurs qui ne se fanent jamais et tout le bordel qui va avec.

On m'a autorisé à le voir un moment seul.

Je suis entré dans sa chambre blanche, et il était tranquillement installé, relevé, la tête tournée vers la télé, dont la télécommande se trouvait dans une de ses mains, des bandelettes blanches au poignet, et plusieurs fils qui étaient reliés à son corps.

Il n'a même pas tourné la tête et a juste dit d'une voix monotone en zappant que le truc le plus intéressant était « Un diner presque parfait », soit la grosse misère.

Moi, je me suis approché sans rien dire, je lui ai arraché la télécommande des mains pour la balancer au bout du lit malgré ses protestations, et je me suis penché vers lui, mon nez à trois centimètres du sien, ma main gauche sur sa joue.

On s'est regardé un instant dans les yeux sans rien dire.

Et je lui ai donné la plus grosse tarte de ma vie.

Il a juré en m'insultant pendant que je me redressai et regardai autour de nous. Et, effectivement, vue le peu de distractions à sa disposition, il devait s'emmerder pas mal.

On a peu parlé.

C'était le début du silence, le début du trou, le début de la séparation.

Même aujourd'hui, je ne sais pas ce qu'il s'est passé dans la tête de Luc. Pourquoi il a fait ça. Pourquoi il ne m'en a pas parlé.

Et surtout,

Surtout,

Ma plus grosse peur.

Est-ce que j'avais eu une place importante dans sa tentative de suicide.

Si je n'avais pas d'anxiété sociale, je me demanderais même si j'en étais la cause.


Il a passé beaucoup de temps à réapprendre à aimer la vie. Plusieurs mois.

Parfois, il était en permission de sortie, et il m'envoyait des messages, souvent bateau, surtout histoire de dire qu'il m'avait informé de la situation, cette fois. Il parlait de nouveaux amis de là-bas, de ses attentes pour le lycée, de ses journées.

Moi, je n'avais rien à répondre à ça.

Luc était devenu un étranger. Ce n'était plus mon Luc, celui qui me faisait doigts d'honneur dans mon dos, qui s'amusait à voler un peu tout et surtout n'importe quoi, qui trouvait des sous-entendus à tout, qui s'énervait dès que je faisais remarquer sa taille, qui pouvait m'appeler « Bébé » et « Salope » dans les mêmes dix minutes pour rire, ou qui aimait surréagir à tout pour blaguer.

Si le véritable Luc était ce nouveau Luc, terre-à-terre, froid, renfermé et presque hautain, alors je ne voulais plus rien avoir à faire avec lui.

C'était sûrement l'un des moments de sa vie où il avait le plus besoin de moi, et il faut croire que j'ai merdé.

Mais je ne suis pas le seul fautif.

De sources sûres, il parlait bien plus à d'autres amis, était plus ouvert, répondait plus vite, alors que je devais attendre au minimum deux jours avant une réponse de sa part (chose qui n'a d'ailleurs pas beaucoup changé).

Alors, oui, un jour on n'avait plus rien.

On ne faisait aucun effort tous les deux, comme des gros cons. Les souvenirs ne pouvaient pas faire tout le travail.

Et on a arrêté de se parler.

Comme je l'ai dit au début, lui allait de toute façon dans un lycée technique, et moi dans un lycée général. Nous n'avions plus rien à faire ensemble. On s'est oublié.

Je ne sais pas comment on a pu passer d'aussi proches à aussi froids. C'est incompréhensible, mais il faut croire que c'est la vie, pas vrai ?


Je refusais cette relation, m'étant déjà perdu avec Alice. Tout était tellement plus simple avec elle. Alice n'était pas comme l'ancien, ni le nouveau Luc. Alice était un sparadrap sur mon cœur, et bien plus que ça, Alice était ma sauveuse après ma perte dans mes sentiments si complexes.

Et puis bien sûr, tout s'est encore inversé lorsque j'ai réalisé que la réelle raison pour laquelle j'évitais ce nouveau Luc... Était mon amour pour l'ancien.

Peut-être refusais-je cette nouvelle personne, peut-être attendais-je désespérément un signe d'amour de sa part qui me permettrait de me raccrocher... Je ne sais pas.

Mais lorsque j'ai compris ça,

          beaucoup

                    trop

                              de choses

                                        ont changé...


Notre Bordel d'AmourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant