Chapitre 4

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GESAFFELSTEIN - ALEPH



Elle ouvrit les yeux et ce qu'elle vit lui coupa le souffle. Face à elle, un monde plat, plongé dans la désolation. L'horizon semblait inatteignable. Des cendres tombaient d'un ciel plus sombre que la nuit, rappelant de doux flocons terminant leur lente chute un soir d'hiver. Le froid lui transperçait son échine, paralysant le moindre de ses muscles. Elle aperçut des corps, brûlés ou meurtris, au visage méconnaissable, gisant sur le sol. Le vent lui fouettait le visage, l'obligeant à se protéger la tête d'une main, lui infligeant une odeur putride. L'horreur du spectacle lui fit perdre l'usage de ses jambes, la précipitant brutalement au sol râpeux.

Se rattrapant maladroitement de ses mains, elle entra en contact avec une substance noirâtre et froide. En regardant de plus près et en y extirpant une de ses mains, elle réalisa avec désespoir que le fluide recouvrant sa paume n'était autre que du sang. Ahurie, elle chercha à comprendre ce qui l'entourait, jetant des regards furtifs autour d'elle. Cet endroit transpirait la mort et la destruction. Le plus étrange était l'impression d'avoir déjà assisté à cette scène. 

Elle entraperçut alors des silhouettes au loin, se tenant debout. Elle rampa difficilement pour leur supplier de lui venir en aide. Plus elle approchait, plus les corps semblaient s'éloigner d'elle. Pourtant, les traits de leurs visages se dessinèrent plus nettement . Une vague phénoménale d'émotions la submergea. 

La stupéfaction, la colère et la tristesse la clouèrent au sol, comme si elle connaissait ces personnes depuis toujours. Son regard se fixa sur une silhouette qui lui était plus familière que toute autre. Ses yeux se rétrécirent . Lorsqu'elle reconnut qui se tenait en face d'elle, un cri aigu et lointain sortit de sa bouche. Elle se voyait, elle-même, à l'intérieur d'un cercle, entourée d'une dizaine de personnes. Des femmes et des hommes se tenaient par la main et murmuraient des paroles incompréhensibles, transis d'une énergie surnaturelle. Leurs voix s'élevèrent et leurs débits de parole s'accélèrent, rendant l'instant encore plus effroyablement magique.

Leurs vêtements ressemblaient  à ceux utilisés lors de cérémonies ancestrales, simples mais brodés de runes aux significations d'une autre époque. L'atmosphère transpirait la damnation et les rêves brisés. Ces anges déchus, qui chantaient à l'unisson autour de Blanche, la paralysèrent. Des signes tracés au sang recouvraient leurs visages, rappelant les sacrifices nordiques. Elle réalisa subitement que ses mains étaient tendues devant elle, les paumes offertes. Elle se trouvait désormais au centre du cercle, le corps glacé. De sa gorge émergeait un flot de paroles qui semblait puissant et sorti d'un autre monde. Des gouttelettes de sang coulaient le long de ses paumes, émanant d'entailles effectuées au creux de ses mains.

Elle perçut le visage de ceux qui l'entouraient, chavirant son esprit. Elle ressentait de l'amour, mais également une confiance absolue. La sérénité imprégnait ses membres, comme si elle acceptait son propre sort. Son regard s'arrêta sur chacun de ces visages, reconnaissant et aimant. Chaque être semblait refléter une partie de son âme. Elle ferma alors les yeux et une énergie surhumaine pénétra son corps. Le lien qui les unissait était si puissant qu'elle pouvait presque le visualiser.

Soudain, des cris la sortirent de sa transe. Apeurée, elle tenta de trouver leur origine, mais ils ne semblaient provenir de nulle part. Ils formaient presque un rythme, répétant les mêmes mots. Lorsqu'elle comprit leur sens, ils la percutèrent de plein fouet, la projetant au sol : « RÉVEILLE-TOI ! RÉVEILLE-TOI ! ». Une voix soudain très proche lui hurla : « Ils arrivent, le temps presse ! RÉVEILLE-TOI ! ». Elle se sentit comme poussée dans le vide, devenue muette et aveugle. Elle tombait.

PRISME Tome 1. L'Éveil [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant