Séparation

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Dimanche 26 Juin

21h52

Quelque part dans le Missouri


Sa tête lui faisait un mal de chien et ses yeux avaient du mal à faire le point. Tout autour de lui n'était que confusion, fumée et flammes. Will Shane parvint à s'asseoir, sentant sous ses mains l'herbe sèche d'un champ qui devait border les rails. Il avait été expulsé du wagon sous la force du déraillement mais à l'exception de sa vue chancelante, il ne semblait pas avoir de blessures importantes.

Il resta assis quelques instants à se concentrer sur un point devant lui jusqu'à ce que ce dernier cesse de bouger et se stabilise dans l'espace. La noirceur de la nuit presque totale était brisée par les flammes qui dansaient du wagon éventré par la bombe à quelques mètres de là.

Will fut surpris du calme relatif de la scène. La femme couchée dans l'herbe près de lui semblait sangloter mais il n'entendait rien de ses pleurs, le feu faisait exploser les vitres du wagon à l'agonie dans un silence absolu, seul son propre cœur battait fort dans sa poitrine. Puis tout redevint normal. Les sons lui revinrent et un assourdissant brouhaha de pleurs et de cris l'entoura alors.

Sa vision redevenue claire, il décida de se lever pour partir à la recherche de Lucy qui devait se trouver dans les wagons de tête, à quelques dizaines de mètres devant lui. La locomotive ne paraissait avoir déraillé et seul un wagon y était encore accroché. Les autres gisaient dans l'herbe rase tels des corps métalliques. Ses pas devinrent de plus en plus rapides au fur et à mesure qu'il approchait, entre les blessés et ceux qui paraissaient en bien plus mauvaise condition.

- Lucy ? se mit-il à crier en courant parmi les rescapés hagards qui sortaient en rangs dispersés des wagons couchés dans le champ.

- Aidez-moi ! entendit-il alors à quelques mètres derrière lui.

Un homme se tenait au-dessus d'un corps étendu et tentait vraisemblablement de le réanimer avec un massage cardiaque, sans grande réussite apparemment. Il demanda de l'aide une nouvelle fois avant que Will ne décide d'aller voir.

- Il ne respire plus ! lui fit l'homme quand il approcha.

Will stoppa un instant en reconnaissant la personne allongée dans l'herbe. Victor Carlton ne semblait pas avoir eu la même chance que lui lors du déraillement. Les yeux grands ouverts, son cou présentait un angle bien trop droit pour être bénin. Si on lui avait demandé son avis, Will aurait parié sur une nuque brisée.

- Vous ne pouvez rien faire pour lui, monsieur. Il est mort.

L'homme ne s'arrêta pas pour autant de prodiguer le massage cardiaque au corps sans vie de Carlton, comme s'il était persuadé de pouvoir le sauver.

Des personnes étaient donc mortes dans ce déraillement et le fait qu'il n'avait toujours pas eu des nouvelles de Lucy commençait à l'inquiéter. Elle pouvait être elle aussi étendue par terre, morte, ou bien toujours à l'intérieur d'un de ces wagons en flammes.

Alors qu'il continuait de chercher sa femme, il pouvait constater que malgré leurs mises en garde, il y avait encore de trop nombreux cadavres. Il en avait compté une dizaine, mais ce n'était que de ce côté-ci du rail. Qui sait combien de personnes étaient mortes alors qu'ils auraient pu empêcher cet attentat s'ils avaient prévenu la N.H.S. ? Comment en était-il arrivé là ? Ce midi encore, il se réveillait avec une gueule de bois carabinée, qui avait disparu quand les deux agents de la N.H.S. étaient venus le chercher chez lui. La chasse à l'homme dont ils étaient les victimes méritaient-elle d'être payée avec tant de vies ?

Il eut soudain l'envie de s'asseoir à son tour dans l'herbe et de se laisser aller, attendre que l'on vienne le secourir, attendre que tout s'arrête finalement. Certes, ils risquaient de passer de nombreuses années en prison compte tenu de leur innocence qui serait difficile à prouver, surtout celle de Lucy, mais poursuivre de puissants fantômes qui avaient un coup d'avance sur eux à chaque fois ne servait à rien.

Une petite voix le sortit de son songe d'une nuit d'été.

- Will, entendit-il faiblement sur sa droite.

Lucy était, comme il l'avait rêvé, étendue sur le sol, les bras le long du corps et une jambe en sang. Il se précipita près d'elle et tenta de l'aider à se relever, sans succès.

- Ma jambe me fait trop mal, je ne peux pas bouger, dit-elle en cachant sa douleur du mieux qu'elle le pouvait.

- Il va pourtant bien falloir que l'on parte, les équipes de secours ne vont pas tarder à arriver sans parler des forces spéciales de la N.H.S..

Lucy tenta une nouvelle fois de se lever en prenant appui sur sa seule jambe valide, mais elle retomba lourdement sur le sol en un cri de rage.

- Je n'y arriverai pas, Will, fit-elle en sanglots. Laisse-moi ici et va-t-en.

Cette dernière phrase fit l'effet d'une bombe dans l'esprit de Will. Il refusa tout net, en secouant la tête avec vigueur.

- Et pourtant, il le faut, Will. Tu es le seul à pouvoir retrouver Tom Raver et les infos que nous cherchons. Si Carlton dit vrai, Raver est à la tête des événements de la journée. Si tu parviens à le faire parler et à l'arrêter, nous serons innocentés tous les deux. Prends Carlton avec toi et pars, vite !

- Carlton est mort, et il est hors de question que je parte sans toi.

- Ne commence pas avec cela, Will. Je ne veux pas que tu partes sans moi, je veux que tu partes pour moi. Tu es ma seule chance, comme toujours. Je sais qu'il est un peu tard pour cela, mais je t'ai toujours aimé et il ne s'est pas passé une journée sans que je ne regrette les choix que j'ai faits il y a deux ans. Tu... nous ne méritions pas cela. Mais nous avons une chance de repartir à zéro dès que tout ceci sera fini.

Lucy pleurait à présent, tandis qu'au loin résonnaient les sirènes des ambulances qui approchaient. Elle retira sa main de l'étreinte de Will et le supplia de partir avant qu'on ne les arrête tous les deux. Il essuya d'un revers de la main les larmes qui coulaient sur sa joue et se mélangeaient à la suie de l'incendie tout proche. Il se releva et la regarda une dernière fois avec un petit sourire avant de s'enfoncer dans la nuit.

De loin, Will aperçut les ambulances arriver sur le site de l'attentat et d'autres hommes en uniformes noirs armés de mitraillette qui fouillaient les alentours du train. La scène semblait irréelle avec le serpent de métal de plusieurs dizaines de mètres en feu dans cette nuit d'été sans étoiles. Il était seul maintenant, seul mais avec une raison de lutter. Le rêve que tout redevienne comme avant.

Protocole DeltaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant