II. Chapitre 2 première partie

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      « Lorsqu'ils sortirent de la forêt au-dessus de la cité d'Argalh, l'homme fit arrêter les chevaux pour permettre à Eléa de découvrir la ville et le Château qui la surplombait. La jeune femme en eut le souffle coupé.
      Au Nord et à l'Est, la chaîne montagneuse de Pyra semblait se confondre avec l'horizon bleuté, et on pouvait apercevoir quelques cimes enneigées. Le fleuve Argh longeait la ville fortifiée sur tout le côté Ouest et lui offrait ainsi un rempart infranchissable. Un port immense donnait sur la cité. Le fleuve ne cesserait de grandir jusqu'à ce que lui-même se jette dans l'Océan Austral à Bord-de-l'Eau.
–C'est incroyable... murmura-t-elle.
–Au Sud, les deux tours jumelles que tu aperçois protègent la Porte d'Adhaïa. Elles possèdent trois étages et une double herse renforcée par un assommoir, expliqua Maître Ghil. Un chemin de ronde permet de faire le tour complet de la ville en traversant les vingt tours qui ornent les murailles. Et as-tu remarqué que la cité comporte deux enceintes défensives ? Entre les deux, l'espace plat permet d'attaquer les assaillants sur deux lignes de tir. Et les chevaliers peuvent également y combattre plus facilement. À l'Est la Porte d'Ostrhaïa est aménagée dans une tour carrée qui porte le même nom. Au Nord, à l'arrière du Château Royal, la Porte d'Alandhaïa se compose d'une barbacane où de hautes arcades cachent de fausses ouvertures pour tromper l'ennemi. Des couloirs en lacets avec différents paliers créent des souricières pour bloquer les assaillants. Une rampe d'accès finale entourée de murs crénelés permet d'arriver au Château. Elle monte en pente raide en faisant, elle aussi, des lacets et traverse encore deux portes. La première défend l'entrée entre l'enceinte extérieure et celle intérieure.
–C'est impressionnant !
–La cité d'Argalh est connue depuis la nuit des temps, aucun envahisseur n'a jamais réussi à la conquérir. Le Palais Royal lui, est adossé à la muraille intérieure nord. C'est une véritable forteresse ! Il comporte dix tours de trois étages, dont une de guet de forme carrée. La porte principale est encadrée par deux autres tours et est constituée d'un pont en partie basculant. Dans la cour intérieure du Château, à droite tu peux distinguer les bâtiments des Écuries Royales, celui réservé à la cavalerie des cinq factions de la Garde Royale, le vieux Manège Couvert, le terrain d'entraînement et les enclos de détente. À gauche du Château ce sont des jardins en étages qui ont été ajoutés pour « civiliser » la grande citadelle.

      Partout sur les toits du Château des étendards flottaient. Les plus nombreux s'ornaient d'un magnifique Soleil Blanc, cependant çà et là, Eléa reconnut des Ours et des Phoenix Blancs en hommage aux deux jeunes Ducs qui venaient d'épouser les Princesses Royales. Maître Ghil engagea son étalon dans la descente en direction de la Porte Sud. Les bruits de la ville étaient assourdissants et Daram broncha de frayeur. Une fois de plus l'homme admira les talents d'écuyère de la jeune femme qui réussit à le contenir. Craignant que les pur-sang ne trébuchent sur les pavés glissants, ils mirent pied à terre et se fondirent dans la foule. Eléa ne perdait pas de vue son compagnon de voyage de peur de se faire distancer et de s'égarer dans l'immense cité.
      Elle remarqua qu'il prenait garde d'avancer en marchant sur les bords des rues. Elle en comprit la raison quand elle réalisa qu'elles étaient creusées en leur centre et que nombre de déchets s'y entassaient. Daram renâcla à plusieurs reprises et elle-même dut parfois se boucher le nez... Ils faillirent même être « arrosés » par un contenu douteux jeté par une fenêtre ! Ils passèrent devant plusieurs échoppes d'artisans : des potiers, des menuisiers, des verriers, des chaudronniers, des tailleurs. Mais aussi des bouchers, des poissonniers, des boulangers. Des vendeurs ambulants proposaient des encas plus ou moins appétissants. Sans compter le nombre de tavernes d'où des bruits de conversations animées fusaient. Une foule bruyante et bigarrée les poussait, les happait, les bousculait. Eléa avait la tête qui tournait devant tant d'agitation, de bruits et d'odeurs.

      Enfin la foule se fit moins dense, les maisons plus espacées. Daram cessa de piaffer et s'ébroua de soulagement. Ils arrivèrent devant une porte gigantesque en bois massif ornée d'un soleil sculpté. La peinture blanche s'était écaillée, mais le symbole seul suffisait à comprendre qu'ils allaient pénétrer dans l'enceinte du Château !

      Ils entrèrent directement dans la cour des Écuries Royales. En arrière-plan elle aperçut le vieux bâtiment rond du Manège Couvert. Les gardes les avaient laissés passer avec déférence après avoir lu la missive que leur avait remis Maître Ghil. Deux palefreniers attendaient pour récupérer les étalons.
–Bien, je te laisse quelques instants. Vérifie que nos chevaux soient bien installés. Je reviens le plus vite possible.
      Et il s'éloigna à grands pas vers le Château.
      Elle tendit les rênes de l'étalon rouan, mais préféra s'occuper elle-même de Daram de peur qu'il ne morde quelqu'un.
      Ce n'est pas le moment de faire mauvaise impression... se dit-elle.
      En se dirigeant vers le grand bâtiment des Écuries Royales, elle fut étonnée d'apercevoir plusieurs femmes en uniforme dans l'immense cour commune. Puis elle se rappela de ce que lui avait dit Maître Ghil concernant la place des femmes au Château d'Argalh. L'ancien Maître Bibliothécaire lui avait expliqué que la Garde Royale était composée de cinq factions. Quatre étaient rattachées aux quatre Grandes Portes de la cité : la Verte à celle de l'Est, la Jaune à celle du Sud, la Rouge au port à l'Ouest, et enfin la faction Bleue à la Porte Nord. Depuis la signature des traités de paix, le Roi en avait modifié le fonctionnement de recrutement. Dans chaque faction, les soldats étaient désormais issus de la Province rattachée à la Grande Porte où ils étaient affectés. En jurant allégeance à la Maison Royale lors de leur entrée dans la Garde du même nom, les militaires devenaient, de fait, les ardents défenseurs de la cité, face à d'hypothétiques attaques venant de leur Duché d'origine... Le message était clair : la loyauté ou la mort.
      La faction Bleue était donc mixte, reproduisant les habitudes sociales de parité homme-femme du Duché d'Alandhaïa, ainsi que la faction Blanche, la Garde Rapprochée du Roi. En effet, cette dernière était composée des meilleurs éléments des quatre autres. Qu'ils soient hommes ou femmes, seule leur valeur comptait pour être admis dans ce corps d'élite militaire. Tel en avait décidé le Roi.

      Les Écuries Royales surprirent la jeune femme par leur conception même. À l'intérieur du bâtiment, une immense stabulation libre occupait toute la partie gauche. Face à elle, une rangée de box accueillait une dizaine d'étalons. Une autre allée sur la droite desservait une double rangée de box qui se faisaient face, réservés aux invités. C'est là que les palefreniers la conduisirent. Elle dessella et bouchonna Daram, et vérifia qu'il avait de l'eau fraîche et du foin. Elle fit de même avec le rouan de Maître Ghil.
      Puis elle contourna la rangée de box et se rapprocha de la grande stabulation. Elle comprit que cette répartition de l'espace reproduisait en fait les codes naturels de la vie en troupeaux des chevaux, à savoir, les étalons surveillant « leurs » juments, chacun étant persuadé d'être le dominant. Et ces dernières pouvaient assouvir leur instinct grégaire et évoluer en troupeau avec leurs poulains.
      C'était l'heure du fourrage. Elle remarqua que, ici aussi l'équipe des cinq palefreniers était mixte. Certes, il n'y avait qu'une seule jeune fille aux cheveux d'un surprenant blond platine presque blanc, mais elle semblait parfaitement intégrée au groupe. Ils nourrirent d'abord les étalons et les chevaux des invités. Puis ils attachèrent les juments à leur place respective devant une grande mangeoire qui longeait la stabulation face aux box. Chacune reçut sa ration. Bientôt, seul le bruit des mâchoires résonna dans le grand bâtiment.

      Un vieux palefrenier s'approcha pour admirer les poulinières et leurs rejetons. Un grand chien noir de combat aux oreilles taillées en pointe l'accompagnait. L'animal semblait régler son pas sur celui du vieil homme. Celui-ci était de taille moyenne, à peine plus grand qu'elle. Il avait les cheveux blancs attachés et des yeux d'un incroyable bleu lumineux pour son âge.
      Sûrement un ancien chef palefrenier qui vient respirer l'odeur des chevaux... sourit-elle tendrement.
      Mais soudain un bruit de panique retentit. »

Extrait de
Le Maistre Ecuyer Royal
Léa Northmann
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