Episode II. Chapitre 1 première partie

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       « Ils firent une halte rapide à la mi-journée, Maître Ghil ayant emporté un repas préparé par Dame Magala. Tout au long de la matinée, il avait imposé un rythme certes rapide mais pas ingérable pour les deux pur-sang. Eléa s'était aperçue rapidement que son compagnon de voyage était un cavalier émérite, adaptant leurs allures aux dénivelés du terrain, et intercalant, quand nécessaire, des périodes de récupération pour ménager leurs étalons. La silhouette du Maître Bibliothécaire de Noshaïa s'était peu à peu évanouie pour laisser place à un homme aguerri aux contraintes d'une longue chevauchée. Ils n'avaient pas beaucoup parlé. Eléa n'osant le déranger alors qu'il semblait organiser au mieux leur voyage.
      Durant la pause, il lui exposa clairement le programme de leur prochaine semaine. Premier objectif évident, atteindre le Château d'Argalh dans les temps. Deuxième objectif, apprendre à Eléa les us et coutumes de la Cour Royale.
–Nous n'aurons pas trop le temps de parler quand nous serons à cheval je te l'accorde. Mais j'ai préparé notre parcours pour que nous puissions dormir à chaque étape chez des amis sûrs, et surtout amateurs de colombophilie comme moi. Ce qui nous permettra de nous tenir informés du moindre événement pouvant entraver notre projet, dit-il avec un sourire entendu. D'ailleurs dès ce soir j'aurai moi-même un message à faire parvenir au Roi : le choix de ton blason, afin que ton futur écusson puisse être frappé à temps pour la cérémonie.
      Elle ouvrit de grands yeux ronds.
–Mon blason ?!
–Eh bien oui ! Tu sais bien que lors de l'adoubement, chaque Chevalier et Maistre Écuyer se voit remettre un écusson et un étendard marqués de son blason.
–Je, je n'y avais jamais réfléchi avant... avoua la jeune femme.
–Tu y réfléchiras cet après-midi pendant le voyage, et nous enverrons ta décision demain au Roi. Il devrait recevoir notre « porte-parole » d'ici un à deux jours, bien avant notre arrivée. Ce qui sera largement suffisant. Eléa tu m'écoutes ?!
      En fait elle essayait de définir la couleur des yeux de l'ancien Maître Bibliothécaire. Elle les avait longtemps crus gris. Mais déjà dans le pigeonnier de Noshaïa, elle leur avait remarqué des nuances de vert, comme aujourd'hui. Ou même de noir quand il était contrarié comme maintenant !
–Oui, oui Maître je vous écoute, s'empressa-t-elle de répondre.
–Hum... grommela-t-il. Donc si tu as des questions garde-les pour les étapes du soir. D'ailleurs nous en profiterons également pour que je t'apprenne les particularités de tous ceux que tu seras amenée à rencontrer à notre arrivée. Ce soir, je te parlerai donc des blasons des quatre Duchés et des liens qui unissent les Ducs à notre Roi. Bien, la pause est finie ! En selle jeune écuyère ! dit-il en rangeant leurs affaires rapidement.
       Tout l'après-midi, elle observa l'homme qui semblait se repérer facilement dans la région.
      Ce n'est pas la première fois qu'il traverse ainsi le Duché... comprit-elle.
      Et elle se rappela les absences récurrentes du Maître Bibliothécaire, parti « échanger » avec tel ou tel confrère. Elle réalisa qu'elle ne connaissait qu'une infime facette de l'homme qui la guidait...

      Ils arrivèrent à la nuit tombée dans une auberge de bonne allure. Une enseigne en bois accrochée au-dessus de la porte était décorée d'un bœuf peint en rouge. C'était une ancienne ferme, basse et longue. Ils guidèrent leurs chevaux vers l'écurie attenante. Maître Ghil laissa son étalon rouan aux bons soins d'un palefrenier, et alla retrouver l'aubergiste, pour vérifier que les consignes qu'il avait envoyées par pigeon voyageur avaient bien été respectées ; à savoir, une table dressée un peu à l'écart des autres clients et deux chambres individuelles pour la nuit. Eléa elle, préféra s'occuper elle-même de Daram afin de parer à toute réaction acérée du poulain, et éviter ainsi toute marque de dents ou de sabots regrettable. Elle avait compris que la discrétion était l'un des maîtres-mots de leur voyage. En digne futur Maistre Écuyer, elle inspecta l'état des écuries. Les stalles étaient bien paillées, et les abreuvoirs remplis d'eau claire. Cela la rassura sur la qualité de l'auberge qui était un peu éloignée des grands axes routiers.
      Elle devait s'apercevoir que durant tout leur voyage, Maître Ghil ne les fit jamais entrer dans une ville ni même un village. Il avait choisi des étapes à l'écart de toute agglomération, que ce soient des fermes, des auberges, des domaines viticoles, ou même l'atelier d'un forgeron, étape cruciale car au centre de leur périple et qui leur permit de vérifier les fers des pur-sang, et où une fois encore elle put admirer le sens de l'organisation de son guide.
      Mais pour l'heure, ils étaient assis dans la grande salle de l'établissement. Deux longues tablées accueillaient chacune une dizaine de clients, trois autres plus petites dont la leur, semblaient réservées pour des échanges plus privés ou commerciaux. Ils étaient installés dans le fond, à droite d'une grande cheminée qui s'ouvrait également à l'arrière sur les cuisines. Un énorme faitout en fonte y était accroché, et une pièce de viande était maintenue à quelques centimètres des flammes pour rester à la bonne température sans toutefois se dessécher.
      Une serveuse avenante déposa des morceaux de pains et un bol contenant du jus de viande délicatement épicé, où ils purent tremper leur panade. Quelques instants plus tard, elle vint débarrasser leur bol, et elle posa sur la table un morceau de viande rôtie accompagné d'une purée de fèves et de pois cassés. La femme s'attarda discrètement, ce qui étonna Eléa. Elle avait une trentaine d'années, les yeux noisette et des cheveux épais et frisés qu'un bonnet peinait à discipliner. Elle portait un chemisier clair bouffant qui dégageait généreusement ses épaules et la naissance de ses seins. Un corset à bretelles rouge sombre mettait sa fine taille en valeur, tandis qu'une large et longue jupe dans la même teinte et rayée de noir lui descendait jusqu'aux pieds. Un tablier noué sur ses hanches complétait sa tenue. Elle parut déçue de ne pas réussir à attirer l'attention de Maître Ghil et elle repartit vers les cuisines d'un air boudeur.

–Alors Eléa, tu as réfléchi pour le choix de ton blason ?
      En fait, elle avait eu beau s'être creusé la tête tout l'après-midi, elle n'avait rien trouvé.
–Je n'en ai aucune idée... avoua-t-elle d'une petite voix.
       La serveuse revint une troisième fois et déposa un pichet de cidre frais sur la table, en se penchant devant l'homme. Eléa aperçut l'œillade qu'elle envoya à Maître Ghil qui ne sembla pas s'en émouvoir outre mesure, et qui y répondit par un galant hochement de tête.
      Encore une autre facette ! s'exclama-t-elle intérieurement.
      Elle dévisagea son compagnon en essayant de le voir avec un regard neuf. Ses cheveux et sa barbe coupés très court s'harmonisaient avec sa mâchoire carrée. Sans être massif, son visage exprimait une tranquille virilité qui devait éveiller l'intérêt de la gent féminine. Ses yeux clairs et changeants savaient capter les regards. Il était plutôt bien bâti et de taille respectable.
- Eléa tu m'écoutes ?! Qu'est-ce que tu as à me détailler comme ça à la fin ?!
–Oui, oui je vous écoute Maître, excusez-moi ! dit-elle en essayant de retrouver le fil de leur conversation... Ah oui son blason !
      Pendant qu'elle réfléchissait, elle n'avait cessé de tourner machinalement sa bague autour de son doigt. L'homme baissa les yeux et elle vit un éclair vert traverser les prunelles grises.
–Que dirais-tu d'une Lune ?
–Une Lune ? Elle porta alors son regard sur sa main.
–Ce bijou a une grande valeur pour toi non ? demanda-t-il doucement.
      Elle acquiesça, et pour la première fois elle lui parla de ses parents et de la tradition liée à la bague en argent et en Pierre de Lune.
      Maître Ghil se mit à réfléchir à haute voix, et la lueur verte s'intensifia dans son regard.
–Oui, une Lune d'Argent... Mais il ne faudrait pas que la Lune éclipse le Soleil... Et pourquoi pas un Croissant de Lune Argenté... Oui c'est cela ! Ce sera parfait ! Cela te convient-il ? »

Extrait de
Le Maistre Ecuyer Royal
Léa Northmann
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