II. Chapitre 2 fin

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      « Les deux visiteurs faillirent s'étouffer de concert.
        Elle a déjà rencontré le Vieux Roi ! s'alarma Maître Ghil.
      Je l'ai appelé grand-père ! s'horrifia Eléa.
–Bien, puisque ta candidature remporte tous les suffrages, eh bien je la valide. Félicitations jeune écuyère !
         Et il tendit la main vers elle. Tremblante, elle la saisit et s'agenouilla avant de baiser la chevalière ornée d'un Soleil Blanc.
–Vous pouvez vous retirer. Rendez-vous dans une semaine pour la cérémonie.
        Puis il se remit au travail derrière son bureau. Maître Ghil et sa jeune protégée regagnèrent la porte en silence. Une fois passés les gardes, ils avancèrent sans parler dans le couloir. L'homme ouvrait la marche, perdu dans ses pensées. Eléa le suivait essayant de calmer la boule d'angoisse qu'elle sentait monter en elle.
–Finalement ça ne s'est pas si mal passé, finit par dire l'ancien Maître Bibliothécaire.
–Mais j'ai appelé le Vieux Roi grand-père ! se lamenta-t-elle la voix brisée.
–Le plus important c'est que tu lui aies fait bonne impression. J'avais prévu de te le présenter demain matin, mais il semblerait que le vieux renard m'ait pris de court, ajouta-t-il semi-admiratif. Nous avons eu assez d'émotions fortes pour ce soir. Demain je t'apprendrai à danser. Bonne nuit.
        Et il la planta là, au milieu du couloir devant sa chambre.
–Danser ! gémit-elle, et la boule d'angoisse grandit encore dans son ventre, tandis qu'elle refermait la porte derrière elle.

       Elle passa les quatre matinées suivantes à apprendre les secrets d'une révérence réussie, et à martyriser les pieds de Maître Ghil jusqu'à ce qu'elle maîtrise les pas élémentaires de quatre danses différentes. L'ancien bibliothécaire fit preuve d'une patience admirable, ainsi que d'un grand sang-froid quand ses mains se posèrent sur la taille parfaite de sa cavalière...
      Le premier cours fut cependant le plus éprouvant pour lui, lorsqu'il demanda à la jeune femme de lever les yeux et d'arrêter de regarder ses pieds.
–Tu, tu ne peux pas regarder ton cavalier comme ça Eléa ! bégaya-t-il en lui lâchant brusquement la taille.
–Comment ça, comme ça ?! s'énerva la jeune femme. Vous venez de me dire d'arrêter de regarder en bas !
–Oui, oui, mais tu ne peux pas dévisager ton cavalier avec tes grands yeux de biche effarouchée ! s'écria-t-il.
–Mes grands yeux de biche effarouchée ?! Eléa ne comprenait pas.
–Bien, on reprend ! Tu n'as qu'à regarder mon menton, finit-il par soupirer.
–Votre menton ?! s'étonna-t-elle.
–Oui, mon menton ! Allez assez perdu de temps, on reprend ! Un, deux, trois, quatre.

       Il lui ordonna également de monter Daram tous les après-midi. Tant pour le bien-être du jeune étalon, que pour aider sa cavalière à calmer ses nerfs.
       Le deuxième jour, une couturière vint prendre ses mesures pour confectionner sa tunique de Maistre Écuyer et sa robe de bal. Elle dut rester debout sur un cube de bois, obéissant sagement aux demandes de la femme.
–Levez un bras. L'autre. Tournez-vous. Penchez-vous...
      Elle n'avait plus croisé le Vieux Souverain, ni d'ailleurs aucun autre membre de la Famille Royale. Si l'entretien avec le Roi Galh n'avait pas eu lieu, elle aurait pu croire que Maître Ghil lui jouait une mauvaise farce. Surtout qu'ils mangeaient chaque jour tous les deux avec le personnel des écuries dans la salle commune, hors de la vue des autres habitants du Château. L'homme lui expliqua que le Roi voulait garder leur présence la plus discrète possible jusqu'à la soirée donnée à l'occasion du départ des deux Princesses vers leurs nouveaux Châteaux. Pour l'ensemble du personnel, ils étaient donc de simples voyageurs de passage, comme ils en arrivaient régulièrement, invités pour traiter avec le Roi. D'ailleurs, nul n'était officiellement au courant de la Cérémonie du Double Adoubement du Prince Héritier et d'un Maistre Écuyer Royal.
      Les Grands Seigneurs du Royaume avaient reçu, quant à eux, une invitation tardive pour une mystérieuse cérémonie relative à une antique tradition. Ceux rattachés aux Maisons d'Alandhaïa et d'Ostrhaïa étaient encore sur place, car faisant partie des Cours des jeunes Ducs, ils ne rentreraient qu'après le repas d'adieux prévu. Le Duc de Noshaïa lui, avait pesté contre le Roi qui l'obligeait à revenir au Château d'Argalh quelques jours à peine après le mariage des Princesses ! Il décida d'ailleurs de venir seul avec une petite escorte. De toute façon, Tavhan et Ardhan avaient été envoyés en mission à travers le Royaume, et ses Chevaliers étaient déjà en route vers leurs domaines respectifs.
      Quant à la délégation d'Adhaïa, elle n'avait même pas eu le temps d'atteindre les contreforts de Pyra ! Avec leur sage fatalisme, les hommes du désert y virent l'occasion de longues chevauchées sur leurs pur-sang et reprirent la route en sens inverse en faisant la course avec le vent.

      La veille de la cérémonie, devant l'inquiétude et les doutes d'Eléa, l'ancien Maître Bibliothécaire lui dit.
–Fais confiance au Roi. C'est un fin diplomate qui maîtrise l'art de la mise en scène, crois-moi.
–Et le Prince Calh ? Vous l'avez vu ? Vous m'avez décrit la cérémonie, vous m'avez appris les paroles que je devrai prononcer lors des différentes étapes, vous m'avez expliqué les rites qui seront pratiqués, mais vous ne m'avez rien dit sur le Prince Héritier, s'étonna la jeune femme.
      L'homme la dévisagea en silence.
- En fait, je ne te l'ai pas décrit parce que je ne l'ai, moi-même, pas encore revu. La dernière fois que je l'ai croisé, il était âgé de douze ans. C'était un enfant réservé, mince, presque frêle. Au grand désespoir de son grand-père, les chevaux de combat ne le passionnaient pas. Pourtant c'était un très bon cavalier. Mais il préférait jouer du clavecin, où il excellait d'ailleurs, et étudier l'architecture. On m'a dit que c'est lui qui a redessiné l'ensemble des jardins du Palais Royal, et qui en a supervisé tous les travaux à l'âge de quinze ans ! Le Vieux Roi et son fils ont été surpris dans un premier temps quand le jeune Prince a annoncé l'année suivante qu'il désirait parcourir le monde pour découvrir d'autres techniques architecturales. Puis, ils se sont rassurés en se disant que ce voyage l'aiderait à devenir plus « viril ». Son périple aura duré quatre ans. Certains disent que le Roi Galh a décidé d'organiser le double mariage de ses filles pour honorer ses engagements pris lors de la signature des traités de paix évidemment, mais aussi pour forcer le Prince à revenir au Château... Je sais également que l'année de ses dix-sept ans, il est resté quelque temps comme novice au sein d'une communauté religieuse dans les confins du Royaume. Son père et son grand-père ont été plus que soulagés d'apprendre qu'il avait repris la route au bout de six mois ! Il est donc rentré au Palais à temps pour les noces de ses sœurs. Je sais qu'il est plutôt grand et mince. Il a vingt ans.
      Après un instant de réflexion, Maître Ghil reprit.
–Je pense également que le Vieux Roi a décidé de faire revivre la Tradition du Double Adoubement d'un Prince Chevalier et de son Maistre Écuyer Royal pour, disons, « renforcer » la position de son petit-fils, au cas où son tempérament ne suffirait pas à assurer son autorité. Le Roi Galh compte également affermir l'image de la Maison Royale en rappelant leur attachement aux traditions ancestrales.
      Eléa réfléchit aux conséquences des paroles qu'elle venait d'entendre.
–Je n'avais pas vraiment compris le rôle d'un Maistre Écuyer Royal... dit-elle le regard légèrement hésitant.
–Eléa, la cérémonie de demain soir va te lier au Prince Calh, mais surtout à la Maison Royale d'Argalh. Maître Domkan, le Vieux Roi et même son fils sont d'accord avec moi : tu en as largement les capacités, crois-moi ! Et je resterai toujours auprès de toi si tu me le demandes, reprit-il.
      La jeune femme acquiesça en silence.
–Je crois que tu devrais aller te changer les idées avec ton poulain. Tu as eu assez d'informations à digérer pour aujourd'hui, allez, file !
      Pendant qu'elle parcourait la campagne environnante sur Daram, Maître Ghil lui, s'occupa de vérifier les derniers détails. Les tenues étaient-elles finies ? Les écussons étaient-ils prêts ? Les chaussures étaient-elles à la bonne taille ?! »

Extrait de
Le Maistre Ecuyer Royal
Léa Northmann
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