« Enfin le grand jour arriva.
Selon la tradition, la cérémonie devait avoir lieu à la tombée de la nuit. Quand Maître Ghil retrouva Eléa dans ses appartements en début d'après-midi pour faire le point, elle était livide.
- Je ne me rappelle plus de rien ! Tout se mélange dans ma tête ! Je n'y arriverai jamais !
–Calme-toi, calme-toi. Tu vas y arriver. Fais-moi confiance tout va te revenir lors de la cérémonie. Et puis je ne serai pas loin, je te le promets.
La jeune femme était au bord des larmes.
–Écoute, tu as encore plusieurs heures devant toi. Va donc faire une longue promenade avec Daram.
Elle opina avec un faible sourire, mais il vit que ses mains tremblaient. Il les prit dans les siennes en plantant ses yeux gris dans le regard de velours sombre.
–J'ai confiance en toi. Tu es prête, crois-moi. Viens, je t'emmène aux écuries.
Quelques instants plus tard il la regardait s'éloigner vers les collines.
–Par les Dieux, donnez-lui la force...
Lors de ses précédentes sorties, elle avait appris à se repérer dans la campagne environnante. Si dans les premiers temps, elle avait toujours gardé en vue les tours et les remparts d'Argalh, au fur et à mesure, elle s'était aventurée un peu plus loin. De toute façon Daram avait assimilé sa nouvelle « maison », et elle faisait confiance à son poulain pour retrouver le chemin du retour. Ils prirent un petit galop de chasse. Petit à petit la tension diminua en elle. Elle s'abandonna au rythme puissant et régulier du pur-sang, laissant ses peurs s'envoler derrière elle.
Deux heures plus tard, sur le trajet qui la ramenait vers les Écuries Royales, elle s'arrêta pour admirer la cité qui s'étendait devant elle. L'étalon s'ébroua. Machinalement elle lui flatta l'encolure.
–Tout doux mon beau... Tu es déjà pressé de rentrer ?
Daram encensa.
–Eh bien en route alors... soupira-t-elle.Elle prit le temps de le bouchonner bien plus que nécessaire, retardant au maximum le moment de rentrer dans ses appartements. Et puis soudain elle eut peur de ne plus avoir le temps de se préparer convenablement ! Elle courut alors aux cuisines, où rouge de honte elle demanda s'il était possible qu'on lui montât de l'eau chaude pour sa toilette.
Quand elle arriva dans sa chambre, elle découvrit les deux tenues que Maître Ghil y avait fait porter. Il avait choisi de garder les teintes de sa première robe. La tunique de Maistre Écuyer était d'un gris sombre mordoré, et le Croissant de Lune brodé sur son plastron était lui, du même gris argent que la Pierre de Lune qui ornait son doigt. Dans les mêmes tons, la tenue de bal elle, se composait d'un surcot foncé qui recouvrait une cotte en soie claire. De nouveau une boule d'angoisse lui noua la gorge. Elle déglutit péniblement en frôlant les fins tissus qui chatoyèrent dans la lumière de la fin d'après-midi qui entrait par la fenêtre. Elle se rendit compte alors avec horreur qu'il ne lui restait plus beaucoup de temps pour se préparer avant la tombée du jour ! Heureusement deux serviteurs arrivèrent peu après avec les brocs d'eau demandés.Elle avait enfilé sa tenue de Maistre Écuyer, et elle était en train de contempler son reflet dans le miroir, quand l'ancien Maître Bibliothécaire frappa à sa porte. Lorsqu'elle lui ouvrit, ils restèrent interdits, tous les deux face à face.
La coupe de la tunique mettait en valeur le corps souple et musclé de la jeune femme.
Que de chemin parcouru ! se dit-il en la contemplant. Elle est parfaite ! ne put-il s'empêcher de penser la gorge nouée.
Eléa, elle, découvrit avec plaisir la tenue de son mentor. Il avait demandé à la couturière de lui en faire une dans les mêmes tons que celle de la jeune écuyère, mais dans une coupe plus martiale. Le croissant de Lune y était également plus pâle.
- Je suis un peu âgé pour être ton page, mais j'ai pensé que tu serais peut-être contente d'avoir quelqu'un à tes côtés pendant la cérémonie, pour te rappeler que tu n'es pas seule dans cette aventure. Et n'oublie pas que Maître Domkan et Natéa seront aussi avec toi par la pensée.
–Merci, répondit-elle.
Elle déposa un baiser spontané sur la joue de l'ancien Maître Bibliothécaire de Noshaïa, trop émue pour remarquer la légère crispation de mâchoire de l'homme et le regard pâle qu'il lui jeta...
–Bien, se reprit-il. Nous devons y aller si nous ne voulons pas être en retard ! Je te rappelle qu'après la cérémonie, vous serez annoncés, toi et le Prince, par le Roi pour présider le repas de fête. Ensuite, tu devras revenir te changer rapidement pour le bal. Tu es prête ?
Elle ne pouvait plus parler. De toute façon il était trop tard pour reculer.
–Viens, je vais te donner le bras jusqu'à la Vieille Chapelle, lui proposa l'homme.
Par les Dieux ! J'ai l'impression de conduire un agneau vers la mort, se maudit-il intérieurement. Mais non ! Eléa est une louve, pas un agneau ! Et je ne la laisserai pas seule, jamais ! se jura-t-il.
Ils arrivèrent au vieux bâtiment. Il se dressait dans le premier jardin en étage, assez proche du Château. Elle distingua les ombres des arbustes taillés en topiaire, et devina les allées pavées qui s'éloignaient entre les arbres. La Vieille Chapelle était assez basse, de forme octogonale. Des flambeaux balisaient l'allée qui remontait jusqu'à elle. En franchissant le porche voûté, la jeune femme distingua des bas-reliefs gravés dans la pierre. Mais ils étaient si anciens qu'elle ne parvint pas à en reconnaître les motifs.
À l'intérieur, l'air était beaucoup plus froid et elle ne put s'empêcher de frissonner. Des torchères éclairaient la nef centrale. Au bout de l'allée, ils découvrirent le Vieux Roi Alh et non son fils.
–C'est le Patriarche en personne qui dirigera la cérémonie ! s'étonna Maître Ghil.
Autour du chœur, ils distinguèrent les ombres des différents Grands Seigneurs du Royaume invités à l'Ancienne Tradition. Il faisait trop sombre dans le bâtiment pour qu'elle puisse distinguer autre chose que des silhouettes drapées dans de longues capes.
J'espère que le Duc de Noshaïa et les deux princes sont là, et qu'ils enragent de me voir, se dit-elle pour se donner du courage.
Le Prince Calh était déjà arrivé et se tenait à genoux, tête baissée, devant son grand-père. Ils reconnurent le Roi qui se tenait derrière son fils, la main droite sur l'épaule de celui-ci.
Toute la lignée Royale est présente ! pensa Maître Ghil.
Et une fois de plus, il admira la finesse du Souverain pour marquer les esprits. Il lâcha le bras d'Eléa qui s'avança seule dans l'allée et vint s'agenouiller à son tour devant le Maître de Cérémonie. En marchant, elle avait pu admirer les deux étendards placés de chaque côté à l'arrière de l'hôtel : un Soleil Blanc et une Demi-Lune d'Argent.
Maître Ghil vint se placer derrière elle, et mit sa main droite sur son épaule tremblante.
La cérémonie débuta. »Extrait de
Le Maistre Ecuyer Royal
Léa Northmann
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Le Maistre Écuyer Royal
FantasiaAu Royaume d'Argalh, dans le Duché de Noshaïa, la jeune Eléa rêve de chevaliers et d'aventures. Elle devient l'apprentie de l'intransigeante Maistre Écuyer Maï-Lo. Pour parfaire sa formation, elle entre au château ducal, où le séduisant chevalier d...