II. Chapitre 2 suite

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      « Un des poulains s'était emmêlé dans la longe de sa mère ! Celle-ci tirait au renard la tête en arrière, affolée par les mouvements de son petit ! Il allait mourir étouffé, étranglé par la corde !
       Eléa, le vieil homme et son chien s'élancèrent vers la stabulation. Le vieux palefrenier décrocha un couteau de sa ceinture et tenta de couper la longe. Mais elle était dure comme du bois tant elle était tendue. Eléa sauta dans la paille et soutint le corps du poulain pour permettre à l'homme de couper le lien qui s'était légèrement détendu. Enfin celui-ci céda. Alertés par les hennissements de peur du troupeau, les cinq palefreniers accoururent et détachèrent le reste des juments.
      L'homme avait rejoint Eléa dans la litière. Le poulain ne respirait plus. Sans réfléchir, elle s'agenouilla et prit le nez du jeune pur-sang entre ses mains. Elle lui ferma fermement la bouche et souffla dans les minuscules naseaux perlés de sang. Elle souffla et souffla encore sans perdre espoir. L'homme ferma le poing et donna un coup violent dans le poitrail du poulain pour tenter de faire repartir son cœur. Elle reprit l'assistance respiratoire. Au bout de quelques secondes, le jeune pur-sang toussa, cracha et ils entendirent sa respiration d'abord sifflante redevenir normale. Ils l'aidèrent à se relever. Tremblant sur ses pattes, il chercha le réconfort du pis maternel, et se mit à téter goulûment pendant que sa mère le léchait avec tendresse.

      Elle aida le vieux palefrenier à réenjamber la mangeoire de la stabulation. Le grand chien noir vint chercher une caresse rassurante sous la main de son maître, et renifla également Eléa. Elle se mit à gratter la tête du dogue. Il était noir, le
poil dru et son dos lui arrivait bien au-dessus des genoux. L'homme les observait pensivement. Deux palefreniers accoururent vers eux, mais il les renvoya d'un regard.
      Le vieux a encore de l'autorité, pensa la jeune femme amusée.
–Voulez-vous vous asseoir grand-père ? Ou un peu d'eau ? demanda-t-elle.
–Non merci mon enfant, je vais bien. Tu as sauvé ce poulain. Comment t'appelles-tu ?
–Eléa. Mais nous l'avons sauvé ensemble, répondit-elle en souriant.
–Mon chien t'aime bien.
–Il est magnifique ! Et elle s'agenouilla devant la bête.
      Celui-ci se mit à lui lécher la joue, attiré par l'odeur du sang qui maculait son visage et sa tunique.
–D'habitude les gens en ont peur, et il est plutôt d'un caractère méfiant.
–Mon étalon a la même réputation, répliqua-t-elle en riant et en se relevant.
       Au loin, les cloches du Château et de la cité se mirent à sonner.
–Bien, je dois y aller sinon ma belle-fille va me sermonner encore une fois. Au revoir jeune Eléa, j'espère avoir le plaisir de te revoir bientôt.
–Au revoir grand-père.
      Le chien la quitta à regret et escorta le vieil homme vers la sortie.

      Quelques instants plus tard, Maître Ghil arriva à grandes enjambées.
–Vite Eléa, il faut se préparer ! Le Roi Galh a décidé de te rencontrer ce soir et... Par les Dieux ! Que t'est-il arrivé ?! Tu es blessée ?!
      Il s'élança vers elle le regard empli de crainte.
–Non, non, tout va bien Maître, essaya-t-elle de le rassurer.
–Mais tout ce sang sur toi !
      L'homme s'était rapproché et il lui dégagea les cheveux du visage, le regard inquiet. Sa main frôla la joue de la jeune femme.
–Je vais bien Maître, lui dit-elle en reculant un peu.
      Et elle lui expliqua le mini-drame auquel elle avait assisté.
–Heureusement que le vieux palefrenier était là. Vous voyez, plus de peur que de mal !
–Bien, bien, soupira l'homme. Mais nous n'avons qu'une heure pour nous préparer et manger. Le Roi nous recevra dans son bureau privé. Viens, je vais te montrer ta chambre.

        Ils traversèrent un dédale de couloirs et d'escaliers jusque dans l'aile gauche du Château.
- Tes affaires ont déjà été déposées. Tâche de faire vite, le Roi nous attend.
      Et il repartit.
      En fait il s'agissait d'un véritable appartement ! Un bon feu brûlait dans la cheminée centrale. À gauche, un rideau légèrement ouvert laissait apercevoir un cabinet de travail, avec un petit bureau et une armoire. De l'autre côté, elle découvrit un meuble de coiffure et un fauteuil près d'une large fenêtre qui éclairait la pièce, et même un miroir sur pied ! En s'avançant vers l'arrière elle pénétra dans la chambre proprement dite où une seconde cheminée également allumée diffusait une douce chaleur. Le lit était pourvu d'un dais en bois orné de lourds rideaux de courtines. Un banc recouvert d'un tissu identique permettait de s'assoir près de la seconde fenêtre, et deux tapis épais entouraient le lit de part et d'autre. Enfin un dernier rideau séparait un cabinet de toilette où se trouvaient un bac en bois doublé de linge et une table surmontée d'un petit bassin en pierre polie. Brusquement, elle entendit des bruits de pas se rapprocher. Le temps qu'elle revienne vers l'entrée, deux serviteurs arrivèrent les bras chargés de deux brocs d'eau et d'un plateau de victuailles.
–Maître Ghil nous a chargés de vous porter de l'eau pour une toilette rapide, et un plateau froid. Cela vous convient-il gente Damoiselle ?
         En s'approchant elle vit que l'un des deux brocs contenait de l'eau très chaude et l'autre de l'eau froide afin de permettre de régler la température souhaitée. Elle aperçut également des salaisons, du pain, du fromage et des fruits sur le plat.
–C'est parfait, bredouilla-t-elle.
       Les deux hommes s'inclinèrent et disparurent comme ils étaient venus.
      Elle contempla encore ses appartements sans oser y croire. Jamais elle n'avait vu autant de meubles aussi ouvragés, de tissus aussi épais. Puis, brusquement, l'importance de la situation lui revint. Elle se déshabilla, fit rapidement sa toilette et trouva une tunique et des jambières propres dans sa malle disposée près de son meuble de coiffure. Elle jeta un rapide coup d'œil dans le miroir sur pied pour s'assurer que sa tenue était bien ajustée. Elle était en train de grignoter du bout des doigts un peu de pain, l'estomac noué, quand on frappa à la porte. Maître Ghil était venu la chercher. Heureusement car elle aurait été incapable de se repérer dans les innombrables couloirs et escaliers du Palais.

      Quelques minutes après, ils se présentèrent devant une porte gardée par deux soldats armés de la faction Blanche. Ils s'écartèrent et les laissèrent passer après avoir vérifié leur sauf-conduit.
      Un homme était assis derrière un énorme bureau, et semblait rédiger un écrit.
–Asseyez-vous, asseyez-vous ! dit-il sans relever la tête.
      L'ancien Maître Bibliothécaire fit signe à sa compagne d'obéir, et tous deux attendirent patiemment que le Roi finisse d'écrire son manuscrit. La plume crissait dans le silence. La jeune femme observa les lieux autour d'elle. C'était un vrai cabinet de travail, avec son lot habituel de piles de dossiers à moitié écroulées, de livres à moitié empilés. Sur un mur, elle reconnut la carte du Royaume d'Argalh. Mais d'autres lui étaient complètement étrangères.
       Enfin l'homme releva la tête et étira son dos en arrière dans un soupir de lassitude. Puis il se leva et contourna la table de travail pour venir vers eux. Il était de bonne taille, plutôt massif. Il avait des cheveux grisonnants mi-longs et des yeux bleus perçants. Ses mains étaient larges et carrées.
      Les deux voyageurs se levèrent vivement et mirent genoux à terre.
–Allons, allons Maître Ghil, pas de cela entre nous ! Depuis le temps que nous travaillons ensemble, le réprimanda gentiment le Monarque.
      Eléa lança un regard stupéfait vers l'homme qui se redressait à côté d'elle, un sourire poli aux lèvres.
–Présentez-moi plutôt notre futur Maistre Écuyer.
      La jeune femme sentit la terre s'ouvrir sous ses pieds, et elle faillit trébucher en se relevant à son tour.
–Voici Eléa, dont je Vous ai parlé Altesse.
- J'ai ici un document écrit de la main de mon vieil ami Maître Domkan qui ne tarit pas d'éloge sur toi jeune écuyère. Et notre cher Maître Ghil est également inépuisable lorsqu'il s'agit de vanter tes mérites. En découvrant ton visage et connaissant sa réputation, j'aurais pu remettre son objectivité en question... Mais mon père lui-même n'a cessé de louer tes compétences et tes qualités tout au long du repas ce soir.
      Eléa et son compagnon échangèrent un regard perplexe.
–Il semblerait que vous ayez sauvé un poulain ensemble cet après-midi. »

Extrait de
Le Maistre Ecuyer Royal
Léa Northmann
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