I. Chapitre 7 première partie

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« Enfin l'été s'acheva. Cela allait faire bientôt dix mois qu'Eléa était arrivée au Palais Ducal.
Que de chemin parcouru songea-t-elle.
Elle s'était fait une amie fidèle, elle avait réussi à dresser son jeune étalon et sa formation de Maistre Écuyer touchait à sa fin. Sans parler de ses nuits...
Pour marquer l'aboutissement de leur dernière année d'apprentissage, le Duc avait décidé d'organiser une petite fête à la fin de la semaine. Tous accueillirent la nouvelle avec joie et enthousiasme !
Mais très vite les deux amies durent faire face à un problème de taille : Eléa n'avait pas de tenue adaptée.
- Je ne peux pas y aller, se désolait-elle.
Une mauvaise nouvelle n'arrivant jamais seule, Dame Esira accoucha dans la journée d'un magnifique petit garçon. Quand le Chevalier l'apprit, il quitta précipitamment le terrain d'entraînement, et courut auprès de sa femme. Celle-ci l'accueillit froidement. Il prit l'enfançon dans ses bras, le cœur débordant d'amour pour ce petit être, et voulut se pencher pour embrasser la joue de sa Dame.
–J'ai fait mon devoir, j'ai donné un héritier mâle à la Maison de Tuhr. Ne vous approchez plus jamais de moi, lui dit-elle d'une voix glaciale.
Le merci mourut dans sa gorge avant d'avoir franchi ses lèvres. Il reposa doucement son fils dans le berceau et sortit de la chambre sans un regard pour son épouse.

Dans les Écuries Provisoires l'ambiance était aussi bien noire. Eléa allait devoir renoncer à assister au banquet.
–J'ai une idée ! s'écria Natéa. Allons demander de l'aide à Maître Ghil !
Elle avait pris l'habitude de se rendre régulièrement chez le bibliothécaire depuis qu'elle avait appris à lire, car il lui trouvait toujours des ouvrages adaptés à sa soif de connaissance. Et cela occupait ses longues soirées depuis les absences répétées de son amie...
–Allez, viens, je suis sûre qu'il aura une solution !
Et elle poussa la jeune écuyère vers le Château.

La fête avait lieu le lendemain soir, mais déjà les cuisines semblaient en guerre. Dame Magala dirigeait ses troupes comme un général en campagne au bord de l'invasion ! Dans les couloirs, elles croisèrent des serviteurs chargés de vaisselle, de nappes, d'argenterie ou de fleurs. Plus elles découvraient les préparatifs et plus le moral d'Eléa s'assombrissait. Elle faillit renoncer avant même d'atteindre la porte de la bibliothèque. Mais Natéa ne lâcha pas sa main et elle la traîna jusqu'à être devant Maître Ghil. En quelques mots elle lui expliqua la situation, devant une Eléa boudeuse.
–Voyons, voyons... Laissez-moi réfléchir... Et l'homme se mit à arpenter la grande salle. Il reste deux jours dis-tu... Bon revenez demain matin, je vais voir ce que je peux faire.
Elles repartirent, l'une pleine d'espoir, l'autre le cœur vide. Le Chevalier ne l'avait plus appelée pour faire son « rapport ». D'ailleurs il n'y aurait plus de rapport, la formation était finie... Dame Esira lui avait donné un fils... Elle n'avait été qu'un passe-temps pour lui... Elle s'endormit vaincue par la fatigue des derniers jours de formation, par le manque d'heures de sommeil accumulé et par la peine qui lui broyait le cœur...

Le lendemain matin, Natéa dut littéralement la tirer jusqu'aux appartements de Maître Ghil. Il les attendait avec un large sourire.
–J'ai quelques « amies » au sein du château qui ont eu la gentillesse de m'aider...
Et sur ces énigmatiques paroles, il s'écarta dans un geste théâtral et leur fit découvrir un mannequin qui trônait à côté de sa table de travail. Elles en restèrent bouche bée. Une robe dans les tons gris sombre mordorés y était accrochée ! C'était une tenue simple mais élégante. Les manches s'effilaient aux poignets en deux larges pointes. Le tissu tombait délicatement jusqu'au sol. L'homme avait même pensé à une paire de chaussures coordonnée.
–Allez, viens, essaye-la ! Essaye-la, s'il te plaît !
Natéa ne tenait plus en place.
Maître Ghil décrocha la robe, prit les chaussures dans l'autre main et les présenta à la jeune femme en la guidant vers un petit cabinet de toilette attenant. Au bout de quelques minutes, elle réapparut. Ils la dévisagèrent en silence. La coupe simple de la robe épousait parfaitement les courbes de son corps. Sa démarche à la fois souple et féline faisait miroiter le tissu gris mordoré.
–Waouh, tu es magnifique ! Hein Maître ?
L'homme se racla la gorge et se pencha derrière la grande table de travail.
–J'ai pensé que tu pourrais également porter ceci, ça ira avec ta bague en Pierre de Lune je pense.
Il tendit un petit coffret en bois à Eléa. À l'intérieur elle découvrit une fine chaînette en argent.
–C'est un bijou de cheveux, expliqua-t-il.
Natéa prit une chaise et la plaça derrière son amie avant de grimper dessus. Elle l'ajusta dans la sombre chevelure. Puis elle redescendit et se posta face à elle aux côtés de l'homme.
–Tu es parfaite Eléa, élégante et sobre à la fois ! s'exclama-t-elle.
Et terriblement séduisante... songea soudain inquiet le Maître Bibliothécaire.
Mais il était trop tard pour faire machine arrière. Eléa assisterait le soir même à la fête du Château...

Natéa lui fit mille recommandations avant de la laisser partir : la façon de saluer le Duc, tel ou tel noble Seigneur ou gente Dame... On aurait dit que les rôles étaient inversés tant l'adolescente semblait maîtriser les usages de la Cour face à une Eléa tremblante de peur.
Lorsqu'elle pénétra dans la Grande Salle, la réception battait déjà son plein. Des musiciens jouaient en sourdine. Elle aperçut même des jongleurs et des acrobates ! Les gens parlaient, riaient. Beaucoup commentaient la naissance du jeune héritier mâle de la Maison de Tuhr. Elle serra les poings et grinça des dents. Mais ce soir était son soir ! Elle fêtait la fin de sa formation commencée dix ans plus tôt, elle n'allait pas la gâcher en se laissant aller ! Elle saisit une coupe sur une table et s'élança dans la foule. Elle aperçut son amant, le visage fermé. Une barbe de quelques jours ombrageait ses joues. Il répondait poliment aux félicitations des uns et des autres. Dame Esira était restée alitée, il était seul. Elle remarqua qu'il reprenait une coupe alors qu'il venait à peine de finir la précédente. Un pli amer barrait sa bouche.
Il boit trop... se dit-elle.
- Eléa !
C'était Falan qui l'appelait. Les autres apprentis s'étaient rassemblés autour d'une table et ils mangeaient et riaient ensemble. Elle se joignit à eux. Maître Domkan arriva en même temps. Il avait revêtu sa tunique ornée du Loup Gris de son blason. Il félicita chaleureusement chacun d'entre eux. Des serviteurs portant des plateaux recouverts de petits pâtés et autres friands passèrent parmi eux. Des fruits étaient également disposés sur les tables.

Le Chevalier de Vuhr s'approcha du Chevalier de Tuhr qui venait de repérer Eléa dans le groupe animé.
–Ne dirait-on pas une meute de jeunes loups ? Et la jeune Eléa est surprenante ce soir, une vraie louve alpha ne trouves-tu pas ? demanda l'homme au Hibou Gris. »

Extrait de
Le Maistre Ecuyer Royal
Léa Northmann
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