Le Maistre Écuyer Royal

I. Chapitre 4 fin

« - Maître Ghil ?
Il se retourna et lui sourit.
–Je m'appelle Eléa et Maï-Lô m'a remis ceci pour vous, dit-elle en lui tendant le parchemin.
–Merci Eléa. Et ?
Elle le regarda étonnée et indécise.
–J'ai bien vu, pendant le repas, que toi et ton amie ne cessiez de me regarder en chuchotant. Je crois que vous avez quelque chose à me demander, je me trompe ?
Elle crut voir l'espace d'une seconde une étincelle verte pétiller dans les prunelles grises.
–En fait, il nous faudrait un livre, expliqua-t-elle.
–Quel genre de livre ?
–Un facile à lire ! s'exclama Natéa. Enfin je veux dire pas trop dur, bafouilla-t-elle en rougissant.
–En fait je voudrais lire à haute voix pour apprivoiser mon poulain, et aussi pouvoir apprendre à lire à quelqu'un.
–Ah c'est toi la fille au poulain fou. Bon je vais voir ce que je peux vous proposer de facile à lire, dit-il en faisant un clin d'œil à Natéa. Je vous tiendrai informées.

Tout l'après-midi, elles nettoyèrent les Écuries Provisoires, sachant qu'elles y passeraient le plus clair de leur temps durant l'hiver, dans le cadre du débourrage de Daram. Elles balayèrent, frottèrent, lavèrent le petit bâtiment de fond en comble. Elles dégagèrent la table et les bancs de tout le bric-à-brac qui les recouvrait.
En fin de journée, après avoir remis du foin et de l'eau au poulain, elles ne regagnèrent que tardivement les cuisines pour le repas du soir.
–Hum... maugréa Dame Magala la Cuisinière en Chef. À l'avenir, il faudra faire un brin de toilette mes damoiselles avant de venir ! Et respecter les heures des repas, rajouta la matrone plantureuse à la crinière rousse.
Mais devant leurs mines déconfites et fatiguées, elle sourit malgré elle.
–Bon pour cette fois ça ira. Asseyez-vous et mangez. J'avais mis deux portions de ragoût de côté pour vous. Ah ! Maître Ghil m'a dit qu'il vous attendait pour une mystérieuse mission de lecture et de poulain fou. Je n'ai rien compris.
Elles échangèrent un sourire et dévorèrent leur repas.

Sur les conseils de Dame Magala, elles brossèrent leurs habits avant de se rendre chez le Maître Bibliothécaire. Grâce à Natéa et à ses connaissances du Château, elles trouvèrent rapidement les appartements de l'homme, qui jouxtaient la Grande Bibliothèque. Après avoir traversé de nombreux couloirs, elles frappèrent à une lourde porte en chêne massif. Eléa avait été fascinée par tout ce qu'elle avait entraperçu en parcourant le Palais : des boiseries, des dorures, des cheminées immenses où un homme aurait pu tenir debout ! Lorsque Maître Ghil les fit entrer, elles restèrent bouche bée devant le capharnaüm qui régnait dans la pièce. Partout des livres et des parchemins s'entassaient. Çà et là des encriers ou des pots emplis de pinceaux se dressaient. Devant leur expression incrédule il s'excusa.
–Je m'intéresse à toutes sortes de choses, Histoire, Géographie, Botanique, Zoologie, Chimie.... Et j'ai de nombreux travaux en cours. Il est vrai que parfois j'ai un peu tendance à me disperser et à m'emballer...
Il sourit en passant sa main sur ses cheveux courts qui crissèrent sous ses doigts.
–Mais assez parlé de moi ! Alors, dis-moi Eléa, tu veux apprivoiser ton poulain fou en lui lisant des livres ? demanda-t-il, mi-amusé, mi-intrigué. Je savais que Maï-Lô avait des techniques particulières pour dompter les chevaux les plus rétifs, mais j'ignorais que la lecture en faisait partie. Et comment va-t-elle d'ailleurs cette chère Maï-Lô ? Elle t'a transmis le virus de la connaissance par les livres à ce que je vois.
Eléa ne savait pas à quelle question répondre en premier. Par politesse elle commença d'abord par celle concernant son ancien Maître.
–Elle va bien. En fait, elle lit tous les soirs. Et elle m'a permis en effet de parcourir ses ouvrages, des recueils de légendes ou de poésie, ou bien des écrits plus techniques sur l'élevage des chevaux. Surtout en hiver quand la nuit tombe vite et que les soirées sont longues. Mais aujourd'hui je voudrais seulement un livre facile à lire pour que Daram s'habitue à ma voix, qu'il se calme en ma présence.
–Oui, oui je vois. Et si mes souvenirs sont bons, un livre qui te permette également d'enseigner la lecture...
Et il fit un clin d'œil à Natéa qui se mit à rougir et à se tortiller.
–Alors voyons, je crois que j'ai trouvé ce qu'il vous faut mes damoiselles, suivez-moi.
Il ouvrit une porte latérale cachée dans les boiseries du mur, et elles se retrouvèrent dans la Grande Bibliothèque du Duché. Eléa était subjuguée par le nombre incroyable de livres qui s'offrait à ses yeux. Les murs en étaient recouverts, et deux grandes tables de travail étaient elles aussi chargées d'ouvrages ! L'homme saisit une drôle d'échelle contre un des murs, et la fit coulisser le long des rayonnages. Puis il gravit lestement celle-ci à mi-hauteur.
–Voilà ! Contes et Légendes de Noshaïa, c'est l'ouvrage qui sert à l'apprentissage de la lecture pour les enfants de la Maison Ducale. Il conviendra parfaitement.
Il redescendit vers les deux jeunes amies et le tendit à Natéa.
–Je te le confie jeune fille, je compte sur toi pour en prendre soin.
L'enfant hocha la tête avec un air grave.
–Quant à toi jeune écuyère, tu peux venir quand tu veux si tu as besoin d'autres livres pour occuper tes longues soirées d'hiver. Et surtout n'oublie pas de me dire quelle histoire ton poulain fou aura préférée, acheva-t-il avec un petit sourire. Bien, du travail m'attend encore ce soir, et je crois que les jours à venir vont vous demander beaucoup d'efforts à vous aussi, alors hop, hop, hop tout le monde au lit !
Elles le remercièrent chaleureusement et repartirent vers leurs quartiers.
Installées dans leurs châlits de foin, elles se glissèrent sous leurs couvertures.
–Demain, on commence le débourrage de Daram... murmura Eléa, mais sa jeune amie dormait déjà. »

Extrait de
Le Maistre Ecuyer Royal
Léa Northmann
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