PROLOGUE

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PROLOGUE

Sam

   Les arbres défilent à une vitesse affolante. L'adrénaline me pousse en avant au plus loin de cet enfer alors que la nuit commence à tomber. Mais où est-ce que je vais bien pouvoir aller ? Il ne faut surtout pas que je m'arrête.

   Fuir.

   Ce n'est plus une option maintenant, c'est une nécessité. Les feuilles d'automne fraîchement tombées allègent ma course mais je dois à tout prix éviter les branches basses, les racines et les trous, si je ne veux pas finir par terre. Je sens que bientôt, les rayons du soleil ne perceront plus à travers le feuillage dense et le froid commencera à endolorir mes extrémités.

   Le souffle de plus en plus saccadé, je ne sais même pas où je me trouve, ni même si je serais capable de m'en sortir seul dans cette forêt, de nuit, éloigné de tout.

   Il faut que j'arrête de penser à ça et que je continue de courir.

   C'est le fait d'être éloigné de tout qui va me sauver. Dans tous les cas c'était la fuite ou la confrontation et après ce qu'il vient de se passer, la fuite était ma meilleure option. Je vais probablement le regretter quand je mourrai de faim entre deux souches d'arbre mais pour l'instant je ne suis pas en état de remettre en question ma décision.

   Le cœur qui bat à toute vitesse, sur le point de rompre à tout moment, mon esprit commence à perdre le fil. Je cours depuis combien de temps ? Vingt minutes ? Une heure ? Aucune idée.

   Mes mollets me font atrocement souffrir. Finalement ça ne sera peut-être pas le froid qui aura raison de moi, mon corps va me laisser tomber bien avant. Je ne vais pas pouvoir aller très loin dans cette forêt, la plus grande de la région qui plus est. Une chose est sûre, ils ne me trouveront pas ici, c'est simple, même moi je ne sais pas où je suis.

   Mes pensées ne cessent de se balader à droite, à gauche, je divague. Elle viennent finalement se fixer sur une image. Une scène. Cette scène, je la revois encore et soudain son visage me heurte.

   Je ne m'attendais pas à ressentir une telle douleur. Comme si une branche venait de me frapper en pleine figure sauf que la souffrance est bien différente. Mon cœur se serre si fort que j'aurai pu en tomber.

   Le sol s'est rapproché si vite que je n'ai rien pu faire, je suis bel et bien tombé. Les larmes me montent aux yeux. Est-ce le sentiment d'humiliation ou bien la douleur ? Je n'ai ni le temps ni la force de faire une introspection sur mon ressenti actuel.

   Je ne sais pas vraiment ce que je ressens, par contre je sais que la douleur, elle, est bien présente. Mon corps n'est qu'un énorme coup dans les côtes qui m'empêche de respirer, de bouger et même de penser. Mon sang tambourine dans mes artères qui viennent faire écho dans mon crâne.

   Comment ai-je pu courir aussi longtemps en ignorant mon corps endolori ? L'adrénaline sûrement. Alors que j'essaie de contrôler ma respiration la souffrance diminue peu à peu, libérant ainsi mon esprit.

   Par contre, de nouvelles sensations s'emparent de moi. Le froid tout d'abord. Je n'y avais pas prêté tellement attention ces derniers jours mais l'hiver approche à grands pas. La fatigue ensuite, je donnerai n'importe quoi pour être dans mon lit en ce moment. Sans tous les problèmes que j'aurais si j'y étais à cet instant bien sûr. Mais c'est la peur qui prend le dessus sur tout le reste.

   J'ai peur, mais pas pour moi. Je n'aurai jamais dû la laisser là-bas. La réalité me rattrape et je prends conscience de ce que mon départ va signifier pour elle. Si jamais il se retourne contre elle je ne pourrai jamais me le pardonner.

   Pourtant, je ne regrette absolument pas ce que j'ai fait. À vrai dire, j'aurais fait bien pire s'il l'avait fallu.

   Au moins j'ai réussi à lui faire promettre de ne pas chercher à me suivre. Je ne sais pas ce qui est mieux entre la maison et la forêt à l'heure actuelle, mais elle a promis.

   La sensation humide contre ma joue n'est pas désagréable. L'odeur du sol en décomposition non plus. Mais moi aussi je lui ai fait une promesse. Celle de rester sauf. Il faut que je trouve la force de me remettre en marche avant que le sol grouillant de vie ne commence à me dévorer.

   Mon corps n'en peut plus, je ferais mieux d'écouter ma tête. Elle me dit de me relever et d'avancer encore un peu pour peut-être trouver un abri avant la nuit. J'enfonce mes mains dans la terre recouverte par une fine couche de feuilles mortes. Je pousse sur mes bras de toutes mes forces et parviens difficilement à me remettre debout. Mes jambes tremblent mais je n'y prête pas attention. Avancer est tout ce qui compte.

   Je dois m'être enfoncé profondément dans la forêt car le soleil ne filtre plus désormais. Ici seules les plantes les plus sauvages ont survécu. Il devient de plus en plus difficile de se frayer un chemin parmi les fougères et autres plantes qui s'accrochent à mes vêtements, empêchant mes pieds de quitter le sol. À force de repousser les branches qui obstruent ma vue, de nombreuses écorchures apparaissent sur mes bras et mes jambes mais elles ne me font pas souffrir. Je ne ressens plus vraiment quoi que ce soit, mes gestes sont machinaux, je ne maîtrise plus mon corps. Je tente de me convaincre que je suis capable de faire encore quelques pas mais subitement le sol n'apparaît plus sous mes pieds.

   La chute est courte, je n'ai pas le temps ni la force de crier. Mon corps roule sur quelques mètres, tel un pantin désarticulé et ma tête heurte quelque chose de dur. Malgré la fraîcheur de mes membres, je sens mon visage se réchauffer. Un liquide visqueux coule sur mes yeux et me coupe la vue. Mes muscles se relâchent, me procurant un tel soulagement que je ne cherche pas à lutter contre la brume qui envahit mon esprit. Allongé sur le sol frais, à moitié recouvert par la végétation, personne ne me trouvera ici. Tant mieux, c'est ce que je suis venu chercher en m'aventurant dans cette forêt. Je lutte tant bien que mal pour ne pas laisser mes yeux se fermer.

   Le visage de ma sœur apparaît derrière mes paupières déjà à moitié closes. Son regard bleu me perce et son doux visage se fend d'un sourire reconnaissable entre tous, légèrement étiré sur la droite, dessinant une petite fossette dans le creux de sa joue. Je ne peux plus lutter. Mélodie est la dernière image que je vois et en cet instant, je me sens bien.

ILLUSIONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant