Pour la douzième fois en cinq minutes, j'allume l'écran de mon téléphone pour surveiller l'heure. Il est vingt-deux heures et j'ai de la chance puisque, ce soir, les garçons se sont couchés tôt à cause de la journée de demain qui, si mes souvenirs sont bons, va être chargé. Depuis le sofa, je jette un coup d'œil à la silhouette de Taehyung dans son lit, espérant de tout cœur qu'il a réussi à trouver le sommeil.
Je m'extirpe de mes draps en silence et attrape mon sweat à capuche noir au pied du sofa pour l'enfiler au-dessus de mon haut de pyjama. Je remonte mon slim tout aussi sombre et quitte la pièce sur la pointe des pieds. J'utilise mon téléphone pour m'éclairer dans le salon plongé dans l'obscurité et me dirige vers la cuisine sans la moindre hésitation. J'ouvre en grand le premier tiroir, prends une grande inspiration et glisse le plus gros couteau de cuisine dans la poche ventral de mon sweat.
J'allais refermer le rangement quand mon regard est attiré par un cutter à lame rétractable utilisé pour ouvrir des cartons en temps ordinaire. Je ne réfléchis pas longtemps avant de le coincer dans mon soutien-gorge. Je ne dois prendre aucun risque ce soir et plus je suis armée, plus ma mission a de chance de bien se dérouler.
Je lace mes chaussures en tendant l'oreille, croisant les doigts qu'aucun de mes colocataires ne soit pris d'une soudaine soif avant de quitter l'appartement, sans savoir si j'y remettrais les pieds.
La descente dans l'ascenseur me semble durer une éternité et mon stress ne cesse de grimper à l'instar de la cabine qui elle, atteint rapidement le rez-de-chaussée. Toujours dans l'optique de passer inaperçu, j'emprunte le local à poubelle pour rejoindre le monde extérieur, ma main gauche serrant fortement le manche du couteau depuis ma poche. Il faut que je calme mon rythme cardiaque.
Dehors, la nuit est fraîche, une légère bruine me pousse à mettre ma capuche pour garder mes cheveux trop blond au sec. Cette pluie fine donne une allure sinistre aux ruelles que je traverse pour rejoindre la banlieue de Séoul. Mes pas se répercutent en écho entre les murs humides et rapidement, je me rends compte que je ne suis pas la seule à arpenter ces étroits passages.
Je m'immobilise après quelques minutes de marche, mes pieds s'enfonçant dans une petite flaque d'eau trouble et, sans me retourner, je laisse ma voix tremblante rebondir contre les maisons.
- Tu peux arrêter de te cacher. Commencé-je en serrant les dents. Je pense avoir été assez clair pourtant Taehyung.
Je me retourne et le vois sortir de l'ombre. Ses mains sont nonchalamment plongées dans les poches de son blouson et ses cheveux bruns disparaissent sous un épais bonnet en laine sombre.
- Comprends--moi aussi, le message qu'il t'a envoyé m'a fait imaginer le pire.
Il s'avance vers moi et tend son bras en ma direction pour se saisir de ma main mais je ne le laisse pas faire et le repousse d'un coup d'épaule, reculant de deux pas, éclaboussant nos mollets de l'eau sale.
- J'ai dû affronter Nikita et ses désirs malsains à huit ans, je peux encore le faire aujourd'hui. Déclaré-je d'une voix forte alors que son visage se décompose, il comprend à quoi je fais allusion.
- Mais tu étais une enfant ! Dit-il en se saisissant de mon avant-bras, voulant me faire réagir, me faire comprendre que ce n'est pas normal comme situation.
- Je n'ai jamais été une enfant Taehyung, jamais. Maintenant rentre à la maison, s'il te plaît.
Ma voix jadis forte et droite se meurt à la fin de ma phrase, témoignant de mon inquiétude pour lui. Il ne doit pas être là, c'est trop dangereux.
Pour le faire partir, je me dégage de sa prise d'un geste brusque, trop brusque, en témoigne le bruit métallique qui s'en suit. Je ne prends pas la peine de baisser mon regard, sachant pertinemment ce qui gît à mes pieds. Taehyung se baisse et disparaît de mon champ de vision un instant et quand il reparaît, le couteau est dressé entre nous. Il me fixe, interdit, alors que mon reflet coupable dans la lame me fait déglutir.
- Qu'est-ce que tu comptais faire Nao ? Sa voix grave s'immisce jusqu'à mon oreille, créant une importante chair de poule le long de mes bras.
- Rien qui ne te concerne. Répliqué-je avant de lui arracher l'objet des mains.
Je lui tourne de nouveau le dos pour reprendre ma route, prenant soin de ranger l'arme blanche à l'abri des regards indiscrets. Pendant un court instant, seuls mes pas se font entendre mais c'était sans compter sur son caractère borné et irréfléchi car dès mon premier tournant, j'entends ses chaussures frapper le pavé.
Sa voix continue de secouer mon cerveau avec des milliers de questions mais je l'ignore, essayant tant bien que mal de construire une barrière entre lui et moi, mais c'est sans succès puisque lorsque l'hôtel se dresse face à moi, il est toujours là, marchant sur mes pas, me hurlant de l'écouter.
- Je n'ai pas d'autre solution d'accord ! Crié-je en me tournant vers lui. C'est lui ou moi et si tu comptes m'arrêter ou juste intervenir, je n'hésiterai pas à t'en empêcher Taehyung, c'est ma vie.
Je le fusille du regard en retenant des lames qui menacent de couler. Il faut qu'il parte, quitte à ce qu'il me déteste.
- Je veux simplement que tu sois saine et sauve Nao. Renchérit-il en faisant un pas vers moi.
- Tu ne me crois pas capable de lui faire face, c'est ça ?
- Evidemment que si, tu es une force de la nature, mais je ne sais pas ce qu'il t'attend dans cet hôtel ! Comprends mon appréhension.
- Eh bien, moi je sais. Je reprends d'une voix plus calme. Il a un ego si développé qu'il sera seul à m'attendre, il ne se méfie pas de moi et c'est la meilleure opportunité que je n'aurais jamais.
Je pointe le bâtiment dans mon dos de mon bras plâtré, essayant de convaincre comme je le peux le garçon face à moi. Il pose des yeux tristes sur mon corps et une larme unique vient me trahir en glissant sur ma joue. Je ferme un instant les yeux et sens ses mains se poser sur mes épaules.
- Regarde moi.
Je m'exécute, me rendant compte que ses nerfs aussi ont lâché. Il vient me serrer contre son torse et je ressens son coeur battre la chamade dans sa poitrine.
- On fait un deal. Murmure-t-il.
Et la faible que je suis a accepté. J'ai accepté qu'il me suive jusqu'au couloir desservant la chambre de Nikita. J'ai accepté qu'il reste là à m'attendre pour pouvoir intervenir au cas de besoin. J'ai accepté de dire "Ne fait pas ça" pour qu'il vienne me venir en aide si tout ça dégénère. Je l'ai aidé à se cacher dans un renfoncement près de la cage d'escalier avant de prendre la direction de la porte numéro vingt-six.
Et quand je me décide à frapper contre le panneau en bois, je sens encore ses lèvres contre ma joue et ses larmes sur ma tempe. Tout doit se dérouler comme prévu et ne surtout pas prononcer cette phrase qui le mettra obligatoirement en danger.
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Fray (BTS FF)
FanfictionIl y a dix ans, un jeune garçon et ses deux parents sont venus la chercher dans son pays pour lui offrir une vie meilleure. Aujourd'hui, alors âgée de vingt-et-un ans, cette jeune fille lutte tous les jours pour trouver sa place dans cette vie meil...