VI- Je viens avec toi

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Aline

Le voyage me semble durer une éternité. Seuls quelques dizaines de kilomètres séparent pourtant le bled paumé de ma grand-mère de ma ville natale, mais aujourd'hui, la voiture est trop lente, la route trop longue, les secondes trop rapides, s'égrainant un peu plus dans le néant à chaque battement de mon coeur affolé.

A mes côtés, Fenris semble la sérénité incarnée. Paisiblement installé à la place du mort, il regarde le paysage défiler pendant que je m'échine à rester concentrée sur la route, redoutant par-dessus tout qu'un malheureux accident retarde encore l'heure de notre arrivée.

- Dis, tu ne devrais pas te sentir un tout petit peu plus concerné par ce qu'il se passe ? demande-je finalement au démon qui reste définitivement beaucoup trop calme à mon goût.

Il tourne doucement la tête vers moi, sortant de sa contemplation passive.

- Et que voudrais-tu que je fasse exactement ? Que je panique, que je nous mette en danger pour essayer d'arriver plus rapidement alors que nous savons parfaitement tous les deux ce que nous trouverons là-bas ?

- Mais tu as signé un pacte avec moi ! Un pacte stipulant clairement qu'il ne devait rien nous arriver à ma mère ni à moi !

Il se retourne complètement vers moi cette fois.

- Ecoute, fillette, je ne panique pas parce que je sais parfaitement bien qu'aucun mal ne sera fait à ta mère où qu'elle soit avant la prochaine pleine lune, dans deux semaines. D'ici là, elle sera traitée comme une reine pendant que tu flipperas pour rien et que je mènerai à bien ma mission. Se faire du mauvais sang est totalement contre-productif. Tu veux aider ta mère ? Garde les yeux sur la route et fais le vide dans ta tête.

Je bouillonne de rage. Mon envie de le gifler est plus forte que jamais à présent. Il a raison, paniquer ne sert à rien, mais il s'agit de ma mère, nom de Dieu ! Même lui il doit savoir ce que ça représente ! Pour toute réponse à sa longue tirade, j'écrase la pédale d'accélérateur, poussant ma pauvre 106 Peugeot de jeune conducteur dans ses retranchements.

- Ah, je crois que les forces de l'ordre vont avoir une photo souvenir de ce jour, glisse soudain Fenris alors qu'un flash lumineux me brûle la rétine.

Génial, il ne manquait plus que ça... Je ne ralentis pas et file comme le vent sur l'autoroute, n'écoutant rien d'autre que les hurlements douloureux du moteur à plein régime.

Lorsque enfin apparaissent les premiers appartements au loin, je soupçonne mon cœur de vouloir me briser une côte ou deux. Fenris ne pipe mot jusqu'à ce que je me gare finalement comme une furie devant le minuscule pied-à-terre de ma mère.  Trente-deux mètres carrés, c'est pas énorme, mais quand on est ma mère, avoir un endroit à soi, c'est un peu comme vivre un rêve éveillé. Que voulez-vous, elle trouve toujours le bien partout, c'en est presque déroutant parfois.

Je sors de la voiture en trombe, suivie de près par Fenris. Je doute qu'il me suive par compassion ou pour savoir quel sort fut celui réservé à ma mère. A mon avis, il doit plutôt essayer de m'éviter de tomber dans un piège grossier et de finir enfermée entre quatre murs avant d'être égorgée comme un porc dans un abattoir. Après tout, si je meurs, jamais il ne retrouvera la totalité de ses pouvoirs.

Sur le pas de la porte, j'hésite, prise d'un élan de panique. Et si je retrouvais ma mère baignant dans une mare de son propre sang ? Et si derrière cette porte se trouvait encore des démons achevant leur basse besogne, trucidant ma mère déjà à l'agonie ?

Fenris écarte mes doutes en poussant la porte prudemment. Il me fait signe de le suivre sans un mot, gardant un silence religieux. A l'intérieur, c'est à peine si je reconnais les lieux.

Ex Nihilo -2- Si vis pacem, para bellumOù les histoires vivent. Découvrez maintenant