Aline
Je m'éveille en sueur, le souffle court, perdue dans ma petite chambre. J'appuie précipitamment sur l'interrupteur et la lumière envahit la pièce, chassant les ombres de mon esprit. Deux semaines que nous sommes rentrées et cette vision ne cesse de me hanter. C'est décidé, cette fois, je dois en parler.
D'un bond, je sors de mon lit et me précipite dans le salon où ma mère discute encore avec ma grand-mère dont l'état ne s'est visiblement pas arrangé depuis notre départ. Elle se taisent et tournent toutes deux le regard vers moi, intriguées par mon entrée en fanfare.
- Que se passe-t-il, ma chérie, demande maman avec cette douceur déstabilisante et légèrement décalée face au torrent d'émotion qui me submerge.
Je reprends mon souffle pendant quelques secondes, cherchant les bons mots pour décrire cette vision, avant de les noyer sous un flot de paroles ininterrompues.
- Et pour finir, Fenris était entravé et incapable de se sortir de là. Je l'ai vu mort ! Ou tout du moins, il semblait mort. Mais Lilith l'a attaché, j'imagine donc qu'il peut encore représenter une menace pour elle. Eyna était là, elle aussi. Et j'ai entendu son cri, maman. Un cri terrible, pire qu'une bête à l'agonie. Nous devons aller l'aider !
Maman et grand-mère se regardent en silence pendant un instant, puis grand-mère se décide à parler à contrecœur.
- Ma puce, ce que fait ou subit Fenris ne nous concerne plus. Il vous a sauvé par obligation, parce que Eden ne lui en a pas laissé le choix. Mais toutes ici nous savons que ce n'est pas réellement Eden. Eden est morte, elle s'est évanouie dans les limbes depuis près d'un siècle. La seule chose qui l'a poussé à vous sauver, c'est sa propre folie. Qui sait contre qui cette folie se retournera lorsqu'il sera libre ? Je suis désolée, Aline, mais cette fois, il va devoir se débrouiller seul. Je ne permettrais pas que ses manigances menacent encore une fois notre famille.
- Mais Mamie, il t'a aidée autrefois ! Et il m'a aidée également à sauver maman ! Il s'est sacrifié pour que nous puissions partir ! Tu sais comme moi combien il chérit sa liberté, tout ce qu'il a fait, c'était pour être à nouveau libre ! Comment te sentirais-tu si tu étais contrainte à obéir aveuglément à quelqu'un que tu hais de toute ton âme ? Soyons un peu honnêtes dans cette famille. Je sais que moi, à sa place, j'aurais fait exactement la même chose. Quand tu as goûté toute ta vie à une liberté totale et qu'on te l'arrache du jour au lendemain pour te plonger dans des affres de souffrance à la moindre incartade, tu obéis, quel qu'en soit le prix. Et je l'admire pour ce que tu appelles "sa folie". Cette folie lui permet de faire les bons choix, de se repentir, de réfléchir à ce qu'il a fait et de réparer ses erreurs. Sa folie nous a sauvé la vie. Alors peu importe ce que vous déciderez, je trouverai le moyen de le sortir de là. C'est le moins que je puisse faire !
Essoufflée par ma vision, ma course dans les escaliers et ma tirade, je dévisage les deux femmes les plus importantes de ma vie avec défi. Grand-mère finit par secouer la tête.
- Tu es aussi têtue que ta mère... Je comprends ce que tu ressens. Voir une dyade détruite est un spectacle difficile à regarder, et je comprends la pitié qu'il t'inspire, il me l'a inspirée à moi aussi. Mais tu dois comprendre que c'est l'ordre naturel des choses. Nous devons sauver le monde, préserver l'équilibre, pas libérer l'Ange de la Mort d'un sort mille fois mérité. Quelques bonnes actions ne suffisent pas à racheter des siècles de méfaits.
- Mais je...
- Je ne veux rien entendre de plus ! Maintenant remonte te coucher, Aline. Mettre ta vie en jeu, c'est mettre toute notre lignée en péril. Bientôt, tu seras la seule Fille de la Terre capable d'offrir un avenir à cette famille. Nous ne pouvons pas remettre tout en cause pour la vie d'un démon, aussi redevables soyons-nous.
Je la fusille du regard avant de jeter un regard dédaigneux à ma mère et de tourner les talons. L'honneur est vraisemblablement en voie d'extinction dans cette famille. Mais je connais quelqu'un qui pourra peut-être me donner un coup de main.
A peine rendue dans ma chambre, je me jette sur mon lit et dégaine mon téléphone. Deux sonneries plus tard, on décroche.
- Allô ?
- Salut, Gaby, je te réveille ?
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Ex Nihilo -2- Si vis pacem, para bellum
ParanormalSoixante ans après les aventures de Fenris, Gabriel et Angélique, les Enfers sont au plus mal. Et quand le Mal va mal, la Terre doit s'attendre au pire. Plus encore lorsque l'on est l'une des dernières Filles de la Terre. Aline, jeune Fille de la Te...