Fenris
Après la capture somme toute assez aisée de la gamine, après avoir recouvert ma santé et mon immortalité volée par ma mère pour s'assurer ma loyauté, je retourne tranquillement dans ce qui fut jadis mes appartements privés.
Rien n'a changé. Tout est précisément dans l'état où je l'avait laissé, comme si Lilith avait su que je reviendrait un jour. Mais je sais qu'elle n'a jamais attendu le retour de son fils. Seulement la capture de son esclave personnel.
Enfin, d'ici quelques jours, quand cette stupide fillette aura finalement décidé que sa mère aura assez souffert et qu'elle se sentira prête à me rendre ma puissance, je serai libre. Plus rien ne pourra me retenir en ces lieux maudits. Tel était le pacte. Je ramenais la Fille, elle me rendait ma liberté à tout jamais et sans condition. Lilith sait fort bien comment me contrôler. Ma liberté est tout ce qu'il me reste. Ma liberté et ma vengeance. M'ôter l'un des deux n'est pas chose aisée, mais celui qui y parviendrait s'offrirait mes services sans réserves. La fin d'une lignée n'est pas un prix exorbitant par rapport à ma liberté.
Je m'allonge sans douceur sur les draps de soie rouge et or, perdu dans mes pensées. Une fois libre, une fois puissant, je tuerai Lilith. Après ça, Lucifer ne devrait plus poser de réel problème. Ensuite, je réglerai leur compte à cet imbécile d'Archange et à ses frères avant de m'attaquer au Père. Rien ne pourra plus m'arrêter.
Cette pensée m'arrache un sourire carnassier. Mais alors que je glisse peu à peu dans un demi-sommeil, je ressens une présence ancienne et familière. Je ne bouge pas d'un cil, conscient que le moindre mouvement la ferait disparaître pour une durée inconnue mais forcément bien trop longue. Je ne dis rien, attendant qu'elle prenne la parole.
- Tu dois la libérer.
Je prends une profonde inspiration et fixe toute mon attention sur la provenance de la voix, cette voix qui m'a tant manquée, cette voix qui me hante chaque jours.
Elle est là, plus belle que jamais dans sa robe blanche éthérée dont les pans flottent délicatement autour d'elle, mus par un souffle invisible. Cette grâce, cette force qui l'habite, aucun souvenir ne peut être assez puissant pour les garder intact. Mais elle est là, présente à mes côtés comme autrefois. Elle a besoin de mon aide. Elle ne s'évanouira pas dans le néant tant qu'elle n'aura pas eu ce qu'elle voulait. Elle restera là, avec moi. Tous ces efforts pour en arriver là...
- Tu m'as manquée aussi, mon amour.
Je me sens léger, éthéré moi aussi, comme en-dehors de mon corps. Mais c'est la seule sensation qui m'ai jamais permit de la revoir. Elle me fixe sévèrement, les bras croisés sur la poitrine et les sourcils froncés, arborant cet air boudeur qui m'aurait fait faire n'importe quoi pour le remplacer par l'un de ses magnifiques sourires, autrefois.
- Fen, tu dois la libérer. Elle ne doit pas rester ici, ou bien ce sera la fin de tout.
- Et alors ?
Je n'esquisse pas un geste par peur qu'elle disparaisse, que je regagne le monde des vivants et elle celui des morts, mais lui lance un regard plein de défi. Pour sa part, elle me dévisage d'un air déçu qui n'est pas sans me rappeler celui d'Aline il y a quelques heures à peine.
- Et alors ? Et alors la Création cessera d'exister, le monde pourrira et vous tous avec lui.
- Tant mieux. Mais si ce qui t'inquiète est le pourrissement du monde, ne t'en fais pas, mon amour, je ne lui en laisserai pas le temps.
Elle soupire et secoue la tête.
- Fenris, tu n'as pas à faire cela. La vengeance ne te rendra rien, bien au contraire. Elle pourrait bien tout te prendre.
Je lâche un rire sec et sans joie qui claque comme un fouet entre les murs de pierre de la pièce à la décoration spartiate.
- Et que pourrait-elle bien me prendre, m'emporté-je ? Je n'ai plus rien ! Ce monde a causé ta perte, il est normal que je cause la sienne.
Je ressens plus que je n'entends ses pas délicats lorsqu'elle se rapproche de moi pour s'asseoir doucement sur le bord du lit en me couvant d'un regard à la fois aimant et triste. Si triste...
- Mon amour, tu ne sais pas tout ce que tu as à perdre... Si je ne suis plus là, cela ne signifie pas que tu doive te laisser mourir et emporter le monde dans ta chute. Ma mort n'était pas la fin, Fenris. Seulement le début de quelque chose d'autre. Rien n'est jamais terminé. Je sais ce qui dort au fond de toi, mon amour. Je sais que tu n'es pas ce monstre que tu voudrais que les gens voient en toi. Tu es plus, tellement plus que cela... Si seulement tu en avait conscience...
Ses doigts fins et frais écartent quelques cheveux noirs de mon visage tandis que je plonge dans ses yeux d'émeraude. Que ne donnerai-je pas pour pouvoir la prendre dans mes bras à nouveau ? Pouvoir la toucher, ou simplement l'effleurer... Je ferme les yeux, m'abandonnant à cette paume si douce sur mon visage.
- J'aurais pu être ce que tu dis. J'aurais pu devenir un être meilleur. Mais désormais, c'est trop tard.
-Il n'est jamais trop tard, Fen. Si tu libères Aline, l'espoir renaîtra de ses cendres.
Je rouvre les yeux doucement, mais détourne le regard, incapable de soutenir le sien, si pur et calme.
- Le monde n'a pas besoin d'être détruit. Il a besoin d'être libéré. Mais il ne pourra l'être que si elle est à tes côtés pour t'épauler. Si tu ne le fais pas pour ce monde, fais-le pour elle ; et si tu ne le fais pas pour elle, fais-le pour moi. Vois cela comme ma dernière volonté.
Je redresse brusquement la tête, cherchant son regard serein.
- Non, Fenris... Tu as comprit... Je ne reviendrais plus te rendre visite à partir de maintenant. Tu auras besoin de tout ton esprit pour ce qui se prépare. Je ne peux m'en octroyer égoïstement une part alors que de tes choix pourrait découler l'avenir de la Création.
Elle ne viendra plus... Sa dernière volonté... La Création... Mais qu'elle aille se faire foutre, la Création ! La seule raison pour laquelle je vis, c'est cette vengeance mûrement réfléchie depuis près de deux-cents ans. Cette vengeance, c'est tout ce qu'il me reste. Néanmoins...
- Très bien. Je la libérerai pour toi. Mais sache qu'après ça, je suivrai ma destinée et ferai ce pour quoi je suis né. Et si Aline doit un jour se battre contre moi, je ne ferai pas de quartier. Tous ceux qui se dresseront entre moi et le Père seront écrasés, j'en fais le serment solennelle.
Elle baisse à nouveau la tête avant de glisser délicatement sa fine main dans la mienne, scellant notre pacte.
- Dans ce cas, je te souhaite bonne chance, mon amour... Mais je crains que ce pacte que nous lions ne soit ton dernier...
Elle se relève tranquillement, son regard si triste plongé dans le mien, avant de déposer un baiser aussi fugace qu'une brise d'été sur mes lèvres.
Je sens que sa visite touche à son terme, bien trop tôt, comme toujours, mais je sais aussi que, cette rencontre étant la dernière, elle la fera durer un peu plus, comme je la supplie de le faire à chacune de nos retrouvailles. Elle s'apprête à dire ces mots que j'aime tant entendre quand...
Soudain, on frappe à la porte.
Je rouvre les yeux et le rêve s'évanouit. Je sens mon âme mourir un peu plus, comme après chacune de ses visites et ferme les yeux, tentant de rappeler à moi une infime partie d'elle, un souffle d'air, une odeur...
La seule chose que je puisse percevoir, c'est l'absence, ce vide infini en moi et autour de moi. Ce gouffre dans lequel je tombe depuis deux cents ans maintenant sans jamais en voir la fin.
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Ex Nihilo -2- Si vis pacem, para bellum
ParanormalSoixante ans après les aventures de Fenris, Gabriel et Angélique, les Enfers sont au plus mal. Et quand le Mal va mal, la Terre doit s'attendre au pire. Plus encore lorsque l'on est l'une des dernières Filles de la Terre. Aline, jeune Fille de la Te...