XXXIV- Sortilège interdit

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Eyna


- Bien, je renonce à sa misérable vie. Pour le moment, décide enfin la reine des ombres. La vie sera une bien meilleure torture et l'enfermement une punition bien plus terrible pour ce pitoyable traître.

Elle se retourne vers ses troupes tout en me faisant vaguement signe de me relever et de réintégrer la foule.

- Traînez ce déchet jusqu'au Néant. Inutile d'être délicat.

Elle poursuit, comme pour elle-même.

- Il va avoir le temps de se régénérer d'ici la naissance de l'enfant. Sans magie, ce ne sera que plus douloureux.

Elle conclue par un petit rire sardonique avant d'ouvrir la marche à ses sbires qui, selon les ordres de leur reine, traînent le corps désarticulé du prince jusqu'au plus profond des entrailles des Enfers.

Lilith semble exulter. Elle me fait penser à une petite fille le soir de Noël. Et pourtant, elle va emprisonner son dernier enfant dans le pire endroit que l'on puisse imaginer pour un être si avide de liberté.

Après plusieurs minutes durant lesquelles nous suivons tous notre reine aux mains tâchées de sang, nous parvenons finalement au caveau sombre et humide où reposera Fenris pour les décennies à venir. Sans délicatesse ni respect, les démons laissent tomber le prince qui s'écrase brutalement sur le sol spongieux.

Mon coeur saigne de le voir défait de cette manière, anéantit, renié et réduit à l'état de marionnette défectueuse.

D'un regard, Lilith fait léviter le corps anéantit de son fils jusqu'à un autel de pierre noir où semblent luire d'anciens sortilèges tous plus horribles les uns que les autres. La reine s'approche du prince à l'agonie qui paraît revenir difficilement et douloureusement à lui, luttant pour ne pas laisser échapper le moindre cri de souffrance malgré le fait que chaque inspiration s'apparente à une torture. Elle pose doucement sa main recouverte de sang sur le torse de l'incube aux ailes d'ombre qui lui jette un regard où se battent à la fois la révulsion et la plus pure terreur. Il semble savoir ce qui l'attend. Lilith savoure avec délice l'horreur que sa simple présence inspire à son fils avant de commencer à entonner une formule plus vieille que le temps.

J'ai le souffle coupé, bien que je ne comprenne pas ce qu'il se passe ni ce que signifient les mots prononcés par la reine. Mais quand Fenris, toujours si froid et égal, se met à hurler de douleur, je manque de défaillir. Ce cri n'a rien d'humain, ni de démoniaque. C'est un son hors du monde, hors du temps, hors de toute norme. Ce rugissement, c'est celui d'une âme qui se déchire, d'un corps au supplice qui résonne et se grave en chacun de nous à jamais. Tous, des plus aguerris aux plus monstrueux, nous tressaillons de peur, partageant sans le vouloir la terrible torture infligée à notre prince.

Puis soudain, tout s'arrête. Aucun son ne vient plus troubler la quiétude qui s'installe d'autorité dans nos rangs. Seul le murmure sauvage de Lilith à son fils nous parvient.

- Je sais que, tôt ou tard, tu aurais trouvé un moyen de m'échapper. Ainsi, tu es à moi, stupide chiot !

Elle s'écarte alors de sa proie et je retiens de justesse un haut-le-coeur.

Fenris, les yeux vides et fixés sur le néant, ne bouge plus d'un pouce. Au-dessus de lui flotte une perle lumineuse semblable à un minuscule soleil. Son âme. Lilith a extrait une âme d'un corps. Même en Enfer, cette magie est interdite. Fenris n'existe plus. Son âme est prisonnière de cette bulle de magie qui la retient à l'écart de son hôte.

D'un simple mouvement de la main, Lilith fait léviter le corps vide de notre prince à quelques mètres du sol et entrave ses poignets et ses chevilles avec un lien que je n'avais encore jamais vu. Les légendes parlent de cette corde indestructible, mais j'ignorais qu'elle existait réellement. Même le Père ne viendrait pas à bout de ce mince filin. Ainsi, hors de portée, vide d'âme et retenu par un objet dont nul ne saurait venir à bout, Fenris fixe le vide, tandis que Lilith fait voler son âme emprisonnée au-dessus de l'autel.

C'est fini. L'Ange de la Mort est vaincu.

Ex Nihilo -2- Si vis pacem, para bellumOù les histoires vivent. Découvrez maintenant