Aline
Nous avons marché sans arrêts pendant toute la nuit, et lorsque l'aube a dardé ses premiers rayons, j'ai fini par me rendre à l'évidence : tant que je ne demanderai pas une pause, il ne s'arrêtera pas. Comme d'habitude, c'est à moi de faire le premier pas. Il commence vraiment à me courir, celui-là...
- Fen, s'il-te-plait, on pourrait s'arrêter deux minutes ?
Il s'arrête brusquement et je manque de le bousculer.
- Non mais ça va pas de t'arrêter comme ça ? J'ai demandé une pause, pas un plaquage, imbécile !
Il reste un instant dans le vague et je caresse l'infime espoir d'avoir enfin réussi à avoir le dernier mot. Mais il piétine cet espoir aussi sûrement qu'il piétinerait un chaton sans défense devant lui et arbore son éternel sourire avant de me répondre.
- Si je ne m'arrête pas immédiatement, tu vas encore me sermonner et me rappeler que nous avons lié un pacte et que je dois te protéger et que si je ne m'arrête pas dans l'instant tu feras le pied de grue ici et te mettras volontairement en danger juste pour m'exaspérer. Ce à quoi je répondrai que tu n'es qu'une petite idiote trop sûre d'elle et de son importance qui s'est mise en danger sans mon aide juste en insistant bêtement pour m'accompagner là où aucun être normalement constitué ne désire se rendre.
Je me contente de lui lancer un regard assassin tout en m'asseyant sans douceur sur une souche humide et froide. Je délasse mes chaussures à la hâte et savoure la sensation de liberté toute simple que l'on ressent lorsque nos pieds cessent d'être aussi à l'étroit que le cou d'une femme girafe dans ses colliers. La comparaison n'est pas très heureuse, mais c'est tout ce qui me vient. Je ferme les yeux et rejette la tête en arrière, heureuse d'être là malgré tout. Je suis perdue au milieu des bois avec un démon alors que nous sommes sur les traces de ma mère qui a été selon toutes probabilités emportée en Enfers, nous venons de faire sauter ma voiture et sommes officiellement morts, mais au moins, je suis en vie, ma mère est en vie, ma grand-mère est en vie et en sécurité, et nous bénéficions toutes de la protection d'un immortel, ce qui n'est pas négligeable.
Je rouvre les yeux en souriant. Fenris semble soucieux. Le démon passe son temps à tourner vivement la tête d'un côté ou de l'autre au moindre bruit.
- Détends-toi, démon, ils nous croient morts, alors profites un peu de ce vent frais et cesse de jouer les lapins un jour de chasse, tu m'angoisse.
Il me répond sans quitter le paysage morne et barré de troncs défraîchis du regard.
- A partir du moment où tu as décidé de me coller au train, tu t'es toi-même dessiné une cible sur le dos. Je t'ais dis que les démons avaient ton odeur dans le nez. Les meutes infernales vont être sur nos talons. Mon petit stratagème minable ne les trompera pas longtemps, je ne peux pas dissimuler nos traces et ton odeur indéfiniment.
Soudain, un craquement sinistre me fait sursauter et Fenris se tend, adoptant immédiatement une posture de combat. Le regard fixe, les appuis bas, mains en avant afin de pouvoir parer ou lancer une attaque. Pour un peu, je distinguerais presque une vague forme noire et éthérée dans son dos... Comme deux ailes dissimulées mais prêtes à prendre leur envol.
- Ils nous ont retrouvés, chuchote-t-il sans lâcher du regard l'origine du bruit.
Je sens un frisson d'adrénaline dévaler mon dos tandis que mon souffle s'accélère.
- Qu'est-ce qu'on fait ? demande-je sur le même ton.
- Tu ne bouges pas d'un pouce. Je m'occupe de ça. Ne fais pas un son. Pas d'initiative malheureuse. Ne fuis pas. Je peux te protéger si je sais exactement où tu es, mais si tu t'enfuis, ma protection ne te suivra pas.
- Quoi ? Mais c'est quoi cette arnaque ? m'insurge-je tout bas.
- Fais ce que je te dis, c'est un ordre. Je peux te protéger quand tu es en mouvement si je peux te voir ou sentir ta présence, mais j'ai apposé sur toi un sortilège de dissimulation, je ne pourrai pas te retrouver grâce à l'odeur de ton âme à moins de dépenser une quantité d'énergie qui m'est pour le moment indispensable pour essayer de t'empêcher de finir égorgée au pied d'un arbre. Si tu ne bouges pas, je te protégerai. Compris ?
Je hoche frénétiquement la tête alors qu'un grondement sourd se rapproche doucement de nous. Fenris me fait signe de ne pas bouger d'un pouce sans quitter un point invisible pour moi du regard. C'est quelque part, derrière moi.
Le démon s'éloigne à pas de velours de cette démarche féline qui m'avait frappée la première fois que je l'avais vu. Il semble fait d'air, ses mouvements fluides ne déplaçant pas la moindre feuille morte, ne brisant pas la moindre brindille. Aucune branche ne vient frôler son épaule et son souffle semble inexistant. Il me fait penser à un prédateur en chasse. Tendu, mais concentré sur son objectif.
Il sort de mon champ de vision et je n'entends plus rien. Plus de grondement, plus de craquement, plus rien. Même la forêt s'est tue. Je tremble de tous mes membres. J'ai déjà eu peur de nombreuses fois. Petite, l'orage m'effrayait. Aujourd'hui, il m'amuse. Mais ce que je ressens là, c'est la panique. Le sentiment diffus mais présent que tout se joue en ce moment. J'ai la sensation d'être la proie d'un monstre assoiffé de mon sang.
Le pire dans cette histoire, c'est que c'est le cas.
Puis soudain, le monde semble exploser. Je ne vois toujours rien de ce qu'il se passe, mais des grognements et des cris féroces éclatent quelque part derrière moi. Je ne bouge pas, prostrée, paniquée, attendant que le massacre prenne fin.
J'entends des crocs claquer à quelques mètres de là, j'entends un râle stoppé net, j'entends des griffes déchirer un arbre, un craquement sinistre que je ne saurais identifier. Et des cris. Des cris de peur, de fureur, d'agonie, de joie... des cris de folie, cette folie meurtrière que l'on espère ne voir que dans les films et les livres. Cette folie vive et sans égale que savourent les créatures derrière moi, ces êtres abominables que je ne peux me résoudre à regarder.
Puis brusquement, aussi soudainement qu'il avait commencé, le combat cesse, le calme revient, la forêt reprend vie. J'entends des pas assurés se rapprocher de moi et je me redresse, prête à en découdre si le visage qui m'apparaîtra d'ici quelques secondes ne me revient pas.
Trois mètres. Deux mètres. Un mètre. Il est là.
Je jaillis de derrière mon arbre, mains tendues, prête à régler leur compte à quelques démons tout au moins.
Mais Fenris m'attrape les poignets et les écarte de son visage, prudent.
- Du calme, fillette, le grand méchant loup a dégommé quelques chiens de chasse. Ne traînons pas ici plus longtemps.
Je hoche fébrilement la tête, ne pouvant m'empêcher de remarquer la fine entaille sur la joue du démon et ses vêtements couverts d'un mélange de sang et de cendres.
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Ex Nihilo -2- Si vis pacem, para bellum
ParanormalSoixante ans après les aventures de Fenris, Gabriel et Angélique, les Enfers sont au plus mal. Et quand le Mal va mal, la Terre doit s'attendre au pire. Plus encore lorsque l'on est l'une des dernières Filles de la Terre. Aline, jeune Fille de la Te...