XV- Crise

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Fenris


Nous reprenons la marche en silence. Aline suit du mieux qu'elle peut, tentant de caler son pas sur mes grandes enjambées. Pour ma part, je suis seul avec mes pensées. Ce que m'a montré Hessa ne me surprend pas. Ou tout du moins, je m'attendais à quelque chose de ce genre. J'ai conscience de me mettre inutilement en danger en acceptant le pacte des Filles de la Terre. Je pourrais parfaitement continuer à vivre comme je l'ai fais ces soixante dernières années. Ma mort présumée m'a beaucoup facilité la tâche. Un homme mort ne reçoit plus de défis, ne doit plus rendre de comptes, et n'obéit plus qu'à lui-même.

J'ai savouré cette liberté retrouvée pendant six décennies. Jusqu'à ce que les sbires de Lilith me tombent dessus il y a quelques mois de cela. Tuer m'avait manqué, tout comme d'entendre les cris d'agonie et de douleur de mes assaillants. Mais chaque cadavre que je laissais derrière moi était une nouvelle preuve de ma "résurrection"...

Me lier à des mortels ne me réussit plus. D'abord Eden, ensuite Angélique, et maintenant Aline... Ma main au feu que cette histoire va encore sentir le sang et la mort... A croire que toutes mes pires emmerdes viennent des Filles de la Terre... Il est urgent que j'arrête ces...

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Aline


Je marche en silence derrière Fenris qui ne semble pas disposé à ralentir son pas presque militaire. Je n'ai posé aucune question lorsque nous avons remballé nos affaires et avons reprit la marche. Pourtant, elles sont nombreuses à s'entre-mêler, s'entre-choquer et se multiplier dans mon esprit.

Pourquoi le simple contact de cette créature a fait reparaître d'ancienne blessures résorbées depuis longtemps ? Que voulait-elle dire par "l'éternité ne dure qu'un temps" ? L'éternité, c'est censé être ad vitam aeternam, non ? Pourquoi a-t-elle parlé de loyauté ? La seule loyauté d'un démon est envers lui-même ou envers son pacte, mais jamais envers un tiers. Pourquoi Fenris n'avait-il pas l'air si surpris que cela lorsque son corps s'est déchiré ? Tant de questions pour si peu de réponses...

Je suis plongée dans mes pensées entêtantes et sans fin lorsque je perçois un mouvement anormal devant moi.

Fenris. Il tangue. Il tangue comme s'il était à bord d'un bateau dans la tourmente, ou comme s'il avait vidé à lui tout seul un tonneau de rhum ! Je me précipite à ses côtés, soucieuse.

- Fenris, qu'est-ce qu'il t'arrive ? dis-je d'une voix tendue en tentant de le faire tenir sur ses jambes.

Une main sur le visage, les yeux vitreux, il me répond d'une voix pâteuse alors que je passe son bras gauche par-dessus mon épaule.

- C'est encore ce maudit arbre... Il perd des forces...

Une fine pellicule de sueur recouvre son visage alors qu'il est secoué de frissons incontrôlables. On ne peut pas continuer à avancer dans ces conditions. Je regarde autour de moi, cherchant en vain un endroit sûr pour nous abriter le temps que la crise passe. Je nous guide finalement jusque sous un arbre maigrelet aux branches basses qui nous dissimuleront aux créatures possiblement à nos trousses.

J'allonge Fenris au sol alors que sa respiration s'accélère tandis que des frissons violents lui secouent le corps.

- Fenris, dis-moi ce que je dois faire, dis-je, à mi-chemin entre le panique et l'incompréhension.

Son visage se tord de douleur alors que quelques cicatrices blanchâtres ressortent sur sa peau pâle.

- Rien... commence-t-il les dents serrées. Tu ne peux rien faire... Il faut... Attendre...

Ex Nihilo -2- Si vis pacem, para bellumOù les histoires vivent. Découvrez maintenant