Chapitre 9.1 - Paul - En danger

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Paul ouvre les yeux. Il fait noir, il ne voit rien. Quand il les referme, l'image d'une femme aux cheveux blonds se superpose à sa paupière. La scène de la veille ne quitte pas son esprit. Dès qu'il a deux secondes pour y penser, un frisson le parcourt, et les mots écorchés du Requin lui reviennent en mémoire. Il se force alors à penser à son héroïne. Celle qui boit des Cuba Libre et qui le regarde dans les yeux sans sourciller. Elle l'a menacé autant que lui. Elle lui a dit qu'elle lui couperait l'aileron. Et maintenant, Paul aimerait savoir si elle a réussi. Si elle a essayé, entre temps. S'il peut sortir de chez lui sans risquer de prendre une balle.

Après avoir chassé ces pensées, Paul se rappelle d'autres choses. Les trois autres pompiers qui étaient dans le camion le jour où ils sont allés sortir Peter de sa merde. Il connaît à peine les deux autres, mais il a déjà entendu l'adresse de Richard sortir de la bouche de son capitaine. Et au pire, il lui semble que Till discute régulièrement avec son collègue. Ça ne l'étonnerait pas non plus qu'il sache lui aussi où trouver le pompier. Il faut que Paul agisse. Il est mort de peur, mais le Requin n'a pas prévu de s'attaquer à des adversaires à sa taille. Il ne s'est pas approché de la blonde. Il ne lui a rien fait. Lui en revanche, ça ne saurait tarder.

Un coup de fil à Till plus tard, Paul est dans l'entrée de son appartement. Il enfile ses grosses boots noires, sa lourde veste en cuir et claque la porte derrière lui. Arrivé devant sa voiture, il farfouille dans ses poches un instant avant de trouver les clés. Il ne perd pas de temps. L'idée d'être seul dehors, dans le froid, de si bon matin, lui fout tout simplement la trouille. Après ce qu'il a vu la veille, plus question de prendre des risques. Il monte au volant de sa Polo, démarre le moteur, et fonce vers la Television Tower. Richard y habite une petite maison, juste à côté.

Pendant le trajet, le pompier repense à son collègue. Il sait qu'il n'a pas une vie facile, mais il ne peut s'empêcher de le jalouser. Il a tout ce qu'il lui faut : une femme qui l'aime, une fille adorable, une maison qu'il a acheté il y a trente ans, lorsque les prix de l'immobilier ne frisaient pas encore l'indécent. Il arrive à la payer. Paul ne sait pas s'il aurait réussi à avoir une vie aussi rangée. Il est le genre de type qui aime son boulot plus que son foyer. Il y a toujours des moments où il préfère rester chez lui. Enfin ça, c'était avant. Avant qu'Arielle se tire avec ses valises, les trois quarts de leur compte commun, les rideaux et le contour de lit. Quand Paul est revenu ce soir-là, une semaine après avoir annoncé à sa petite-amie (qu'il voyait déjà sa femme) qu'il n'était pas capable d'avoir des enfants, il avait découvert un appartement plongé dans le noir, caressé par la Lune. Dans la chambre, il ne restait plus que leur commode Ikea, que Paul avait payé, et un matelas à même le sol. Ça faisait pratiquement dix ans qu'ils étaient ensemble, et elle n'avait pas supporté de rester avec un homme stérile. Arielle avait donc récupéré l'intégralité de son argent et de ses biens mobiliers et avait foutu le camp sans rien dire. Les choses étaient tel quel depuis. Paul dort encore par terre, sans rideaux à ses fenêtres, et vingt-cinq ans plus tard, il n'a toujours pas un seul gosse.

Forcément, quand il a su que Richard, avec sa femme, sa fille et sa maison de rêve, trouvait encore le moyen d'aller voir ailleurs comme s'il ne pouvait pas se contenter de ça, ça l'a mis en rogne. Mais jalousie ou pas, il s'agit d'un homme qui n'a jamais cherché à se faire tuer. Il faut que Paul lui dise de faire attention.

- Bon, trou du cul, tu la bouges ta poubelle ?!!

Paul cligne des yeux. Le feu est vert depuis un moment et le mec derrière lui, après une tonne de coup de klaxon, a décidé de l'insulter. Il n'est clairement pas d'humeur pour ça. Ses mains tremblent sur le volant. Si ça ne tenait qu'à lui, il sortirait pour lui péter sa vitre, puis sa gueule. Au lieu de ça, Paul accélère au moment où le feu passe orange. Il aperçoit son doigt d'honneur dans le rétroviseur alors qu'il s'éloigne. Le pompier essaye de se concentrer sur la route jusqu'à la fin du trajet. C'est difficile, mais il y arrive.

Le Requin [RAMMSTEIN - TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant