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- Attends une minute !

Grillé. Je ferme les yeux et compte dans ma tête jusqu'à trois. Puis, le plus naturellement possible, je me tourne, pour croiser le regard réprobateur de ma mère. Une main sur la hanche, elle pointe dans ma direction avec sa spatule couverte de pâte à gâteau.

- Où comptes-tu aller comme ça ?

Trouver une excuse est inutile.

- Je voulais prendre l'air.

- Alors là, c'est hors de question ! s'exclame-t-elle. Vous êtes toujours privés de sortie, Karlie et toi.

En basculant ma tête vers l'arrière, je passe la main sur mon visage et soupire.

Après que Monsieur Freeman ait envoyé son fameux courriel concernant la bataille de nourriture à nos parents, Karlie et moi avons le soir même eu droit à une heure complète de leçon de vie. Nous nous sommes contentés de rester silencieux, jusqu'à ce que le discours soit fini. Essayer de nous expliquer n'aurait fait qu'étendre la durée de la discussion.

Au final, nous avons été privés de sortie, et ce, jusqu'à nouvel ordre. Quand je pense que j'aurais pu me tirer d'affaire en expliquant ce qui s'est vraiment passé, j'ai l'irrépressible envie de rire. J'aurais facilement pu laisser Karlie endurer cette merde toute seule, tandis que j'aurais tranquillement mangé dans ma chambre.

Voir tous ces élèves nous pointer du doigt à la cafétéria m'a fait comprendre que j'avais en fait intégré un lycée de traîtres. Je ne savais pas qu'autant de rapporteurs pouvaient se tenir dans une seule et même pièce, c'est hallucinant.

- Mais...

- Jake.

Je soupire encore.

- D'accord, c'est bon.

D'un pas traînant, je me dirige vers les escaliers. Mon pied se pose à peine sur la deuxième marche quand ma mère dit :

- Si tu n'as rien à faire, tu peux toujours m'aider !

Merde, j'aurais dû rester planqué dans ma chambre depuis le début.

À l'occasion du Nouvel an, Maman souhaite inviter des amis et de la famille à la maison. L'idée ne lui est venue qu'hier soir, et nous avons dû nous ruer vers le supermarché le plus proche pour acheter des tas d'ingrédients.

Je ne prends même pas la peine de masquer mon mécontentement et la rejoins dans la cuisine. Pour me narguer, elle sourit de toutes ses dents et me met un fouet dans les mains.

- Tu vas battre le blanc d'oeuf, là-bas, indique-t-elle. Veille à ce que ça devienne bien mousseux.

Je murmure un "mmh" et saisis le bol de blanc d'œuf. Je n'ai aucune idée de ce qu'elle compte faire avec, mais je ne pose pas de question et fouette. 

Je ne comprends pas pourquoi Maman se tue à faire tout ça, sachant que nous sommes à trois jours de la soirée en question. D'autant plus que les festivités commenceront à dix-neuf heures, ce qui lui laisse largement le temps de tout finaliser avant l'arrivée des invités.

- Y a-t-il des gens en particulier que tu souhaites voir à la fête ?

Alors que je continue de fouetter la mousse qui s'est formée, je ralentis mon mouvement, comme si cela allait m'aider à trouver une réponse.

- Ça m'est égal, je réponds franchement. C'est bon comme ça ?

Je mets le bol en évidence. Après y avoir jeté un coup d'oeil minutieux, Maman acquiesce et me dit de le mettre de côté.

L'ART DE T'AIMEROù les histoires vivent. Découvrez maintenant