L'ART DE T'AIMER

82

JAKE

Le temps a beau filer lorsque nous avons du plaisir, on en perd tout autant la notion quand la vie nous confronte à des obstacles toutes les deux secondes. On ne pense plus aux minutes, aux heures ou aux jours qui passent ; notre seule priorité est de nous extirper d'un tourbillon infini de confusion dans lequel nous sommes coincés malgré nous. Et quand le calme survient après la tempête, on a le sentiment d'avoir atterri dans un nouveau monde. Un monde zen, mais qui nous désoriente.

Figurez-vous que c'est ce que je ressens, en ce moment.

- Tu te sens prêt pour votre dernier match ?

Parmi les bribes de conversation qui ne cessent autour de nous, la voix de Moonlight s'élève. Je commence à regretter de lui avoir proposé de passer notre déjeuner dans cette pizzeria. Si j'avais su qu'autant de gens seraient présents, je l'aurais emmenée dans un endroit plus silencieux. Même si nous occupons une table plus ou moins isolée du reste de la clientèle, le bruit n'est pas moins inaudible. Cela ne semble toutefois pas l'importuner, alors j'imagine qu'il est inutile de nous déplacer.

- Plus ou moins, je réponds.

Ses sourcils se froncent légèrement.

- Comment ça ?

- Physiquement, je suis prêt, expliqué-je. Le coach nous a soumis à des tas d'entraînement et on s'est beaucoup pratiqués. De ce côté-là, tout va bien. Ce qui me fiche la trouille, c'est de savoir qu'après vendredi prochain...ce sera réellement fini. Plus de matchs.

Le regard de Moonlight s'adoucit. Elle comprend ce à quoi je fais allusion. Avec tous les problèmes que nous nous sommes tués à régler, nous n'avions même pas réalisé avant aujourd'hui que dans exactement trois semaines, le chapitre du lycée sera vraiment clos pour de bon. Je n'arrive pas à croire que nous sommes vraiment au mois de mai. C'est fou. 

- Je vois ce que tu veux dire, marmonne Moonlight avec un sourire nostalgique. Tu sais, au début de l'année, j'avais hâte de déguerpir d'ici, mais aujourd'hui, c'est comme si j'avais envie que cette senior year se prolonge. Savoir que je serai loin d'ici dans quelques mois...c'est étrange. Loin de ma famille, de mes amis...Avant maintenant, jamais je ne m'étais sentie aussi attachée à Orlando.

- Pareil pour moi. Mais au moins, on sera ensemble pour affronter la vraie vie, non ?

Elle sourit.

- Oui. Au moins.

Depuis que mes classes ont changé, nous ne nous voyons plus aussi souvent qu'avant. Lorsque j'avais parlé à Monsieur Freeman, j'ignorais qu'elle et moi nous réconcilierions le jour d'après. J'avais pensé à revisiter le directeur afin de récupérer les cours que je partageais avec elle, mais après maintes heures de réflexion, j'ai laissé tomber l'idée. Je ne veux ennuyer personne et de toute manière, cette séparation est assez bénéfique, pour être honnête. Elle permet à Moonlight et moi d'entreprendre les choses lentement dans notre relation.

Cela fait près de deux semaines que nous avons décidé de repartir à zéro, et je dirais que les choses vont bien. Tout le monde semble avoir oublié l'événement catastrophique qui a failli ruiner notre couple, et je n'ai plus entendu parler d'Andre. 

Cependant, Moonlight et moi ne nous sommes pas encore remis ensemble. Je ne suis pas inquiet, car je sais que ça arrivera. Je trouve ça seulement bizarre que pour une fois, on ait le temps...de prendre notre temps.

Je crois tout simplement que je ne suis pas habitué à autant de calme. Normalement, une chose survient, puis une autre, et une autre...La compilation des événements fous qui se sont enchaînés depuis ma venue dans le lycée en sont la preuve.